Chapitre 26
Quand on laisse mourir le feu de Noël, il n'y a plus qu'un moyen de le rallumer. C'est d'aller cherche le feu des étoiles.
- Pierre Jakez Hélias -
Eliott
C'était trop parfait. Il fallait bien que quelque chose vienne gâcher ce moment. Moi, en l'occurrence.
Loïs revint de la cuisine, une tasse fumante dans les mains qu'il me tendit rapidement. L'odeur du chocolat chaud me fit légèrement sourire lorsque je m'en saisis.
— Tu es sûr que ça va ? me demanda-t-il pour la énième fois.
Le calme était revenu, les réminiscences de mon cauchemar s'étaient envolées, bien qu'elles me hantent toujours. Cette fois-ci, l'angoisse s'était manifestée avec plus de subtilité que d'habitude. Mon mauvais rêve ne relatait pas ce que j'avais vécu durant cette semaine de thérapie, elle préféra imager mon traumatisme de manière plus poétique.
Moi, enfermé dans une boite et enterré vivant. J'avais eu l'impression de mourir, mes poumons cherchaient désespérément l'air, mes ongles saignaient à force de me voir gratter la boite pour sortir et j'entendais des prières inlassablement.
Ce type de cauchemar était tout aussi pénible. Loïs m'avait secoué pour me réveiller alors que je hurlais à l'aide. Visiblement, il était très inquiet, son visage était grave et trop sérieux. Je m'en voulais de bousiller notre Noël avec mes problèmes.
— Tout va bien, assurai-je en souriant faiblement.
— Ne me mens pas, s'il te plaît.
— C'était juste un cauchemar.
— Juste un cauchemar ? répéta Loïs en plissant les yeux. Ça ressemblait vraiment à une crise d'angoisse, comme... comme avant.
Il acheva sa phrase en pinçant les lèvres et je détournais les yeux.
Nous en avions déjà discuté, j'avais assuré plusieurs fois que je ne faisais plus de crises d'angoisses, je paniquais un peu selon les circonstances et je faisais des cauchemars, c'était tout. Mais Loïs était protecteur, il s'inquiétait beaucoup.
— Je te promets que tout va bien, répétai-je. Je gère mieux mes peurs, mais les cauchemars sont toujours là. On y travaille avec mon psy.
Loïs soupira et se frotta le visage. Le silence s'installa et j'en profitai pour boire ce chocolat chaud dont la saveur me réconforta quelque peu.
— Qu'est-ce qu'il te conseille ? m'interrogea-t-il, la mine grave.
— Eh bien, nous en discutons pour analyser le cauchemar et me désensibiliser peu à peu à chaque élément. Ça n'aide pas beaucoup parce que mon esprit me surprend à chaque fois pour former des scénarios différents.
— Et écrire ce que tu as vécu ? Pour extérioriser une bonne fois pour toute ? On conseille beaucoup ce moyen pour apaiser le cœur, indiqua-t-il avec sérieux.
— Écrire ? Je n'y ai jamais pensé.
— Tu devrais le faire.
Loïs se lança alors dans un discours psychologique. D'après ses cours et ses connaissances, cette forme de thérapie par l'écriture soulageait les maux. J'écoutais attentivement, absorbé par les paroles pleines de bienveillance de mon homme.
— D'accord, je vais essayer, acceptai-je.
— Bien, me sourit-il.
Il était vrai que je n'avais jamais véritablement extériorisé tout ce que j'avais vécu. Bien sûr, j'en avais parlé à Monsieur Legoux, toutefois, beaucoup de détails étaient passés sous silence parce que j'en avais trop honte. Écrire me permettrait d'y être confronté et de le recracher avec toute la cruauté et la souffrance que je ressentais, sans avoir peur d'être jugé. Cela resterait pour moi. Ça pouvait vraiment m'aider.
— C'est vraiment une bonne idée, soulignai-je. Merci.
— Tu mérites d'être enfin débarrassé de ces souffrances. Ça sera peut-être long, mais un jour, j'espère que tu ne seras plus hanté par ce passé.
Mon cœur se pinça dans ma poitrine et mes doigts se crispèrent sur la tasse bouillante.
— Ça fait partie de moi, Loïs. J'en souffrirais toujours, mais j'apprends à vivre avec. Rien n'effacera ce traumatisme.
Ses yeux noirs me fixaient avec une attention qui me mit presque mal à l'aise. Tout à coup, j'eus peur qu'il comprenne de travers. Qu'il pense que je voulais dire par là, que son amour était insuffisant à me soigner. Ce n'était pas ce que je voulais dire, d'autant plus que sa présence et son amour était bel et bien la chose la plus joyeuse dans ma vie à présent.
J'étais parti parce que je ne supportais plus rien, pas même mon bonheur avec Loïs. Mais aujourd'hui, je n'étais plus le même, je l'aimerais avec force et pleinement. Il serait bien plus que suffisant pour moi.
