Chapitre 9

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse, ton amour qui est de toujours.
- Psaume 24 :6 -

Après la reprise des cours, un plan avait été fomenté pour que je puisse voir Loïs après les cours et en dehors du lycée. Cette capacité qu'avait Loïs de mentir était incroyable, elle nous avait permis de nous voir deux fois pendant les vacances et c'était clairement un miracle. Alors j'avais considéré ses paroles, mentir pouvait me servir, pouvait me permettre d'être heureux. Il me fallait simplement apprendre.

Ainsi, mon état d'esprit et mes actes se mirent à dissocier totalement.

L'angoisse et la peur prenaient racine dans mon corps et dans mes pensées, je cauchemardais toujours et j'étais terrorisé à l'idée que mes parents découvrent que je sortais avec Loïs.

Et pourtant, je me comportais comme un idiot. Prenais des décisions débiles et insensées. Voici trois semaines que je mentais régulièrement pour retrouver Loïs en douce chez lui alors qu'Arnaud acceptait de me couvrir. Nous avions monté un scénario incroyable. Ma mère s'était entendue avec Eline, afin que je passe quelques heures chez elle avec son fils et faire les devoirs. J'arrivais chez eux, je saluais Eline et je quittais les lieux par la fenêtre d'Arnaud. Pour rejoindre mon petit-ami.

Presque chaque soir de la semaine, je prétextais réviser avec mon ami alors que je me retrouvais dans la chambre de Loïs. Sur son lit. Dans ses bras.

Nos moments ensembles étaient systématiquement incroyables, nous parlions de tout et de rien, apprenant simplement à se connaître davantage. Je savais déjà qu'il avait tout du sportif qui adore la mal bouffe, les jeux vidéo et les baskets. En revanche, je n'avais pas imaginé qu'il pouvait s'intéresser à d'autres sujets plus vastes, comme la poésie ou la psychologie.

Ce qui animait nos heures de manière très divertissante. J'apprenais ainsi plein de concept sur l'esprit humain dont j'ignorais tout, bercé par le son de sa voix et le mouvement de ses lèvres roses. J'écoutais ses poèmes préférés sans rien comprendre et me laisser envoûter par ceux qu'il écrivait pudiquement. Je relisais d'ailleurs souvent celui qu'il m'avait écrit pour Noël et qui déclarait son amour pour moi.

Mon corps s'agitait de plus en plus.

Déjà au lycée, j'avais du mal à rester éloigné de lui, à ne pas le toucher ou l'embrasser. C'était devenu ma normalité et j'adorais ça. Je me sentais enfin moi et libre. Jusqu'à ce que je rentre chez moi. Voilà pourquoi ces quelques instants hors du lycée et hors de ma maison me comblaient tellement.

—    Change de son, s'il te plaît, demanda Loïs.

—    J'aime cette chanson, protestai-je.

—    Ouais, ok, c'est assez sympa, mais tu nous passes tous l'album là, rouspéta-t-il faussement.

—    Adèle, c'est sacré. Façon, tu n'aimes pas la musique.

Loïs rigola et son torse trembla si fort que ma tête vibrait désagréablement. Je la relevai pour le regarder dans les yeux. L'obscurité de ses prunelles perça le marron fade des miennes. Une lueur attira mon attention et l'instant changea. Je le perçus avant même qu'il n'ouvre la bouche.

—    Pas vraiment, mais je t'aime, toi.

Court-circuit.

La phrase prit sens immédiatement dans mon cerveau et le fit disjoncter instantanément. Figé par le choc, j'ouvris la bouche comme un poisson hors de l'eau. Le manque d'air comprima mes poumons et m'obligea à inspirer fortement, me donnant l'air d'un total idiot.

—    Que- quoi ? chuchotai-je.

—    Quoi, quoi ? répliqua-t-il, le sourire en coin.

Secouant ma tête, je me redressai pour m'asseoir et reprendre du poil de la bête. Loïs venait de me dire je t'aime. Loïs venait d'avouer qu'il m'aimait. Loïs m'aimait. Loïs était amoureux de moi.

Oh. Mon. Dieu. Il l'avait dit. À haute voix ! En français ! Pas simplement écrit sur un bout de papier ou un pauvre « moi aussi » en italien ! C'était la première fois que je l'entendais avec son timbre de voix...

