Chapitre 27

La culpabilité ne s'attache qu'à celui qui demeure ignorant quand il a une chance d'apprendre.
- Frank Herbert -

Eliott

En fixant mon téléphone, je parcourus le message que j'avais écrit à l'intention d'Arnaud. Cela me paraissait bien. J'avais trouvé son compte sur l'un des réseaux sociaux les plus célèbre et après des jours d'hésitation, j'appuyai enfin sur envoyer.

Dans mon message, j'expliquais que j'aimerais que l'on discute, que j'avais souvent pensé à lui et que je regrettais d'avoir coupé les ponts. Même s'il ne souhaitait pas entretenir une relation amicale avec moi, au moins, il lirait mes excuses.

—    Je suis là ! s'écria Julian en apparaissant de nulle part, me faisant sursauter. Je sais, je suis en retard, mais le bus était en retard et j'arrivais plus à me dépéguer de Cédric, c'était insupportable. Mais il est mignon. On se revoit ce soir et-

—    Respire, Ju, tu vas finir par t'étouffer avec tes propres mots, rigolai-je.

—    Hier, j'ai failli m'étouffer sur autre chose, répliqua-t-il en me faisant un clin d'œil.

L'hilarité me secoua et mes yeux s'humidifièrent.

Depuis Cédric, et leur rendez-vous à la fête étudiante avant les vacances de Noël, mon ami s'affirmait de plus en plus. J'en étais heureux pour lui, les séances avec Jules, son médiateur à l'association, l'aidait beaucoup.

D'ailleurs, c'était la raison de notre présence ici, devant l'antenne principale de l'asso ; il voulait voir Jules, dans l'espoir de lui faire lire la lettre écrite pour ses parents. C'était son moyen à lui de faire enfin son coming-out et il voulait l'approbation de son mentor. 

Nous entrâmes donc à l'intérieur. Sur ma gauche, le comptoir d'accueil était vide et le silence régnait. À droite, mon regard fut attiré vers la vitre donnant une vue sur la pièce adjacente où trônait plusieurs bureaux, dédié aux médiateurs qui travaillaient ici.

Deux hommes et une femme étaient assis autour d'une table ronde, discutant tranquillement tout en ayant le nez dans des papiers. Je reconnus facilement Jules, Romain et Audrey.

Je tapai à la vitre et, immédiatement, toutes les personnes se retournèrent vers nous. Jules accueillit chaleureusement Julian et l'entraîna dans une autre pièce à l'arrière tandis que la seule femme, Audrey, vint à ma rencontre pour me prendre dans ses bras.

—    Je suis tellement contente que tu te lances là-dedans !

Son parfum à la violette était toujours le même depuis des années et cette odeur me réconfortait. De plus, cette fleur avait une symbolique pour mon amie qui se l'était fait tatouer sur l'épaule en hommage à sa mère partie d'un cancer du sein. D'après ce qu'elle m'avait confié, la violette était sa fleur préférée et de ce fait celle d'Audrey.

Elle se recula après un long câlin et m'offrit un sourire tendre, laissant apparaitre une fossette à gauche. Cette particularité, ainsi que ses tâches de rousseurs la rendaient incroyablement mignonne. Mais jamais je n'oserais employer ce terme devant elle !

—    Tu vas assurer, renchérit-elle en dégageant une mèche auburn de son œil.

—    Je ne suis pas encore médiateur. J'ai toujours besoin de toi, assurai-je.

—    Ne t'inquiète pas pour ça. C'est comme aux alcooliques anonymes, même les parrains ont des parrains, ricana-t-elle en s'écartant.

J'étais ici parce qu'Audrey m'avait proposé de l'assister pour l'un de ses rendez-vous avec une jeune femme. Même si j'étais en binôme avec Loïs, tous les médiateurs confirmés pouvaient « former » les petits nouveaux comme moi.

—    Allez, ne panique pas, tout ira bien. Tu es là pour écouter et pourquoi pas partager ton expérience. Soit simplement attentif et bienveillant, me conseilla-t-elle.

Je hochai la tête et elle me poussa vers la porte qui donnait sur la grande salle commune. C'était le lieu pour les réunions du mois ou les rencontres de celle que j'allais expérimenter pour la première fois.

Je me plaçai à une table ronde dans un coin, aux côtés d'Audrey et quelques minutes plus tard, une jeune femme à la peau mate et aux cheveux bruns arriva. Nous passâmes une heure et demi à parler de sa situation. Enfin, la jeune femme, Charlène, parla, Audrey posait des questions, conseillait beaucoup et moi j'écoutais, prêtant une oreille attentive tout en restant neutre.

