Chapitre 40
Loïs
Le téléphone coincé entre l'oreille et l'épaule, je récupérai les deux sacs dans le coffre.
— Je ne comprends pas, il y a de la place chez tes grands-parents !
— Mamma, soupirai-je.
— Quoi ?
— Nous préférons ne pas nous imposer.
Ce week-end, ma mère avait proposé que nous venions leur rendre visite. Une idée qui naissait de son désir de me prouver qu'elle m'aimait toujours et que mon histoire d'amour avec Eliott était acceptée. Je lui en étais reconnaissant et profondément soulagé.
Eliott était déjà à l'intérieur de l'hôtel pour prendre la clé de la chambre, mais sortit du bâtiment pour me rejoindre et m'aider avec les sacs.
— Mamma, nous sommes à l'hôtel, nous arrivons bientôt.
— Oh bien ! Faites vite !
— À tout à l'heure, souriai-je avant de raccrocher.
J'aperçus un petit rictus sur les lèvres pulpeuses d'Eliott, chose qui me réconforta. Revenir ici ne le mettait jamais à l'aise, cependant, il faisait des efforts et je lui faisais confiance pour m'avertir de ce qu'il n'était pas prêt à faire.
Depuis notre conversation à ce sujet, les choses étaient plus simples. Je n'avais aucune envie qu'il se force à quoi que ce soit et j'étais profondément triste de savoir qu'il s'était senti plus ou moins contraint de faire certaines choses pour me rendre fier. Comme si c'était nécessaire...
— Tua madre brontola ? rigola Eliott en se dirigeant vers l'hôtel. (Ta maman rouspète ?)
— Regardez-moi le ! Tout content de sortir de belles phrases italiennes ! m'exclamai-je tandis que mon homme s'esclaffa. Elle ne rouspète pas ! Elle ne comprend pas pourquoi nous ne logeons pas chez mes grands-parents.
— Tu veux dire à part l'évidence ?
Eliott, qui était devant moi, tourna la tête au-dessus de son épaule pour me lancer un clin d'œil. Il s'arrêta devant l'ascenseur, ce qui me permit de me pencher vers lui, à quelques centimètres de sa bouche.
— Ma mamma ne voit pas l'évidence dont tu parles.
— Elle te croit vierge ? s'étonna faussement mon petit ami.
Les portes s'ouvrirent et Eliott s'infiltra en vitesse à l'intérieur de la cage métallique.
— Je vois que j'ai affaire à un petit clown aujourd'hui, lâchai-je nonchalamment.
Eliott s'appuya contre moi et pencha la tête en arrière. L'invitation était claire et je n'y résistai pas ; mes lèvres goûtèrent aux siennes avec délice jusqu'à ce que l'ascenseur nous amène au deuxième étage.
La chambre était sommaire, mais nous n'y passerions que deux nuits. Ma mère et mes grands-parents avaient établi un programme, comme une sorte de plan en prévision de notre venue. Eliott stressait légèrement, cependant, il n'en montrait rien. Et je lui avais promis qu'il n'y aurait plus de propositions religieuses quelconques.
Lorsque j'avais exprimé le problème à ma mamma, elle avait été peinée par sa maladresse. Mais le plus important était, qu'à présent, les limites de chacun étaient respectées.
Nous aurions donc des repas gloutons dignes de ma grand-mère, des après-midis à jouer aux cartes pour satisfaire mon grand-père et des balades en forêt pour ramasser des champignons.
— Combien de temps on a devant nous avant de devoir rejoindre ta famille ? demanda Eliott en balançant son sac près de la fenêtre.
— Eh bien, plus tôt nous les retrouvons, mieux c'est pour eux.
— Che peccato... murmura-t-il en s'étirant. (quel dommage)
Les bras en l'air, il étira sa colonne vertébrale et releva sa chemise en coton verte que je lui avais offerte pour son anniversaire en novembre. Il eut de nombreux cadeaux de la part de nos amis, nous avions fait une petite fête et il avait été lumineux. Il l'était toujours à travers mes yeux, mais ce soir-là, rien n'aurait permis de voir ses préoccupations. L'enquête religieuse n'avait toujours pas statué et cela agitait Eliott chaque jour un peu plus.
— Tu vas parler italien tous le week-end ? lançai-je en m'approchant de lui.
— Je me mets dans l'ambiance.
Ses bras s'étirèrent vers moi pour se nouer autour de mon cou.
— Bien sûr, je pourrais me mettre dans un italien, directement... Je serais alors vraiment très... imprégné.
Impossible de me retenir ; un rire tonitruent emplit la petite chambre.
— J'aime bien l'idée de t'imprégner, rigolai-je encore.
Mon téléphone émit une sonnerie brève, indiquant ainsi l'arrivée d'un texto.
— Oh la mamma, indiqua Eliott en se reculant.
Son intonation était joueuse, il adorait me taquiner sur le fait que j'avais le cliché parfait de la maman italienne aimante et limite envahissante. Pour preuve, ses appels et messages avaient une sonnerie distincte et Eliott l'avait remarqué.
