Chapitre 4

Ne sois pas loin : l'angoisse est proche, je n'ai personne pour m'aider.
- Psaume 21 :12 -

Décider de tout révéler était une chose. Passer à l'action devint plus compliqué. Mon regard se décrocha des billes noires de Loïs pour se poser sur l'arbre le plus proche.

Il était clair qu'il n'y avait pas de bonne façon d'annoncer ce que je m'apprêtais à dire. Chacun des mots serait dur, éprouvant.

Je me raclai la gorge une énième fois et chassai la boule d'émotion. Après une grande inspiration, je me mis à parler.

— Je n'étais pas malade.

— Quoi ?

Ne pas le regarder. Ne pas le regarder. L'arbre était apaisant avec sa force et sa majesté, il s'élevait vers le ciel avec grâce. J'observais ses grosses branches mises à nu et l'angoisse me saisit. Mon corps frissonna et le froid ambiant devint tout à coup plus mordant, plus incisif.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? s'enquit Loïs.

Sa voix m'ancra à l'instant présent. Mon esprit naviguait entre souvenirs et réalité. Je serrai les poings et plantai mes ongles dans mes paumes. La douleur m'aidait à chasser la tétanie.

— Je n'étais pas malade. C'est un mensonge, déclarai-je dans un souffle.

— Mais- qu'est-ce que tu avais alors ? Pourquoi mentir ?

— Tu te souviens de la dernière fois que l'on s'est vu ?

Loïs resta silencieux un moment et je le sentis gigoter à mes côtés. L'arbre resta cependant mon point de mire, je ne le lâchai pas.

— Bien sûr, finit-il par dire. On était au stade et on...

— On s'est embrassé, terminai-je, le rouge aux joues.

— Oui. C'est à cause de ça ?

Il n'était pas bête. Loin de là. Nous étions tous les deux issus d'une famille très croyante, nous allions à l'église, nous étions même dans un lycée privée catholique. La religion faisait partie intégrante de nos vies. Le fait d'avoir été surpris par ma mère ce jour-là était tout sauf anodin. Il s'était inquiété le soir venu, le lendemain également, jusqu'à ce que je le rassure, que je prétende que tout allait bien.

Deux jours après, je faisais mon premier séjour à l'église pour une séance de prières intensives. Encore deux jours après, j'étais enfermé de force.

— Eliott ? persista Loïs, la voix paniquée.

— Mes parents l'ont très mal pris.

La tonalité de ma phrase me surprit, c'était neutre, détaché. Je n'entendis aucune réponse de la part de Loïs, alors je continuai simplement, avant que le courage ne m'abandonne.

— Je t'ai dit que tout allait bien, mais c'était pas vrai. Ils étaient furieux. Ma mère s'est tournée vers l'Abbé Vincent. Il a conseillé de...

— De quoi ? Qu'est-ce qu'il a conseillé ? s'empressa Loïs.

— De m'aider. À chasser les démons en moi. Ils m'ont amené une première fois pour une séance d'exorcisme.

— Qu'est-ce que-

— Puis ils m'ont ramené une deuxième fois et là, ils m'ont enfermé pendant une semaine, débitai-je.

Le silence tomba sur nous de manière si pesante que j'en sentis la lourdeur sur mes épaules. Loïs resta sans voix et je poursuivis.

Je relatai avec le plus de détachement possible ce qui s'était passé. Certains détails m'échappèrent, d'autres restèrent coincés sur ma langue. Je parlais sans m'arrêter jusqu'à expliquer mon retour chez moi, le déni de mes parents à propos de ce que j'avais vécu, cette politique implicite du silence.

Lorsque je terminais, ma gorge était irritée, ma langue pâteuse et mon ventre en vrac. Pour autant, j'avais l'impression d'être plus léger, un poids s'était envolé. Exactement comme je l'espérai en partageant mon calvaire.

Le silence s'éternisa, si bien que je tournai enfin la tête vers Loïs. Ses yeux noirs brillaient de larmes contenues, je le vis pincer les lèvres fermement et après plusieurs secondes de contact visuel fixe, il papillonna des paupières. Une seule larme coula sur sa joue.

— Oh mon Dieu, je- je suis désolé, Eliott, murmura-t-il.

J'aurais aimé répondre que ce n'était pas sa faute, mais j'en étais incapable.

— Est-ce que... vous avez dénoncé père Vincent ?

— À qui ?

— À la police ! s'exclama Loïs. Je suis sûr que c'est punissable ! Il n'a pas le droit de faire ça, c'est un crime.