Charlène n'avait que quinze ans et ses parents rejetaient sa transition avec l'arme la plus cruelle, le déni. Je compris alors pourquoi Audrey m'avait proposé de participer à ce rendez-vous. Elle alla même jusqu'à m'intégrer subtilement pour que j'offre mon point de vue sur la situation. 

Quand bien même je comprenais mieux que personne la souffrance de Charlène face à ce déni total, je ne saurais quoi dire pour la rassurer. Je n'étais pas encore émancipé de cette douleur du rejet.

Pourtant, Audrey insista et mes mots sur mon expérience personnelle eurent un effet intéressant sur Charlène. Elle s'ouvrît davantage, délivrant plus de détails sur certaines situations de sa vie quotidienne avec ses parents qui la tourmentaient et peu à peu notre échange sembla faire du bien. À elle, comme à moi.

Il y avait du réconfort à parler avec quelqu'un qui vivait la même chose, peu importe si la finalité n'était pas encore heureuse, partager ses malheurs avec quelqu'un qui comprenait vraiment, cela soulageait.

Charlène demanda mon numéro et j'eus l'impression d'être récompensé pour avoir confié mon histoire douloureuse, chose qui ne m'était encore jamais arrivé.

Lorsque le rendez-vous se termina, Audrey me félicita avant de me proposer une balade. Cela faisait un moment que nous n'avions pas parlé et j'avais envie de lui confier que j'étais en couple avec Loïs et à quel point cette fin d'année 2020 avait été incroyable pour moi.

Nous marchâmes jusqu'au jardin de la Caserne de Bonne. Cet éco-parc était entouré de hauts bâtiments historiques tel que l'ancienne caserne de Bonne, d'où son nom. Une petite rivière bordait le jardin, créant un petit étang rafraîchissant au milieu de la ville.

Un petit havre de paix, sauf si l'aire de jeux un peu plus loin était occupée par les enfants, comme à cette heure-ci. J'aurais pensé qu'à dix-huit heures trente, les mamans auraient envie de protéger leur progéniture du froid qui piquait à l'extérieur, mais visiblement ce n'était pas le cas.

En longeant l'eau, nous choisîmes l'un des bancs en bois le plus éloigné d'eux possible. Je plaçai mes mains dans les poches de ma doudoune et décidai de ne pas passer par quatre chemins :

—    J'ai revu Loïs, lâchai-je de but en blanc.

—    Loïs ? Ton Loïs ? s'étonna-t-elle.

Je pinçai les lèvres puis lui racontais tout. À mesure que mes mots se déversaient entre nous, le visage d'Audrey afficha une grande surprise. Je lui expliquais notre dîner, son excuse pour son absence, mon besoin d'y voir plus clair, ma décision de nous redonner une chance, le bonheur depuis que l'on s'était retrouvés. Les fêtes de Noël et du nouvel an.
Après avoir tout déballé, je repris une grande inspiration.

—    J'aurais dû le comprendre plus tôt, intervint Audrey dans un long soupir.

—    Comprendre quoi ?

—    Loïs. J'aurais dû comprendre que celui de l'association était ton Loïs.

—    Tu ne pouvais pas savoir, rétorquai-je en haussant les épaules.

Elle fronça son petit nez droit et détourna les yeux, me privant de leur couleur verte.

—    Bien sûr que si. Je ne connais pas tant de Loïs que ça et il a dit que lui aussi avait été mis à la rue par ses parents catholiques et homophobes, j'aurais pu faire le rapprochement. En plus, il a mentionné un petit village et-

—    Attends, la coupai-je, le cœur dans la gorge. Qu'est-ce que tu as dit ?

Audrey pivota vers moi et haussa les sourcils, certainement étonné par le ton de ma voix.

—    Quoi ?

—    Loïs a été viré de chez lui ? redemandai-je.

—    Oui, c'est ce qu'il nous a dit.

Cette information tinta dans mon cerveau comme une cloche dans une église, la réverbération fracassant ma boite crânienne. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ?

—    Tu ne le savais pas ?

—    Non ! Il n'a rien dit à propos de ça !