Mon cœur s'alarma avec fureur et déclencha une hyperventilation accrue. Le choc se mua en joie et je lui offris mon plus beau sourire.

—    Je te l'ai déjà dit, pourquoi tu fais cette tête de poisson hors de l'eau ?

—    Tu- tu l'as dit. En entier, soufflai-je. Pas juste... « moi aussi ».

Loïs fronça les sourcils un instant avant qu'il ne les hausse si haut qu'ils se confondaient avec ses mèches foncées tombantes sur le front.

—    Tu as raison, je... Je vais te le redire, t'es prêt ? Je t'aime, Eliott.

—    Moi aussi, je t'aime ! m'exclamai-je, criant presque.

Sans qu'il puisse réagir, je m'affalai sur lui, entourant son cou de mes bras pour mieux l'embrasser. Un drôle de son franchit ses lèvres, mais très vite, il me rendit mon baiser, qui devint alors mouillé, langoureux et désordonné.

Ses mains caressaient mon dos, s'enfouissaient dans mes cheveux et ses initiatives entraînèrent les miennes. Je ne réfléchissais plus, je vivais.

Nos lèvres communiaient, nos langues se dévoraient et j'adorais inspirer son parfum, apprécier la douceur de sa bouche et de ses cheveux foncés. J'étais si excité à l'idée qu'il le clame enfin ouvertement que j'oubliais ce que j'étais en train de faire.

Mes doigts parcouraient la peau nue de ses flancs et il se plaça sur moi, se frayant une place entre mes cuisses. Ses mains me flattaient avec sensualité, déployant de minuscules frissons. Le plaisir de le sentir si proche, de percevoir son envie de moi, sa chaleur... ces choses m'enivraient. Et me stressaient.

La preuve de son désir se plaqua contre mon bassin, me coupant le souffle. Je réalisais à ce moment-là que mon corps également réagissait à sa proximité, qu'une érection s'était dressée sans que je n'aie aucun contrôle là-dessus.

Lorsque Loïs initia un mouvement évocateur, la panique flamboya subitement.

Mon esprit me délivra les paroles écœurantes du père Vincent. J'entendis raisonner dans ma tête les mêmes mots, encore et encore. Abomination. Erreur de la nature. Pécheur. Enfant du diable. J'étais sale et répugnant. Ce désir était un péché.

Je me reculai d'un bon, le cœur dans la gorge.

Ma vue se fit plus trouble et ma respiration s'altéra dangereusement. La sueur perla sur mon front avant même que j'eus conscience de mes tremblements.

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi.
Psaume 50 :3-5 –

—    Ça va pas ? s'inquiéta Loïs en se redressant.

Ses mains se posèrent sur mes joues, diffusant une chaleur qui focalisa mon attention. Très vite, le noir de ses prunelles m'aspira. Je luttais pour respirer calmement, pour chasser les mauvaises pensées. Elles n'étaient pas à leur place dans ma tête, je ne voulais plus entendre ses paroles.

—    Eliott ! Tu m'inquiètes, s'alarma-t-il.

—    Ça- ça va, c'est... Je- m'interrompis-je, hyperventilant.

—    D'accord, calme-toi, amore.

Il se rapprocha afin de prendre mes mains entre les siennes, mais je me dégageai. J'avais besoin d'espace, d'air. Je manquais d'air. Ma vision s'obscurcissait et ma peau commença à me démanger, à devenir trop étroite pour mon corps.

—    Tout va bien, souffla Loïs.

Ma crise de panique s'installa vicieusement, mais je procédais comme d'habitude, je me pinçai cruellement et comptai inlassablement jusqu'à ce que mon rythme cardiaque ralentisse.

—    Je suis là, respire profondément, prends ton temps.

Ces quelques mots apaisèrent légèrement ma tension, je me focalisai donc sur le son de sa voix, sur sa présence auprès de moi. Au bout de quelques minutes, mes agitations s'estompèrent. Loïs capta le changement et osa me toucher les mains. Avec prudence, il décrocha mes ongles enfoncés dans ma paume droite et déposa un doux baiser sur les meurtrissures.

—    Tu vas mieux ? chuchota-t-il.

Je hochai la tête, la gorge trop comprimée pour parler. Lentement, il tira sur mes mains pour me guider afin que nous retrouvions nos positions initiales, allongés l'un contre l'autre, ma tête posée sur son torse.