— Mes parents ont décidé de taire le sujet.

— On peut pas juste faire comme si de rien n'était !

L'indignation de Loïs me réconforta, j'avais tellement d'amertume et de rancœur en moi. J'avais envie de crier à qui voulait l'entendre à quel point c'était inacceptable. Mais toute cette colère était souvent étouffée par la peur. Peur de parler, peur d'être à nouveau enfermé. Peur de ne pas être cru.

— Eliott, persista Loïs en me prenant la main. On doit en parler à la police. Et en référer au curé.

— Je sais pas, je- je vais y réfléchir, ok ?

Le ton de ma voix laissait sous-entendre toute l'étendue de mon angoisse. Loïs me fixa longuement, sans rien dire, sans bouger.

— D'accord, soupira-t-il en hochant la tête. Tu ne vas pas y retourner, n'est-ce pas ?

Cette question réveilla la terreur. Y retourner ? Où ça ? À l'église ? En séance d'exorcisme ? Ou en thérapie de conversion ? Quoi que veuille dire Loïs, j'espérais que non. Mais encore une fois, mes parents n'avaient pas abordé le sujet.

— Je ne sais pas, chuchotai-je, le ventre noué.

— Si tes parents n'étaient pas d'accord avec ça, je doute qu'ils retournent à l'église, non ?

— J'en sais rien.

Tout à coup, Loïs se jeta sur moi pour m'entourer de ses bras forts. L'étreinte me choqua par sa soudaineté, néanmoins, j'en fus très vite heureux. La chaleur de son corps m'enveloppa et je soupirai d'aise, refermant moi aussi mes bras autour de sa taille.

— Nous aurions dû être plus vigilant, marmonna-t-il dans mes cheveux.

Nous aurions dû, oui... Les larmes affluèrent automatiquement. La douleur dans ma poitrine m'oppressait, j'en avais assez de cette sensation.

Loïs se recula et son visage afficha une expression triste, sérieuse.

— Est-ce que ça veut dire qu'on ne peut pas être ensemble ?

Je savais que de son côté, Loïs n'avait rien dit à ses parents, ils ignoraient son homosexualité et ce n'était pas dans ses plans d'avouer cette vérité. Tout comme ça n'avait pas été dans les miens. Ce secret m'allait. Je savais que mes parents auraient eu du mal à comprendre. En revanche, je ne me doutais pas de ce qu'ils étaient prêts à faire pour contrer cet état de fait.

Pour Loïs, la situation pouvait être identique ou totalement différente. Mais il était clair qu'il n'allait pas tenter le diable, surtout après mes confidences.

Au final, je ne savais presque rien de sa situation familiale, seulement que comme moi, il était fils unique, qu'il allait à l'église aussi souvent que nous, qu'il croyait en Dieu et que pourtant, sa vie ressemblait à celle des autres adolescents de notre âge.

— Tu n'as pas peur ? l'interrogeai-je.

— Peur de quoi ?

À ce moment-là, j'aurais pu énoncer plusieurs facteurs ; ses parents, l'église, Père Vincent, le regard des autres... Mais je me contentais de ce qui m'intriguait le plus.

— De Dieu.

— Pourquoi devrais-je avoir peur de lui ? s'étonna Loïs en fronçant les sourcils.

— Il ne nous accepte pas tel que nous sommes.

— C'est faux, contra-t-il en écarquillant les yeux. « Tu as du prix à mes yeux et je t'aime, Isaïe 43,4. »

Je fermai les yeux avec force en entendant ce verset. Ma voix intérieure voulut prendre le dessus et me délivra multitude de réponses adéquates, tantôt pour abonder dans son sens, tantôt pour contrer cet argument. C'était si difficile de s'y retrouver.

— L'Église considère l'homosexualité comme étrangère à la loi naturelle et la Bible qualifie les actes homosexuels d'abomination. Alors comment ne pas croire que Dieu lui-même condamne l'homosexualité ?

Mes yeux retrouvèrent leur point de mire préféré, l'arbre le plus grand face à moi. Mon cœur avait si mal qu'il peinait à battre sous mes côtes et je ne supportais pas l'idée de regarder Loïs, de le laisser contempler toute cette douleur en moi.

— J'imagine que c'est une question d'interprétation et d'ouverture d'esprit. Le pape François a dit : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? ». Je pense que c'est une erreur de considérer que l'homosexualité est ce qui détermine une personne. Je ne suis pas qu'un gay et l'homosexualité n'est jamais le tout de la personne. Nous sommes avant tout des enfants de Dieu et donc nous ne pouvons être placés sous le spectre de la fascination ou de la diabolisation.