J'espérais sincèrement que ma relation avec ma mère ne réveillait pas ses propres blessures avec ses parents nocifs... Mais Eliott n'avait jamais éprouvé ce genre de transfert.
Je récupérai le téléphone, coincée dans la poche arrière de mon jean. La madre Livia rouspétait bel et bien cette fois-ci ; elle se languissait de nous voir.
— Elle a hâte de nous voir arriver.
— Allons-y, je suis prêt.
Son doux sourire m'assura sur le fait qu'il n'y voyait aucun inconvénient. Ainsi, vingt-minute plus tard, nous étions entourés par mes grands-parents et ma mère, qui nous accueillaient comme si nous ne nous étions pas vus depuis des années.
Ma mamma cuisinait tandis que le reste d'entre nous était dans le salon. Une montagne de biscuits à l'amande trônait au milieu de la table et des tasses fumantes en porcelaine accompagnaient chacun d'entre nous.
— Quelle farce, tu ne peux pas mettre un Roi ! s'indigna mon grand-père.
— Et pourquoi pas ?
— Tu n'as pas d'autres atouts ?
— Se fosse così, avrei messo un altro. Stupido, marmonna Cécilia. (si c'était le cas, j'en aurais mis un autre.)
Eliott ricana, visiblement très heureux de comprendre à présent les répliques italiennes de ma grand-mère.
— Oh, à ta place, je ne ricanerai pas ainsi, mon petit, grommela Fernand à l'intention de mon homme. Tu vas avoir droit à la même chose avec celui-là.
Il fit un geste vers moi, me désignant ostensiblement comme un futur problème en raison de mes origines !
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ? jeta ma nonna en fronçant ses sourcils gris.
— Que vous, les italiens, vous en faîtes des tonnes.
— Celui qui en fait des tonnes dans notre couple, c'est plutôt Eliott, papi.
— Pardonami ?! s'écria Eliott en s'étouffant avec son thé.
Fernand sursauta sous l'éclat soudain de ma rose, ce qui me fit rire.
— Oh, tu lui apprends l'italien ?
— Un peu.
L'enthousiasme de nonna illumina son visage ridé et elle posa ses cartes sur la table avant de croiser les doigts pour se pencher vers Eliott.
— C'est la plus belle langue du monde.
— Sauf quand on entend que des insultes, bougonna mon grand-père. Je vais t'enseigner les gros mots, que tu saches à quoi tu as affaire.
Il fit un clin d'œil à Eliott qui gloussa en hochant la tête. Tout cet échange me réchauffait tellement que j'en aurais sauté de joie.
•
Eliott
Les sous-bois avaient cette odeur caractéristique d'humidité et de sapins. J'adorais ça, d'autant plus que je n'allais jamais en forêt et les parcs de Grenoble n'offraient pas le charme qui s'étendait sous mes yeux. Les arbres se drapaient tantôt d'épines, tantôt de feuilles ocres et marron.
La cueillette des champignons était une activité nouvelle pour moi et je m'amusais drôlement. Surtout parce que, comme à leur habitude, Fernand et Cécilia se chamaillaient. Ce champignon était vénéneux, non il ne l'était pas, si il l'était, est-ce que c'est toi qui cuisine ? Mes joues me faisaient mal à force de rire.
Je cherchai activement sous la mousse, au pied des arbres, entre les branches mortes, cependant, mon regard était partout à la fois. Attiré autant par la verdure au sol qu'en l'air pour admirer les rayons du soleil percer la canopée.
— J'en ai trouvé ! cria mon homme à ma droite.
Je m'empressai de le rejoindre, avide d'en trouver moi-même. D'après les instructions de Fernand, les champignons poussaient en colonie, si vous en trouviez un, il y avait de fortes chances que vous en trouviez d'autres autour.
En m'approchant, je vis le chapeau orangé caché sous une feuille marron.
— Comment tu as vu ça ? m'étonnai-je.
— L'expérience, fanfaronna Loïs avec un clin d'œil. Cherche par là.
Son doigt pointa une direction et j'obéis aveuglément, excité à l'idée de trouver mon premier lactaire. Consciencieux, je m'accroupi et m'aidai d'un bâton pour repousser les feuillages. Et à ma plus grande joie, quelques instants plus tard, un sanguin apparut sous mes yeux émerveillés.
— J'en ai trouvé un ! hurlai-je sans pouvoir me retenir.
— Bene piccolo, me félicita Cécilia.
Nous ne remplîmes pas tous les paniers, pourtant, la victoire était là. Dans ce petit moment partagé avec des personnes qui débordaient d'amour et de tolérance. J'étais heureux d'être accepté par la famille de Loïs et à chaque fois que mon petit ami voulait leur rendre visite, je comblais un peu le vide affectif qu'avaient créé mes parents.
Sur le chemin de retour vers la voiture, Livia vint se poster près de moi. Elle se racla la gorge et j'eus le sentiment que l'instant allait s'alourdir.
— Eliott, je voulais te dire... commença-t-elle, hésitante. Je ne voulais pas en reparler, mais j'ai besoin que tu comprennes que...