—    Désolé, murmurai-je.

—    Qu'est-ce qui s'est passé ?

J'avais honte d'admettre que j'étais abimé, alors je secouai simplement la tête, sans rien répondre. Loïs soupira lourdement.

—   C'était une crise d'angoisse ? persista-t-il sur le ton interrogatif.

Pourtant, je sentais bien qu'il connaissait la réponse, sa question n'avait pour but que de me faire avouer la vérité. Je n'y parvins pas. Pas à haute voix, cependant, je hochai subtilement la tête.

—   Bella rosa, chuchota-t-il.

—   Encore cette rose, soupirai-je difficilement.

—   Je trouve que c'est approprié.

Entamer une discussion m'aida à me focaliser sur quelque chose assez longtemps pour chasser les restes de ma panique. Cependant, je redoutais la tournure de cette conversation. Pour autant, je ne pus m'empêcher de clamer :

—   Je n'ai pas envie d'être cette rose pleine d'épines.

—   Pourtant, ça te correspond, amore et la rose est un beau symbole, dit-il doucement.

—   Qu'est-ce qui me correspond le plus ? La symbolique de l'amour ? Ou le sang du martyre ?

Les yeux noirs de mon italien brillèrent d'une lueur triste. Il soupira et ferma les yeux, rompant notre contact visuel. Il semblait fatigué ou peut-être réfléchissait-il à ses prochaines paroles. Qui aurait inévitablement un lien avec sa foi. Car les analogies de Loïs étaient religieuses.

La symbolique de la rose était présente dès les premiers temps du christianisme ; rouge, elle fait référence au sang du martyre, blanche, à la pureté. Puis cette fleur avait été associé à la Vierge Marie pour tout un tas de raison. J'espérais sincèrement que sa comparaison avec moi s'arrêtait à la rose originelle avec l'histoire des épines.

—    Je vois en toi et ton histoire la rose originelle, répondit finalement Loïs d'une voix lente. Mais plus j'y pense et plus je trouve que les symboliques de cette fleur te correspondent. Ce n'est pas mal. Tu es magnifique, délicat mais difficile à capturer, tu m'inspires l'amour et la passion, la beauté et la pureté.

—    Je ne suis pas pur, protestai-je.

—    Au nom de quoi ? répliqua-t-il en planta son regard surpris sur moi.

—   Tu sais bien.

Mes yeux fuirent les siens tandis que le malaise rampa sous ma peau. Le désir s'était certes calmé, mais je ressentais toujours ces effets sur mon corps et Loïs était toujours allongé contre moi, chaque courbe épousant les miennes.

—   Tu es pur, Eliott, peu importe ce que tu imagines.

Sa voix diffusait une fermeté qui me déstabilisa, il semblait sûr de lui, convaincu même. Mon cerveau se mit à chauffer sous l'avalanche de réflexions qui me traversait. Je n'aimais pas ce que sous-entendais Loïs, j'étais sale et jamais je ne serais cette rose de pureté absolue.

L'atmosphère de plaisir et désir se transforma en tourbillon de honte et de parjure. Je me dégageai de lui pour m'assoir à distance respectable. Je ne comprenais pas pourquoi il me faisait ça. Pourquoi il me parlait de la fleur mariale pour me décrire, pourquoi cette analogie lui tenait tant à cœur, pourquoi même faisait-il des références religieuses ?

Je supportais déjà ma voix intérieure qui me rabâchait les oreilles avec ses psaumes, alors je n'avais pas envie que Loïs en rajoute avec sa foi.

—    Tu ne seras jamais parfait, tu ne cocheras jamais toutes les cases, mais qui le peut ? Le fait que tu puisses représenter ne serait-ce qu'une seule de ces symboliques signifie que tu es bon. Méritant et incroyable.

Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine et cognait mes côtes avec vigueur, j'avais l'impression qu'il cherchait à fuir. Fuir les mots de Loïs, fuir les paroles pieuses et toutes ces roses qui me donnaient l'impression d'être prisonnier entre leurs épines.

Loïs revint vers moi pour prendre mes mains dans les siennes. Il les porta à ses lèvres et embrassa la jointure de mes doigts avec amour.