Il hocha doucement la tête et se pencha vers moi pour m'enlacer. Sa bouche déposa un petit baiser dans mon cou.
— Je suis désolé, souffla-t-il.
Mon ventre se noua instantanément et ma gorge me brûla. Je n'avais aucune envie que l'on refasse les mêmes erreurs. Je me dégageai et posai la tasse sur ma table de nuit avant de prendre ses mains dans les miennes.
— Ne t'excuse pas, dis-je férocement.
— Je sais que c'est en partie ma faute si tu as vécu ça et-
— Et rien du tout, l'interrompis-je. J'ai suffisamment honte d'avoir pensé ça, alors ne le fait pas non plus, s'il te plaît. Il n'y a pas d'autres fautifs que le père Vincent et mes parents. Toi et moi, nous étions simplement deux adolescents épris l'un de l'autre. Nous n'avions rien fait de mal et c'était juste... on n'a pas eu de chance, conclus-je.
J'avais laissé sous-entendre que c'était sa faute si j'avais vécu cette thérapie, si mes parents avaient découvert mon homosexualité. Et même si je n'avais rien explicité, il savait que je ressentais cette forme de rancœur injuste. Durant ces trois années de séparation, je m'étais demandé s'il s'était effacé à cause de ça, mais il n'avait rien dit à ce propos. Comprendre qu'il se sentait toujours responsable me retournait l'estomac. J'en étais profondément mortifié.
La terreur et la colère m'avaient amené à blâmer tout le monde, sans réelle distinction. Père Vincent, l'église, mes parents, Loïs, moi-même... Avec le temps, de l'ordre avait fait place aux vrais coupables. Je n'avais pas mérité cela et Loïs n'y était pour rien. Je devais également lever ce poids des épaules de Loïs.
— Je ne t'en veux pas et je ne te tiens pas responsable de ce qui est arrivé, promis-je.
Loïs caressa l'une de mes joues avec délicatesse.
— J'aimerais tellement pouvoir t'aider, soupira-t-il.
— Tu m'aides en étant dans ma vie. Tu m'apaises et tu rends les moments difficiles tellement plus simples. Je n'ai pas passé un bon Noël depuis... depuis celui où j'ai revu père Vincent.
— Il mérite d'aller en prison pour ce qu'il a fait, grinça Loïs entre ses dents.
Ce sursaut de colère me surprit et me fit hausser les sourcils.
— Quoi ? Tu ne le penses pas aussi ? répliqua-t-il.
— Si... mais il n'y a aucune chance qu'il soit poursuivi pour ça. C'était il y a longtemps, je n'en ai pas parlé à la police et je n'ai pas de preuves de ce qu'il s'est passé.
— Il n'est jamais trop tard pour porter plainte, Eliott, clama Loïs.
La tournure de cette conversation me paniqua légèrement alors je haussai les épaules et détournai le regard. J'avais été animé par le désir de justice, seulement, je ne savais pas comment procéder. Je me sentais trop insignifiant pour qu'on m'écoute, me croie et me défende. Je n'étais pas prêt pour un tel combat.
— Je vais prendre une douche et préparer un bon petit-déjeuner, dis-je nonchalamment. Tu peux te recoucher en attendant.
Loïs m'observa plusieurs secondes en silence. Son expression grave passa très lentement à quelque chose de plus léger. C'était forcé, je le voyais, cependant, nous avions besoin de couper cette conversation alors j'attendis simplement. Il papillonna des yeux tel un hibou avant de sourire.
— Et rater l'occasion de prendre une douche avec toi ? Hors de question.
Sa malice me fit rire et je secouai la tête tout en me levant du lit. Loïs m'imita prestement et mon ventre fourmilla. Il était loin le cauchemar atroce, à présent, mon cerveau se concentra sur la proximité imminente que j'allais avoir avec mon petit-ami.
Lorsque nous fûmes rassasiés de chair et propres, vêtus de simple shorts de sport, nous nous dirigeâmes vers la cuisine. Mon humeur retrouva toute sa jovialité de la veille au soir.
J'entrepris de faire du café et du pain perdu. Loïs avait mis un fond de musique, toujours sur le thème de Noël et préparait un caramel au beurre salé. De temps en temps, il m'enlaçait et grignotait la peau de mon cou ou mes lèvres.
Le petit-déjeuner s'anima de rire et de nombreux baisers. Loïs s'amusait beaucoup à étaler son caramel sur ma peau pour me lécher et j'en devenais de plus en plus fébrile.
— Arrête de jouer avec moi, gémis-je lorsqu'il lécha une trace derrière mon oreille.
— Je joue pas du tout, ricana-t-il.
— Tu m'allumes.
— Je savoure, protesta Loïs en mordillant ma peau.
