Chapitre 37

Dieu aide ceux qui s'aident eux-mêmes.
- Benjamin Franklin -

Loïs

Claire me fit signe de l'autre côté de son jardin. Son corps sautillait telle une sauterelle, ce qui faisait virevolter sa robe à fleur bleue. S'inquiétait-elle de se retrouver les fesses à l'air ? Pas le moins du monde.

Rigolant dans ma barbe, je me dirigeai vers elle.

—    Les saucisses sont cuites, chuchota-t-elle.

—    Pardon ?

—    Les saucisses.

Elle répéta ces mots comme si tout à coup j'allais comprendre. Je pivotai ma tête dans tous les sens, cherchant quelque chose qui pourrait s'apparenter de près ou de loin à des saucisses.

Claire nous avait invité dans la demeure de ses parents qui possédaient un jardin, mais nous ne faisions pas de barbecue. Mon regard dévia d'un ami à l'autre, en passant par Arnaud qui rigolait à gorge déployée avec mon petit-ami.

Était-ce eux les saucisses ? Le soleil leur avait donné de jolies couleurs, caramel pour Arnaud, rouge écrevisse pour Eliott.

—    De quoi tu parles ? finis-je par demander.

—    C'est pas comme ça qu'on dit ? Les saucisses sont cuites ?

—    Les saucisses sont... m'interrompis-je tandis que je percutais.

Un éclat de rire réchauffa ma poitrine et attira les regards sur nous.

—    Chut ! Tais-toi, gronda mon amie en frappant mon épaule.

—    L'expression c'est les patates sont cuites. Pas les saucisses !

—    Oh, c'est pareil, l'idée est là.

—    Bon et quelle idée ?

Son regard chocolat me fusilla et elle croisa les bras.

—    Je sais que tu es noyé dans ton bonheur extrême puisque tu vas vivre avec ta douce rose, mais peut-être que tu pourrais t'intéresser au bonheur de ton amie aussi, non ?  

—    Combien de verres de vin as-tu bu ? renvoyai-je.

—    Pas assez, s'indigna-t-elle en me frappant une nouvelle fois l'épaule.

Je ricanai devant son attitude, cependant, je repris mon sérieux rapidement. Elle avait raison, même si j'étais sur un petit nuage depuis la proposition de mon amour, je me devais d'être encore à l'écoute de mes amis.

—    Vas-y, raconte-moi.

—    Sébastien m'a embrassé dans le couloir, tout à l'heure, chuchota-t-elle en se penchant vers moi.

—    Quoi ? m'étonnai-je, les yeux ronds.

—    T'es sourd ? Il m'a galoché, genre il a choppé mes joues, plaqué ses lèvres contre les miennes et enfoncé sa langue dans ma bouche.

—    Ah, c'est tout de suite plus clair.

Après un grognement, elle tapa mon bras pour la troisième fois, poing serré cette fois-ci. Quelle sauvage.

—    Arrête de me taper, soupirai-je.

—    Arrête d'être con, c'est important !

—    J'arrête pas de lui dire, moi aussi.

Claire sursauta et poussa un cri strident en se tournant vers Eliott.

—    Oups, je voulais pas t'effrayer, rigola mon petit-ami.

—    Pourquoi t'es aussi discret ? Et est-ce que tu pourrais te séparer de ton homme plus de dix minutes ? J'ai besoin de lui parler. Cas de force majeure.

—    Ouais, les saucisses sont cuites, me moquai-je.

Claire se retourna vers moi à toute vitesse, le regard mauvais et j'eus la présence d'esprit de me reculer avant qu'elle ne me foute son poing dans la gueule. Eliott fronça les sourcils à ma remarque puis secoua la tête.

—    Ça risque d'être difficile, s'amusa-t-il en se rapprochant de moi.

Il plaqua son corps contre le mien, l'une de ses mains caressa le bas de mon dos alors que l'autre me tendit mon téléphone.

—    Il a sonné plusieurs fois. C'est curé Emmanuel.

—    Oh, exhalai-je, tout amusement envolé.

Je récupérai le téléphone et vit les appels manqués sur l'écran. Je m'excusai auprès de Claire et m'éloignai pour rappeler. Le stress rendit mes mains moites. Eliott me suivit jusqu'à un arbre à l'écart du jardin.

D'après l'expression grave dans ses yeux, je pouvais deviner à quel point il était anxieux également. Si père Emmanuel nous appelait, c'était forcément pour nous délivrer ce qu'il adviendrait de notre requête.

Il avait assuré qu'il enquêterait et d'en référer le cas échéant à leurs supérieurs hiérarchiques. Avait-il eu d'autres preuves ? Des aveux ? Trois mois s'étaient écoulés depuis notre rencontre à Voiron, j'étais conscient qu'il était en charge de plusieurs paroisses, il ne pouvait donc pas concentrer son temps à l'église de Coublevie pour soutirer des aveux de père Vincent.