Non, parce qu'il évitait très soigneusement de parler de son année de terminale et de ce qu'il lui était arrivé avant qu'il n'arrive sur Grenoble. Il m'avait confié avoir avoué son homosexualité à ses parents, que c'était compliqué et qu'ils n'acceptaient pas tout à fait, mais...

Et tout à coup, cela me fit l'effet d'une gifle. Loïs me cachait délibérément ce qui s'était passé. Une désagréable sensation se logea dans mon ventre, un mauvais pressentiment.

Je parvins difficilement à calmer ma respiration pour pouvoir questionner davantage Audrey. Elle ne m'apporta pas d'autres informations, ils n'étaient pas amis, ils se connaissaient vaguement parce qu'ils apportaient tout deux leur aide dans la même structure associative et c'était tout. Elle ne connaissait pas son histoire, seulement ce qu'il avait bien voulu dire lors de réunions.

Mon estomac se contractait à cause du choc de cette révélation et très vite, je m'excusais auprès de mon amie pour pouvoir rentrer. Elle m'enlaça sans rien ajouter.

Sur le chemin, en direction du tram, mon angoisse pointa le bout de son nez. Cependant, ce fut une angoisse différente de celle dont j'avais l'habitude. Cette fois-ci, j'avais peur d'apprendre que Loïs m'avait menti, qu'il cachait quelque chose et qu'encore une fois, nous soyons séparés.

Durant le trajet, je me répétais de me calmer, de ne pas tirer de conclusion hâtive, de ne pas m'effondrer. Arrivé devant l'immeuble de Loïs, je sonnai et les quelques secondes qu'il me fallut attendre furent interminables.

L'interphone bipa et la voix de Loïs flotta jusqu'à moi :

—    Oui ?

—    Loïs, c'est moi, dis-je fébrilement.

—    Eliott ?

—    Ouais.

Le bruit de l'ouverture de porte s'enclencha et je pénétrai dans le hall d'entrée de l'immeuble. Mon cœur battait déjà très vite, mais lorsque je fus devant sa porte, lorsque j'entrai chez lui et que je vis son sourire éclatant, j'en perdis le rythme.

—    J'aime ce genre de surprise, s'exclama-t-il en m'embrassant.

Il portait un simple survêtement noir et un sweat bleu et pourtant, il était magnifique avec ses cheveux noirs ébouriffés et ses traits ciselés. Je détournai le regard et me dirigeai vers le salon avant qu'il ne m'arrête.

—    Mon coloc est là, viens, allons dans ma chambre, m'enjoigna-t-il.

Dès que nous franchîmes le pas de sa porte, je m'éloignai de lui, faisant les cent pas.

—    Ça ne va pas ?

—    Non, admis-je.

—    Qu'est-ce qui se passe ? Ton rendez-vous à l'asso s'est mal passé ?

—    J'ai parlé avec Audrey et elle m'a dit que tu avais été viré de chez toi, relatai-je d'une traite.

Loïs écarquilla les yeux et recula de plusieurs pas.

—    Est-ce que c'est vrai ?

Son expression se figea subtilement jusqu'à devenir trop neutre pour mon bien. Mes mains se fermèrent en poing et j'avançai vers lui, l'esprit en désordre.

—    Réponds-moi. Est-ce que tu as été viré de chez toi ?

—    Oui, souffla-t-il finalement.

—    Oui ? répétai-je, abasourdi. Mais-

—    Écoute, c'est compliqué et...

—    Ne me ressors pas encore cette merde ! m'emportai-je. Tu m'as menti ! Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

Le moment se cristallisa, c'était comme si la terre cessait subitement de tourner, comme si mon cœur s'immobilisait tandis que je réalisais avec effroi que Loïs me mentait depuis des semaines.

—    Je ne voulais pas mentir, mais j'avais peur, Eliott.

—    Peur ? Peur de quoi au juste ? Je ne comprends pas.

—    Je ne voulais pas que ça remue des choses en toi et que tu...

Loïs se tut, pinça les lèvres et se détourna en se grattant l'arrière de la tête. La tension dans la pièce fourmillait sur ma peau, je percevais la nervosité de Loïs comme si c'était la mienne et le mauvais pressentiment que je ressentais ne faisait que grossir.

—    Dis-moi la vérité, Loïs.

—    Asseyons-nous, proposa-t-il en s'installant au bout de son lit.

Je l'imitai, le cœur au bord des lèvres.

—    J'ai besoin que tu m'écoutes jusqu'au bout, d'accord ?

—    D'accord, acceptai-je en hochant la tête.