À l'entente des paroles de Loïs, mon cœur rata un battement et mon regard se tourna vers lui. Il était évident qu'il avait longuement réfléchi à sa condition et avait concilié foi et homosexualité.

— Je comprends que tu aies peur après ce que tu as... mais ils n'ont pas raison, ce ne sont que des hommes qui se sont fourvoyés, assura-t-il en prenant ma main.

— Et qu'est-ce qui te permet de dire que c'est toi qui as raison ? répliquai-je, légèrement amer.

— Parce que je ne fais de mal à personne. « Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? Qui habitera ta sainte montagne ? », récita-t-il.

Loïs me fixa dans l'expectative et je compris après plusieurs secondes de silence qu'il attendait de moi que je poursuive ce psaume.

« Celui qui se conduit parfaitement, qui agit avec justice et dit la vérité selon son cœur », continuai-je alors d'une petite voix.

— « Il met un frein à sa langue, ne fait pas de tort à son frère et n'outrage pas son prochain. »

— « À ses yeux, le réprouvé est méprisable, mais il honore les fidèles du Seigneur. S'il a juré à ses dépens, il ne reprend pas sa parole. »

— « Il prête son argent sans intérêt, n'accepte rien qui nuise à l'innocent. »

Il s'arrêta et sa prise sur mes mains se raffermit juste avant qu'il ne les amène à sa bouche et dépose un petit baiser.

— « Qui fait ainsi demeure inébranlable », acheva-t-il.

Ma gorge était bien trop comprimée pour que je ne puisse répondre. J'aurais aimé avoir sa foi, ses convictions. Être capable de ne pas me fustiger d'être qui j'étais. De ne pas associer la religion, ma foi et Dieu à mes malheurs vécus.

Voglio stare con te, confia Loïs. (je veux être avec toi)

Je souris face à cette déclaration en italien. Ses origines l'avaient poussé à prendre italien en LV2, je trouvais que c'était de la triche étant donné qu'il parlait couramment cette langue grâce à ses grands-parents maternels. Moi, je galérais, toutefois, je compris le sens de sa phrase.

— Moi aussi, je veux être avec toi, admis-je sincèrement, malgré ma peur.

— Vraiment ?

— Oui.

Déglutir m'arracha la gorge, mais il fallait que j'écoute mon cœur. Si j'abandonnai ce que j'éprouvais pour Loïs, alors je leur donnais raison. Avaient-ils raison ? Non.

Grazie Dio, soupira-t-il. Voglio baciarti. (Dieu merci. Je veux t'embrasser)

— Tu sais, c'est pas parce que j'ai des notes pourries en italien que je comprends pas le sens général.

— Je sais.

Son regard pétilla de malice et un mince sourire étira ses belles lèvres. Je tentais de détourner les yeux de cette tentation ; ce fut peine perdue.

Io posso ? demanda-t-il.

Mon cœur s'anima dans tous les sens. Pouvait-il m'embrasser ? Heureusement que j'étais déjà assis, mes jambes ne m'auraient plus supporté.

Le magnifique visage de Loïs me donna la réponse et je hochai naturellement la tête en signe d'assentiment. Sans un mot de plus, il se pencha vers moi et posa ses lèvres sur les miennes.

La douceur m'étonna, ainsi que l'instant de flottement pendant lequel aucun de nous ne bougea, nous restâmes simplement scellés par les lèvres, appréciant la sensation. Je fermai les yeux, déstabilisé par l'avalanche d'émotions positives qui me traversa lorsque Loïs s'anima enfin. Sa bouche appuya sur la mienne et une danse s'engagea entre nous, un ballet d'enchevêtrement sensuel et lent.

Cela dura des heures. Ou plus vraisemblablement des minutes entières, mais ce fut le plus beau moment de ma vie. Mon cœur battait si fort qu'il accélérait ma respiration et rendait notre baiser plus difficile, haletant.

Finalement, Loïs se sépara de moi, le souffle court. Heureusement qu'il s'éloigna, sinon j'aurais fini mort, asphyxié. Jamais, je n'aurais pu me détacher de lui, pas alors que c'était si doux, si bon. Tout mon corps était chaud, en proie à un bien-être que je n'avais jamais connu.