Néanmoins, j'avais trouvé le temps terriblement long, d'autant plus que le côté juridique n'avançait pas du tout non plus.

—    Bonjour, Loïs, décrocha père Emmanuel.

—    Bonjour, mon père.

—    Comment allez-vous ?

J'inspirai profondément, retenant mon envie de le presser à tout me dire dans l'instant au lieu de procéder à ses politesses.

—    Je vais bien, mais j'avoue que votre appel me rend nerveux.

—    Oui, je comprends, soupira-t-il avant de se racler la gorge.

—    Allez-vous nous aider ? demandai-je de but en blanc.

Le stress était trop présent et le regard angoissé de mon Eliott aggravait les choses. Je n'avais plus envie d'attendre, j'avais attendu trop longtemps.

—    Eh bien... je vais faire de mon mieux, répondit le curé Emmanuel.

—    C'est-à-dire ?

—    D'après ce qu'Eliott a raconté, j'ai mis au courant le diocèse qui a confronté en premier lieu les sœurs de l'église impliquées. Elles ont admis avoir aidé père Vincent en priant pour Eliott.

Mes doigts écrasèrent mon téléphone en même temps que ma mâchoire se compressa. Entendre ça était une bonne nouvelle, cependant, cela me ramena aux confessions d'Eliott et j'eus mal à nouveau.

—    Elles assurent n'avoir jamais maltraité Eliott et affirment que les parents étaient au courant, qu'ils étaient d'accord.

À ces mots, la nausée acidifia ma gorge.

—    La pièce décrite existe bel et bien, c'est l'endroit où habituellement on range les produits ménagers.

Et où était stocké les produits ménagers ? Dans un foutu placard. Je fus à deux doigts de hurler. L'atrocité qu'impliquait les paroles me retournait l'estomac à chaque fois, peu importe le nombre de fois où j'entendais les faits, j'étais scandalisé.

—    Les descriptions de Clémence sont bien trop vagues pour affirmer qu'il s'agit de la même pièce, poursuivit-il. Elle parlait d'une petite pièce, mais il faisait trop sombre pour y voir quelque chose. Cependant, les sœurs ont confirmé pour elle aussi.

—    Elles ont donc menti à la police, enrageai-je.

—    Il semblerait, oui, soupira-t-il avec contrition. Elles ne voulaient pas attirer d'ennuis à père Vincent, je ne crois pas qu'elles mesuraient pleinement la situation, elles n'étaient pas au courant pour l'absence de nourriture.

—    Qu'est-ce que ça change ? Elles savaient qu'ils étaient enfermés contre leur gré ! Elles ne connaissent pas le sens du mot séquestration ?

Eliott écarquilla les yeux à mes mots et resserra ses bras autour de son torse en un signe évident de protection. Sa respiration était forte, mais il maîtrisait ses émotions. Pour le moment.

J'aurais préféré avoir cette conversation à l'abri de ses oreilles, je n'aimais pas le voir aussi bouleversé.

—    Je vous expose seulement ce que je sais, mon fils, nota père Emmanuel. Entre le dossier que vous m'avez transmis et les propos des sœurs, le diocèse a décidé d'en référer au conseil épiscopal. Le sujet des thérapies de conversion a déjà été évoqué depuis qu'une loi se prépare pour les contrer. L'Église est au courant, elle essuie les accusations de toute part, donc... il y a des chances que ce soit pris au sérieux.

Étrangement, ses paroles me déplaisaient. Elles provoquèrent un pincement dans ma poitrine, quelque chose de désagréable, parce que sous ses mots prudents, j'entendais ce qui était tu. L'Église avait été secoué par le projet de loi, les affaires mis en lumière dans les médias, les accusations de plus en plus bruyantes. Et elle se sentait obligé d'intervenir pour garder la face. Non pas parce qu'elle rejetait ces méthodes barbares, mais bel et bien pour rester imperturbable et intouchable.

—    Cependant, je ne peux vous promettre quoi que ce soit sur la suite, termina curé Emmanuel.

J'entendis le regret dans cette déclaration, qui d'ailleurs me fit l'effet d'un avertissement. Père Emmanuel avait fait ce qui était en son pouvoir, c'est-à-dire mettre en lumière les actes de père Vincent auprès de l'institution religieuse, mais le reste ne dépendait pas de lui.

D'après mes propres recherches et nos brefs échanges avec père Emmanuel, le diocèse devait informer le conseil épiscopal qui lui-même enverrait un recours à la congrégation concernée. Seule cette congrégation pouvait statuer d'une sanction, qui – nous l'espérions -, serait la révocation de père Vincent.