De mes mains tremblantes, je le repoussai en secouant la tête.
— Ça suffit, si tu continues, je vais te sauter dessus. Encore.
— Où est le problème avec ça ? demanda-t-il avec un sourire arrivant jusqu'aux oreilles.
— J'ai envie d'avoir mes cadeaux.
J'avais suffisamment attendu, je mourrais d'impatience ! Moi aussi, j'avais fait quelques folies pour le rendre heureux et mon excitation de le voir ouvrir ses cadeaux rivalisait avec celle de découvrir les miens.
— Très bien, soupira-t-il exagérément en gonflant les joues. Je vais les chercher.
Il se leva et j'en fis de même pour foncer dans le placard dédié aux produits ménagers, dans la salle de bain, où j'avais caché mes trésors.
Je revins au salon pour déposer au pied du sapin illuminé, ses quatre cadeaux. Mon italien arriva peu de temps après, un grand sac de courses à la main. Son regard pétillant passa de mes offrandes sous le résineux à moi et il me sourit avec amour.
— Ferme les yeux, que je puisse moi aussi les déposer.
Attendri, je m'exécutai sans aucune protestation. Je l'entendis s'approcher, le crissement du sac plastique m'indiquant qu'il sortait un, deux... trois... quatre... cinq cadeaux !
Mon sourire s'élargit tandis que mon corps s'agitait en tous sens. Je n'avais plus ressenti une telle excitation depuis trop longtemps, c'était comme retrouver une part de moi, un bout que j'avais égaré en chemin.
— C'est bon, tu peux regarder, chuchota Loïs en embrassant furtivement mes lèvres.
J'ouvris les yeux en un éclair pour contempler les cadeaux aux papiers colorés. Deux petits paquets rouges, un moyen doré et vert et un autre de la taille d'une boite à chaussure revêtait un emballage aux motifs complexes avec le Père Noël et son traineau. Lorsque mes prunelles se posèrent sur le dernier présent, mon cœur rata un battement. Une lettre.
— Alors ? On commence ou quoi ? J'ai hâte, moi aussi ! intervint Loïs.
Je ne pus que hocher la tête faiblement avant de me jeter sur cette enveloppe. Mes doigts tremblaient lors de l'ouverture et je percevais l'attente de Loïs qui n'avait pas esquissé de mouvements pour ouvrir un de ces cadeaux.
D'un regard en coin, je le vis se mordre la lèvre inférieure.
— Je veux t'admirer lorsque tu ouvriras celui-ci, me confia-t-il.
Mon cœur affolé me redonnait vie. Mes yeux tombèrent sur l'écriture de mon homme, couché joliment sur ce beau papier. Un autre poème.
Mon amour, tu es à nouveau près de moi
Trop d'années que nous nous sommes perdus
Cinq ans, où chaque jour, je t'ai attendu,
L'esprit vide et le cœur en émoi
J'ai tant de choses à confier,
Proclamer mon amour est facile
Mais j'aimerais effacer ce qui est lié
Vivre sans soucis, occulter le plus difficile
Je te vois et je me perds
Dans tes bras, dans tes yeux verts
Reste pour toujours
Comble-moi de ton amour
Je sais avoir besoin de ton âme
Entends-tu la promesse que je clame ?
Je t'accompagnerai sans jamais plus te quitter
J'apaiserai tes blessures, tu seras abrité.
À la fin de ma lecture, je pleurais. Loïs m'entoura de ses bras forts et chaleureux pour me bercer.
— Je t'aime, lui dis-je les yeux dans les yeux.
— Et moi dont. Ouvre tes autres cadeaux avant de pleurer autant, amore.
C'était un conseil, que je ne compris qu'en ouvrant l'une des boites rouges contenant un pull fin. Les mots « sono la rosa di qualcuno » et je reconnus immédiatement la réplique du cadeau que je lui avais offert plusieurs années auparavant. À ceci près que je n'étais pas son étoile, mais sa rose.
— À présent, nous aurons le même, déclara-t-il en ouvrant sa chemise à carreaux rouges pour dévoiler le pull en question.
— Tu l'as toujours ? m'étonnai-je.
— Évidemment.
— Mais- comment tu as fait ?
— Sur un site internet, j'ai choisi un pull et j'ai fait floquer la phrase que je voulais, expliqua mon italien.
Ce présent me fit pleurer encore plus et cela amusa Loïs.
— Tu seras mia stella à partir de maintenant, déclarai-je entre deux sanglots.
— Vraiment ? J'aimais bien être ton trésor.
— Je t'autorise à être les deux, alors.
Son sourire m'éblouit. Je me trouvais sur un petit nuage, le cœur léger, plein d'amour et d'espoir. C'était un peu comme si je planais, en apesanteur sur une vague positive. Je priais pour que ce moment reste à jamais gravé dans ma mémoire.
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