Chapitre 7

Pourquoi, Seigneur, es-tu si loin ? Pourquoi te cacher aux jours d'angoisse ?
- Psaume 9B :1 -

Après cette soirée chez Arnaud, les occasions pour sortir durant les vacances de Noël furent réduites à néant. Mes parents, très portés sur les fêtes, considéraient que ma place était auprès d'eux et de la famille.

Les premiers jours, j'assistais ma mère pour faire les courses en vue du grand repas du réveillon qui avait lieu chez nous cette année. Par chance, lors de ses achats, ma mère me laissa m'occuper de ma propre liste afin que cela aille plus vite. J'en profitai donc pour acheter un petit cadeau pour Loïs. En flânant dans les magasins d'habits, je tombai sur un sweat couleur bordeaux, avec des inscriptions en langues étrangères. Rapidement, je cherchai de l'italien pour un clin d'œil évident et trouvai mon bonheur. Chaque langue avait une phrase différente, celle en italien proposait : « Sono la stella di qualcuno », ce qui, d'après mon traducteur, signifiait « Je suis l'étoile de quelqu'un ». Parfait.

Je comptais lui donner après les vacances, décidé à lui avouer mes sentiments pour lui. C'était cliché, mais c'était si vrai que je ne pensais pas qu'il se moquerait de moi. D'ailleurs, j'espérais bien entendre ces mêmes mots de sa bouche.

Les jours jusqu'au réveillon se passèrent relativement vite, je cuisinais avec ma mère, préparait la table avec mon père puis entre deux corvées, j'écrivais à Loïs, le sourire aux lèvres.

Malgré tout, mon humeur s'assombrit rapidement le jour du 24, lorsque l'évidence s'imposa à moi. Quelques minutes avant que la famille n'arrive, je pris mon téléphone pour appeler Loïs. Malheureusement, seule la sonnerie retentissait dans mes oreilles. Certainement occupé à préparer le réveillon, comme j'aurais dû le faire moi-même, je ravalai ma déception pour me montrer compréhensif.

Néanmoins, mon angoisse s'installait et j'avais besoin de parler. Sans y réfléchir à deux fois, je décidai d'appeler mon meilleur ami, qui décrocha très rapidement :

— Joyeux Noël, Eliott ! cria-t-il dès qu'il eut décroché.

— Joyeux Noël à toi aussi, ricanai-je.

— J'ai trop hâte de bouffer ce que ma mère et ma tante ont préparé, ça sent tellement bon !

La bonne humeur de mon ami était communicante, je lâchai un rire qui me réchauffa.

— Et les cadeaux ne te font pas plus envie ?

— Ouais, ça aussi, mais là je vis l'instant présent, et pour le moment, c'est priorité à la bouffe.

Arnaud adorait manger, un vrai ventre sur pattes. À chaque fois que je dormais chez lui, je mangeais à en avoir mal au cœur.

— Alors... tu m'appelles juste pour me souhaiter un bon réveillon ? demanda Arnaud, perspicace.

— Oui, répliquai-je, vexé par le sous-entendu réel qu'il venait de prôner.

En effet, à cause de mes états d'âme, je n'avais pas pensé à lui envoyer un message pour Noël. La culpabilité acidifia mon estomac jusqu'à ce que mon ami reprenne :

— Vas-y, Eliott, parle-moi, je t'écoute.

— Je-

Mon regard tomba sur l'horloge en bois dans ma chambre, placé juste sous un merveilleux crucifix qui me donna la nausée. J'avais une bonne demi-heure devant moi, assez pour parler de ce que j'avais sur le cœur. Arnaud ne connaissait pas les détails de mon traumatisme, j'avais seulement révélé que mes parents m'avaient envoyé une semaine faire un stage à l'église pour m'empêcher d'avoir des pensées homosexuelles. Les circonstances, il les avait devinées tout seul. Très choqué par ces propos, mon ami me montrait son soutien dès que Loïs était dans les parages ou que je parlais de lui. Je savais pouvoir lui faire confiance et sans savoir pourquoi, je décidai que ce soir, j'avais besoin de tout dire. À cœur ouvert.

Mais peut-être que le moment était mal choisi. Je ne voulais pas gâcher ses fêtes de Noël, alors je confiai seulement une partie :

— Je ne t'ai pas tout dit à propos de cette semaine à l'église, marmonnai-je. C'était vraiment horrible et dur et Père Vincent a été très... strict. Je n'ai pas envie de le revoir ce soir.

— Tu y es obligé ?

— Oui, soupirai-je de désespoir.

— Et si tu restais dans le fond, avec des écouteurs dans les oreilles ? Tu ne te rendrais même pas compte que tu es à l'église, proposa mon ami, le plus sérieusement du monde.

— Comment veux-tu que je cache les écouteurs ?

— Avec un bonnet pardi ! Il fait toujours super froid dans ces foutues églises. Euh... pardon.

— Non, t'inquiète, rigolai-je, tu as raison. Mais les couvre-chefs sont interdits à l'intérieur.

La conversation se poursuivit quelques instants, Arnaud réussissant à me faire rire plusieurs fois. Ensuite, ma mère hurla mon nom et je dus raccrocher. Mon ami insista une dernière fois ; si j'avais besoin de venir chez lui pour la nuit, ce serait ok. Je le remerciais du fond du cœur avant de rejoindre le salon, décoré sobrement avec de vieux meubles en bois foncé, un canapé beige et un lustre énorme au plafond. Seule touche de couleur résidait dans les tapis, rideaux, coussins et divers bibelots, tous dans les tons de vert, couleur préférée de ma mère. Il y a avait également toutes ces petites décorations éparpillées ici et là et le fameux sapin de Noël, au pied duquel se trouvait une crèche immense.