Mon petit-ami inspira profondément, faisant ainsi gonfler sa cage thoracique. Ses yeux étaient teintés par la peur, je pouvais presque la sentir.

—    Peu après ton départ... tes parents ont fait le tour du village pour te retrouver. Ils ont commencé par tes amis et évidemment, moi. Ils ne se sont pas gênés pour dire à mes parents quelle type de relation nous entretenions et...

—    Oh mon Dieu, murmurai-je tandis que je prenais la mesure de ce qu'il racontait.

Une vague de sueur froide dévala mon échine pour me glacer jusqu'aux os.

—    Je n'ai pas nié, continua-t-il d'une voix neutre. J'ai avoué mon homosexualité et mon amour pour toi. Mon père l'a très mal pris, il refusait catégoriquement que ce soit vrai et s'est naturellement tourné vers l'église. Le curé Emmanuel a d'abord tenté de relativiser, mais Père Vincent a proposé son aide en secret.

—    Non, intervins-je, dans un sursaut de révulsion.

—    Non, Eliott, me rassura Loïs en me prenant les mains. J'ai parlé de ce que tu avais subi, j'ai tout raconté à mes parents. J'ai accusé père Vincent et tes parents de maltraitance. Mais... même si mes parents étaient horrifiés par ces méthodes, mon père refusait tout de même d'accepter mon homosexualité. Il ne m'a plus accepté sous son toit.

Loïs marqua une pause et baissa la tête. Les propos de Loïs me percutaient douloureusement. Ils signifiaient que ma fuite avait révélé son secret et l'avait mis en danger, qu'on l'avait jeté à la rue par ma faute.

—    Je suis parti m'installer chez mes grands-parents maternels. Quelques temps après, ma mère m'a rejoint. Elle a essayé de convaincre mon père de ne pas me rejeter, mais il n'a rien voulu savoir et finalement ils se sont séparés. J'étais dévasté, non seulement il me foutait à la porte, mais il faisait la même chose avec ma mère.

J'avais détruit sa famille.

J'eus du mal à respirer, mes oreilles bourdonnaient impitoyablement et je sentais l'angoisse m'envahir. Immédiatement, j'utilisais la technique de mon psy, inspirer profondément pendant quatre secondes, retenir sa respiration quatre secondes et expirer pendant encore quatre secondes. Et faire cela autant de fois que nécessaire pour reprendre pieds.

—    Très vite, la tristesse a fait place à la colère, continua Loïs d'une petite voix. J'en voulais à tout le monde, j'ai même cru que je t'en voulais aussi pour avoir indirectement provoqué tout ça, j'avais l'impression de payer les pots cassés. Mais je savais que tu n'y étais pour rien, j'avais simplement mal et je ne supportais pas l'idée que tu culpabilises, que tu t'effondres alors que tu étais seul dans cette ville, sans personne. Je ne voulais pas que tu saches ce qui m'était arrivé alors pour ne pas te mentir, j'ai arrêté de te parler. J'étais perdu, je suis désolé, Eliott.

La vérité était loin de ce que j'imaginais. Elle était bien plus affreuse et tourmentée. Ma tête s'emplissait de pensées éparses qui m'empêchaient de raisonner. Je ne savais plus par quoi commencer, tellement les informations m'accablaient de toutes parts.

—    J'étais révolté, amore. Totalement furieux de voir que Père Vincent proposait encore cette foutue thérapie, comme si c'était normal. Je suis allé voir la police, j'ai parlé de ce que je savais, mais je n'avais aucune preuve et ils ne m'ont pas pris au sérieux ! Je voulais pouvoir revenir vers toi en te disant que même si ma famille avait été déchiré, j'avais pu arrêter Père Vincent, alors j'ai commencé à enquêter. Je me suis installé à Grenoble après mon bac, j'ai pris contact avec un détective privé et...

—    Tu- quoi ? exhalai-je difficilement.

Les mots ne s'arrêtaient plus.

Loïs parlait encore et encore, il respirait vite et fort, me serrait les doigts avec trop de fermeté et je ne parvenais plus à suivre.

Je compris qu'il menait une enquête, qu'il avait découvert d'autres victimes de ce prêtre, que son dossier grossissait de plus en plus et qu'il avait bon espoir d'enfin avoir assez de témoignages pour qu'on le croit.

Il parlait, délivrait toute sa vérité, tout ce qu'il avait camouflé jusqu'ici et moi... moi, j'éclatai en mille morceaux.

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