Depuis le dépôt de loi en juin, les thérapies de conversion faisaient plus de bruits et les associations de victimes exigeaient une réponse de la part de l'Église. Malheureusement, il n'y eu que le silence pour l'instant.

Peut-être réagiraient-ils une fois que l'Assemblée Nationale statuerait. Beaucoup de plainte avaient dû être déposé auprès d'eux, prenaient-ils le temps de toutes les analyser ? Rien n'était moins sûr.

—    Il se peut qu'un référent du diocèse en charge de l'affaire souhaite s'entretenir avec les victimes présumées, je pense qu'il serait judicieux de les prévenir que cela pourrait arriver dans les mois à venir.

—    D'accord, acquiesçai-je, la gorge comprimée.

—    J'espère sincèrement qu'il sera corrigé pour ses actes. D'ici là, je garderais un œil attentif sur ses actions.

—    Bien.

Je ne voyais pas quoi répondre de plus. Peut-être aurais-je pu le remercier, mais pour quoi ? Pour agir convenablement ? J'estimais que c'était la moindre des choses compte tenu de la situation.

Après des salutations polies, nous raccrochâmes et je me retrouvai face à un Eliott recroquevillé sur lui-même, les yeux brillants.

—    Qu'est-ce qu'il a dit ? s'enquit-il.

—    Nous devrions rentrer pour en parler calmement.

Ma rose pinça les lèvres, mais hocha la tête en signe d'accord.

Dire au revoir aux amis fut facile, leur expliquer pourquoi nous précipitions autant notre départ fut plus complexe. Seuls Arnaud et Julian savait toute l'histoire, nous dûmes donc mentir.

Aucun de nous ne parlâmes jusqu'à ce qu'on arrive chez Eliott. Je n'avais pas encore emménagé officiellement, cela demandait du temps, de l'organisation et pas mal de paperasse pour que je quitte ma colocation, néanmoins, mes affaires étaient déjà chez mon petit-ami et j'en étais ravi.

—    Ne me fait pas plus attendre, Loïs, dis-moi, réclama Eliott en s'échouant sur le canapé.

Même si je savais que ma rose était fort, il avait des failles et je ne voulais pas le brusquer. Ainsi je m'assis prudemment à ses côtés et pris le temps de détailler la conversation avec tact. Il ne m'interrompit à aucun moment, toutefois, il grimaça plusieurs fois et ses prunelles vertes se voilèrent.

—    Pourquoi ils voudraient nous parler ? demanda-t-il dans un murmure. Les témoignages ne suffisent pas ?

—    J'imagine que cela fonctionne comme dans un procès, malgré le dossier, les victimes témoignent à la barre.

—    Je ne sais pas si je peux faire ça.

Eliott secoua la tête, faisant rebondir l'une de ses boucles, qui s'échouait perpétuellement sur son front. J'adorais la courbure et l'éclat roux qu'elle dégageait parfois au soleil. Ma main s'éleva automatiquement pour la repousser sur le côté tout en appréciant sa douceur.

—    Je pense que nous avons le temps, d'ici là. Père Emmanuel a laissé sous-entendre que cela prendrait du temps. Tu pourras te préparer pour ça, comme tu le feras si nous parvenons à traduire père Vincent devant la justice au cours d'un procès.

À l'instant où je vis Eliott sursauter à mes mots, je sus que j'avais fait un impair.

Malgré tout ce que nous entreprenions, les choses n'évoluaient pas beaucoup et tant que la loi n'était pas actée, il y avait peu de chance qu'on obtienne une forme de justice. D'ailleurs, même après une véritable loi de notre côté, rien n'indiquait que nous ayons ce pour quoi nous nous battions.

Et même si nous y parvenions, je ne devais pas supposer qu'Eliott irait jusqu'au bout, qu'il voudrait d'investir autant. À nouveau, je me demandais si je n'en attendais pas trop de sa part. Si je ne le poussais pas injustement à faire ce parcours...

—    D'accord, approuva Eliott d'une petite voix.

Avant que je ne puisse intervenir, il se leva et marmonna qu'il avait besoin d'une douche. Je le suivis des yeux tandis qu'il disparaissait derrière la porte de la salle de bains, le dos recourbé.

J'avais bien évidemment noté les progrès immenses qu'il avait fait, il s'était détaché des chaînes parentales avec bravoure, il s'était confié sans peur se délestant ainsi de chaque détail qui hantaient ses nuits et j'avais remarqué son affirmation totale dans ses choix et ses valeurs propres.

Et il devait ces bénéfices à lui seul.

Toutefois, ce chemin sur lequel je l'avais entraîné m'apparaissait à présent oppressant pour lui. Il s'était montré fort, avait accepté de faire ce que j'avais suggéré, mais à quel prix ? Et pour quel bienfait ?

Tout ceci lui permettait-il d'aller mieux ? Ou cela ne faisait-il que le rendre plus anxieux ?

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