—    Pour moi, tu es bel et bien une magnifique rose qui tantôt montre sa beauté et sa pureté et tantôt se cache derrière ses épines et ses souffrances.

Les épines en question n'écorchaient pas mes ennemis, mais moi seul. Elles entaillaient ma peau, versaient mon sang et mes larmes, et surtout, elles entravaient mon chemin vers Loïs.

Il n'en avait pas conscience, cependant, ces épines étaient la personnification de mon traumatisme, de mes angoisses et de mes peurs et chacune d'elles me tenait éloigné de mon amour pour lui.

Je ne répondis rien, je ne confiais pas mes tourments.

Les minutes passèrent dans un silence étrange. Loïs ne lâcha pas mes mains et se contenta de les caresser avec ses pouces. Lorsqu'il reprit la parole, il chercha à capter mon regard.

—    J'aimerais comprendre, s'il-te-plaît. C'est à cause du... baiser ? demanda-t-il avec hésitation. Que tu as fait cette crise d'angoisse ? Que tu dis être impur ?

Ma tête initia un mouvement d'affirmation tandis que ma bouche restait cousue.

—    C'est rien, Eliott, je comprends si tu ne veux pas aller plus loin.

Cette remarque m'interpella, si bien que je relevai le menton pour voir son visage. Nous nous aimions, mais rien ne nous obligeait à passer à l'étape supérieure. Le problème était que j'éprouvais du désir physique pour Loïs, je ne pouvais pas le nier. Mon corps voulait cet italien. Ma tête en était effrayée, ne savait pas si elle approuvait, mais peu importe. J'en avais envie. Et j'étais terrifié d'en avoir envie. Allais-je être hanté par cette peur toute ma vie ?

Mon cerveau chauffa sous mes pensées, me poussant à déballer ce que j'avais sur le cœur.

—    J'en ai envie, déclarai-je.

—    Tu... t'es sûr ? demanda-t-il en fronçant des sourcils.

—    Non. Enfin oui, je suis sûr d'en avoir envie, mais pas sûr d'être capable de... le faire vraiment.

J'occultais mon sentiment de honte, cette impression d'être sale et impur parce que je désirais cette intimité avec Loïs. Cela le ferait certainement souffrir et j'avais honte d'être honteux. Si c'était pas comique !

—    On peut y aller doucement, murmura-t-il, comme un secret. Étape par étape, tu vois ?

—    Pas vraiment.

Mon ignorance sur le sexe entre homme était vaste. Aussi étendue que l'Océan Pacifique. Et ce fut à cet instant que je compris que ce n'était pas forcément le cas pour Loïs. Il semblait trop à l'aise, en confiance avec ce sujet, comme s'il éprouvait ni peur, ni honte.

—    On peut faire plein de choses avant d'aller jusqu'au bout, continua-t-il. Pour que tu sois plus à l'aise avec l'idée de l'intimité et-

—    Tu as déjà fait des trucs ? questionnai-je en m'éloignant de lui.

Mon cœur se serra en attendant sa réponse.

—    C'est arrivé une fois, confia-t-il, mal à l'aise.

C'est arrivé.

Abasourdi, je mis un temps infini à me reprendre et à poser des questions. Mais j'obtins mes réponses. En colonie de vacances, lorsqu'il avait quinze ans, avec un garçon du centre. Ils s'étaient embrassés et touchés intimement.

Cette découverte retira toutes couleurs de mon visage, je le sentais alors que je tremblais, faible et froid à cause de mon sang glacé dans mes veines. Loïs avait déjà eu un petit-ami. Je n'étais pas le premier.

Pourquoi l'aurais-je été ? Il n'y avait que moi qui était toujours à la traîne, pauvre type qui vivait tout après tout le monde. Qui avait peur de ses parents, de Dieu, de son ombre. J'étais perdu, isolé, toujours enchaîné à cette foi qui me freinait.

Ravalant ma honte, ma tristesse et ma colère, j'acquiesçai et fis mine de rien jusqu'à ce que je rentre chez moi.

Ma mère m'accueillit comme à son habitude et cette fois-ci après son câlin crispé, je parvins à lui dire que je ne dînerais pas avec eux, car j'étais trop épuisé. Elle ne protesta pas et je remerciais Dieu pour ça.  

*
🥀
⭐️

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top