Les invités étaient là ; mes oncles et mes tantes du côté paternel ainsi que mes cousins et cousines.

*

Je tentais de ne pas y penser de peur de déclencher une crise de panique. Mais voilà que le repas touchait à sa fin. Gavés de chapon farci aux champignons et de gratins dauphinois, nous étions tous repus et prêts pour la suite.

L'horloge au mur me donnait des sueurs froides. Mon cousin assis à ma droite me donna un coup de coude.

— Eh, t'en fais une tronche, qu'est-ce qui t'arrive ?

Luc, de deux ans mon ainé avait des cheveux blond vénitien, presque roux, un gène qui persistait chez les hommes de la famille. Grâce à Dieu, j'étais davantage blond que roux, mais parfois le soleil reflétait quelques fils cuivrés dans mes mèches.

— J'ai trop mangé, mentis-je en haussant une épaule.

Sa sœur, Marie, tout aussi rousse, était placée en face de moi, si bien qu'elle entendit ma réponse et me cogna le pied sous la table.

— Menteur ! T'as rien mangé alors que c'était super bon.

— Ouais, elle a raison, renchérit Luc.

J'étais sur le point de trouver un autre mensonge lorsque mon père se leva de table et tapa fortement des mains pour attirer l'attention de tous.

— Il est l'heure d'y aller, si nous voulons arriver à l'heure !

— Ah, bien ! s'écria mon oncle, Christophe.

Tout à coup, tout le monde se mit en marche. Ma mère arriva avec les manteaux de chacun et ils s'habillèrent à l'unisson dans une ambiance joviale. Mon corps, resté figé sur la chaise, avait du mal à bouger. Je les regardais s'affairer et mon angoisse me prit à la gorge.

— Beh alors, tu viens pas ? demanda Luc, les sourcils froncés.

— Bien sûr qu'il vient ! s'exclama ma mère en s'approchant vers moi.

Elle me tendit ma parka et d'un geste brusque m'attrapa le haut du bras pour me forcer à me lever. Contraint, je me mis debout, l'esprit au ralenti. Je ne pouvais pas dire non. J'avais envie de hurler, de m'enfuir, de me terrer dans ma chambre, mais je ne pouvais pas. Toute ma famille était là et c'était une tradition d'assister à la messe de minuit, la nuit du réveillon. Je ne pouvais déroger à la règle.

Ma mère me secoua légèrement mais fermement et je dus mettre ma veste. En silence, je forçai mon corps à suivre le mouvement. D'un accord commun, nous décidâmes de marcher jusqu'à l'église pour digérer et profiter de cette belle nuit étoilée. Tout ce que je voyais, moi, était le goudron au sol, le froid qui pétrifiait mes os et la buée qui s'échappait de ma bouche alors que je suffoquais.

Personne ne le remarqua.

Regarde, et prends pitié de moi, de moi qui suis seul et misérable.
L'angoisse grandit dans mon cœur : tire-moi de ma détresse.
- Psaume 24 : 16-17 -

Encore cette voix dans ma tête qui me rendait fou. Elle ne me laissait jamais en paix, rabâchant et psalmodiant sans cesse. Ce soir-là, je la sentais trop active, trop présente dans mon esprit.

Après plusieurs minutes de marche à chanter des chants de Noël, l'édifice s'éleva devant nous. Le gravier, les quelques marches en pierre, la lourde porte en bois, la grande croix... Les souvenirs me bombardaient vicieusement.

J'eus la force d'entrer et de m'asseoir sur le banc en bois à ma gauche. Le corps engourdi, je sentais mon esprit se refermer progressivement alors que l'agitation autour de moi semblait festive. Ma famille s'éparpilla sur le banc de devant, seul Luc et Marie restèrent avec moi.

Incapable de suivre ce qui se passait, mes yeux fixèrent mes genoux, le carrelage au sol, mes pieds. J'entendais des paroles indistinctes, était conscient des quelques bougies allumées de part et d'autre de l'allée centrale, pourtant, rien ne m'atteignait vraiment. Coupé de l'instant, je me mis à compter dans ma tête.

L'angoisse m'étranglait violemment, alors, pour me forcer à ne pas divaguer, je plantai mes ongles dans la paume de ma main. La douleur m'ancra, repoussant légèrement les flashbacks. Cette technique marcha un temps. Combien, je ne saurais le dire, j'avais perdu la notion du temps.

Toutefois, un élément vint perturber mon état mental déjà précaire. Une silhouette s'avança dans l'allée et j'aperçus un tissu noir. Le flash que cela provoqua me donna la nausée et la montée de bile qui brûla ma gorge m'obligea à inspirer fortement, me faisant relever le menton. Je gonflai mes poumons, perdu dans mon compte lorsque mes yeux aperçurent Père Vincent.

Il était là, me regardait.

Sa bouche qui maudit n'est que fraude et violence, sa langue, mensonge et blessure.
Il se tient à l'affût près des villages, il se cache pour tuer l'innocent. Des yeux, il épie le faible,
il se cache à l'affût, comme un lion dans son fourré ; pour surprendre le pauvre, il l'attire, il le prend dans son filet.
Il se baisse, il se tapit ; de tout son poids, il tombe sur le faible.
- Psaume 9B :7-10 –

L'angoisse se transforma en terreur absolue.

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