Un instant, nous restâmes à se fixer comme deux débiles, dans le silence et cherchant à reprendre notre souffle. Encore une fois, Loïs brisa le moment pour passer à autre chose. C'était toujours lui l'instigateur de tout. Il contrôlait absolument chaque situation. Et ça m'allait, j'étais bien trop timide, peureux et fébrile.

— J'ai un cadeau pour toi, déclara-t-il en souriant avec force.

— C'était le plus beau cadeau de tous les temps, avouai-je en rougissant.

Mes mots furent suivis d'un silence étrange. Loïs me regarda avec circonspection avant que son visage se déforme pour retenir un rire. Perplexe, je fronçai les sourcils. Il se moquait de moi ?

— Je ne te l'ai pas encore donné, Eliott.

— Hein ?

— Le cadeau, il est dans mon sac.

— Oh, dis-je péniblement en comprenant mon impair.

Loïs ricana furtivement avant de se reprendre et de fouiller son sac à dos. Mon rougissement me brûlait l'ensemble du visage, je devais ressembler à une tomate farcie !

Sa main attrapa un petit paquet carré emballé dans un papier brillant violet. Il me le tendit fièrement, son sourire toujours accroché sur ses lèvres. Des lèvres très douces.

— J'ai été très déçu lorsque tu as annoncé que tu ne fêterais pas ton anniversaire avec nous, indiqua-t-il. Mais j'ai quand même acheté quelque chose.

— Merci, Loïs.

D'une main tremblante, je récupérai le cadeau. Passer le jour de mes dix-sept ans, enfermé chez moi avait été une véritable punition. Mes parents avaient pensé que j'étais encore trop faible pour faire la fête. Alors que tout ce que je voulais était de partager cette journée avec mes amis, au parc ou en jouant aux jeux vidéo, rien de bien fatiguant en somme.

Qu'ils me privent de cet anniversaire n'avait fait que renforcer ma colère envers eux et cette sensation horrible qu'ils souhaitaient me punir, me contrôler. Dans leur esprit malfaisant, leur devoir était de m'écarter de la tentation et donc de Loïs. Voilà pourquoi ils m'avaient gardé à la maison, retardant mon retour au lycée. Ils étaient ignobles.

— Tu n'ouvres pas ?

— Si ! m'exclamai-je, revenant à la réalité.

En trois secondes, j'avais arraché le papier cadeau pour découvrir le nouvel album d'Adèle. Ma chanteuse préférée. La joie explosa en moi et je ne retins pas mon cri d'enthousiasme, ni mon sourire éclatant.

Sans réfléchir, je me jetai sur Loïs pour le serrer dans mes bras.

— Merci !

— Buon compleanno, Eliott. (Joyeux anniversaire)

Mes doigts enserrèrent sa veste parka et d'un mouvement brusque je l'amenai à moi. L'impulsion guida mes gestes, je ne m'aperçus de ce que je faisais uniquement lorsque ma bouche se retrouva imprimée sur la sienne. J'initiai un baiser pour la première fois. Loïs lâcha un son guttural et s'accrocha à ma taille, tout en répondant avidement à mes mouvements. C'était incroyable. J'étais comme transporté dans un autre univers.

Je ne me lasserai jamais de cette sensation. Mais encore une fois, le manque d'air nous contraignit à nous séparer.

Ti farò dei regali più spesso.

— Hein ?

— Je vais te faire des cadeaux plus souvent.

Loïs parvint encore une fois à me faire rougir avec ces mots, ça devenait une habitude. J'allais devoir remédier à ça. Je passais pour une vierge effarouchée. Ce que j'étais, clairement.

— Arrête de faire cette moue, j'aime voir tes joues se colorer.

— C'est le froid, tentai-je d'esquiver.

— Le froid ? Bien sûr ! rigola Loïs en reprenant son sandwich.

— Tout à fait !

— Accord, baragouina-t-il, la bouche pleine.

Mon ventre grogna à nouveau et j'imitai mon petit-ami. Ce sandwich fut succulent.

Durant l'heure qui suivit, nous discutâmes des cours que j'avais ratés, des potins entre potes, de ses entraînements de foot, du dernier jeu vidéo... et au milieu de tout ça, il y eut beaucoup de baisers.

Avant de retourner en cours, j'osais demander à Loïs de rester discret pour nous. Il accepta avec simplicité, comprenant mon angoisse à l'idée qu'à nouveau on découvre la nature de notre relation. De son côté, cela l'arrangeait, il ne voulait pas que ses parents le sachent. Seuls nos amis seraient dans la confidence. C'était mieux ainsi.

Prudence est mère de sûreté.

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