Visiblement, les mots avaient du mal à sortir, néanmoins, je patientais.
— Ce que tu as vécu est horrible, exhala-t-elle enfin. Lorsque Loïs m'a raconté, j'étais horrifiée, c'est quelque chose qui va à l'encontre de nos croyances. Et je veux que tu saches que même si nous avons toujours la foi, jamais nous n'accepterons de tels traitements.
Je m'immobilisai sur le chemin et Livia se tourna vers moi. Avant que je ne puisse répondre, elle me prit dans ses bras.
— Tu fais partie de la famille, maintenant, et nous ne sommes pas tes parents. Avec nous, tu seras aimé, chéri et jamais jugé.
L'émotion me brûla la trachée et les yeux. Mes mains enserrèrent plus fortement le petit corps de ma belle-mère.
— Merci, murmurai-je.
Je n'étais pas capable de plus.
Cécilia nous rattrapa et mit fin à cet instant émouvant, emplit de promesses. J'eus l'espoir fou de pouvoir enfin connaître un amour maternel. Qu'un jour, je trouve ma place au sein d'une famille aimante et saine.
— Livia ! Nous devrions les cuisiner avec une sauce tomate ! proposa la nonna.
Nous reprîmes la route tous les trois et Cécilia commença à me parler de tous ce que l'on pouvait cuisiner avec ces champignons. Poêlée avec de l'ail et du persil, en omelette, en accompagnement avec une bonne viande grillé ou encore mis en bocaux, marinés au vinaigre. Je salivais d'avance.
Loïs se trouvait devant nous et discutait avec son grand-père lorsqu'il s'arrêta net, attirant l'attention de tous. Ses mains tenaient son téléphone avec raideur.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Fernand.
— Eliott, murmura mon italien.
Il releva le regard vers moi et ses yeux noirs étincelaient puissamment.
— Tu n'as pas ton téléphone ?
Par automatisme, je cherchai dans ma veste et dans les poches de mon pantalon. Ne trouvant rien, je secouai la tête. J'avais du le laisser dans la voiture.
Son bras me tendit son portable et mon cœur commença à s'agiter sous mes côtes. D'une main tremblante, je me saisis de l'objet. Sur l'écran, un mail commun entre Loïs, le curé Emmanuel et moi-même.
« Bonjour,
Je suis ravi de vous remettre de bonnes nouvelles. Lors de l'enquête, père Vincent a finalement avoué ses actes, pensant être dans son bon droit.
Toutefois, l'Évêque nous a remit la lettre décisionnaire, que je vous transfère en pièce jointe. J'ai le plaisir de vous annoncer que la Congrégation de la Doctrine de la Foi a statué sur les accusations à l'encontre du père Vincent. C'est officiel, il est révoqué, renvoyé à la vie civile et n'aura plus le droit de faire office en tant que représentant de l'Église. .... »
Il y eut d'autres phrases, mais mes yeux se remplirent de larmes, m'empêchant de lire davantage.
— Qu'y a-t-il ? s'enquit une fois de plus Livia.
— Père Vincent n'est plus... père Vincent, souffla Loïs. Il a été répudié.
J'avais du mal à réaliser. Tout le monde marmonna et moi je restais les yeux rivés sur le mail, quand bien même je n'y voyais rien. Il était révoqué.
Ce ne fut pas une explosion de joie, ce fut plus insidieux. Un sentiment lent, très progressif qui rampait sous ma peau avec difficulté.
Toutes ces années, j'avais été résigné. Convaincu que personne ne reconnaitrait la culpabilité et les fautes de cet homme. Et pourtant, nous y voilà.
J'étais un gamin de dix-sept ans, subissant la folie d'un fou et aujourd'hui, à vingt-trois ans, j'avais enfin la satisfaction de voir l'Église punir cet homme. Cette décision, plus que les autres, revêtait un symbole.
Parce qu'il avait osé infliger de tels sévices au nom de Dieu, sous prétexte qu'il était prêtre, qu'il était au service du Seigneur... Alors quoi de mieux pour le punir que lui retirer son titre, de lui montrer que l'Église, que Dieu lui-même se détournait de lui ?
J'espérais que la honte et le déshonneur le marquerait à vie.
Je tremblais de plus en plus et j'eus peur de lâcher le téléphone. Tout à coup, Loïs fut là. Il m'enlaça, son parfum imprégna mes narines.
— Ça va allez, mia rosa, chuchota-t-il entre mes boucles.
— Oui, répondis-je d'une voix étranglée. Ça va aller.
Ça ne pourrait aller que bien à présent que ce monstre était déchu. J'étais conscient que je pouvais espérer plus, que la justice pouvait également passer par un procès et par une condamnation. Mais c'était une autre étape, plus compliquée, plus fastidieuse, moins réalisable.
À cet instant, cette victoire fut tout ce qu'il me fallait pour refermer en partie une fracture en moi.
*
🌹
⭐️
Ceci est le dernier chapitre, cependant, un épilogue clôturera pour de bon cette histoire...
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