Chapitre 24
Cueille la rose de l'amour alors qu'il en est temps, alors qu'aimant toi-même, tu peux être aimé d'une même passion.
- Edmund Spencer -
Eliott
Noël avançait à grands pas. L'ambiance de ces fêtes était partout, dans les décorations extérieures au cœur de la ville, dans les magasins qui s'illuminaient de guirlandes, dans les odeurs de pains d'épices et les multiples répliques du Père Noël. J'aimais toutes ces choses, j'appréciais les couleurs, les biscuits à la cannelle et les chocolats chauds.
Cependant, mon esprit ne me laissait pas oublier le Noël 2015, il y a cinq ans. En revoyant Père Vincent prêcher comme s'il n'avait pas ruiné mon existence, comme s'il ne m'avait pas traumatisé avec ces sévices. J'avais alors su que je ne pourrais plus rester dans cette petite ville. Penser qu'il y était toujours, que mes parents iraient encore à la messe de minuit, qu'ils lui serreraient la main avec respect... J'en avais la nausée. Il n'y avait eu et il n'y aurait aucune justice pour moi.
— Eh, souffla Loïs en se collant à mon dos.
Debout dans une file d'attente à l'extérieur, son corps m'insuffla une vague de chaleur humaine bienvenue. Il entoura mon ventre de ses bras et son nez se nicha dans mon cou.
— Tu es bien silencieux.
— Désolé, m'excusai-je, penaud.
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
Que pouvais-je dire ? Tout allait bien, en théorie. Ma vie était dans une phase de joie que je n'avais plus connu depuis longtemps. Mon année de master se passait étonnamment bien, j'avais retrouvé l'amour de ma vie et je pouvais dire que mon rôle à l'association m'apportait le sentiment d'être utile. Ça allait.
Mais dans ma tête, une ombre ne me laissait jamais tranquille, c'était épuisant. Et je n'osais pas le dire à Loïs, remettre ce sujet sur le tapis. Pourtant, une curiosité malsaine me rongeait, je voulais le questionner sur mes parents, sur l'église, sur Père Vincent. Que s'était-il passé lors de mon départ ? Avait-il des nouvelles ? Retournait-il dans notre village ?
— Ça va, répondis-je pour chasser ses doutes.
Loïs déposa un baiser sur ma joue et me serra plus fort avant que nous avancions plus en avant dans la file. Cette sortie en amoureux s'annonçait bien. Nous avions pris un chocolat chaud à emporter, que nous avions dégusté lors d'une balade dans un marché de Noël. Et à présent, nous attendions notre tour pour monter dans le téléphérique de Grenoble, l'un des plus vieux du monde.
Après plus d'une semaine de relation, je voulais profiter de cette sortie pour dévoiler mes sentiments. Je trouvais ça inutile de prétendre que notre couple était comme les autres, soumis à des règles temporelles pour déclarer son amour comme si une période préalable était nécessaire. Avec Loïs, l'amour avait toujours été là, que l'on soit réunis ou non. Alors pourquoi attendre ?
J'avais besoin qu'il sache que j'étais toujours amoureux, que je n'avais jamais cessé de l'être et que j'espérais ne plus avoir à me séparer de lui. Ainsi, lorsque ce fut notre tour d'entrer dans une cabine vitrée, mon stress grimpa en flèche.
Un autre couple était avec nous, ce qui m'empêchait d'engager une telle conversation. Je contemplai donc le paysage, commentant avec Loïs les merveilles qu'offrait le panorama en hauteur.
La traversée nous amena finalement au sommet de la Bastille, et nous nous retrouvâmes seuls. C'était donc le moment idéal. Perchés sur cette colline, accoudés contre une rambarde en fer et le regard au loin, l'instant était propice à la confidence.
— Loïs, commençai-je dans un murmure.
Ce dernier tourna la tête vers moi, un demi sourire aux lèvres. Ses cheveux courts étaient cachés sous un bonnet noir, dégageant ainsi son visage aux traits ciselés et ses perles noires si expressives.
Il ne parla pas et attendit que je poursuive simplement. J'inspirai par la bouche l'air froid et resserraient mes mains sur le rebord de la rambarde glacée.
— Je voulais... depuis qu'on s'est retrouvé, je-
Ma gorge comprima mes mots et je soufflai bruyamment, agacé d'être aussi timide. Cela faisait longtemps que je n'avais pas vécu ce moment, toutes mes relations après Loïs avaient été si insignifiantes. Je n'avais jamais dit je t'aime à un autre que lui.
— Je veux que tu saches que... essayai-je à nouveau.
— Anch'io, ti amo. Non è mai cambiato. (Moi aussi je t'aime, cela n'a jamais changé.)
Mes yeux s'écarquillèrent sous la surprise. Je me surpris à comprendre le sens de ses mots, personne d'autre que lui ne me parlait italien, j'avais appris à le comprendre sans pouvoir le parler. Mon cœur accéléra sa course dans ma poitrine et un sourire niais fleurit sur mes lèvres. Loïs devinait toujours ce que je voulais exprimer, il avait toujours été si intuitif.
— Je n'ai jamais réussi à t'oublier, Loïs, confiai-je. Tu m'as manqué chaque jour. Je regrette de m'être persuadé qu'il fallait que je t'oublie, que je tourne la page, comme tout le monde le fait après une séparation. Je regrette de ne pas avoir écouté mon cœur. On aurait perdu moins de temps, soupirai-je.
Son sourire se fana quelque peu, mais il se redressa pour me prendre dans ses bras. Mon visage se cala contre sa poitrine, où mes oreilles captèrent les battements rapides de son cœur.
— Non ti lascerò più andare, chuchota-t-il. (Je ne te laisserais plus partir.)
L'émotion remonta à travers mon corps pour ramper dans ma gorge et faire naître des larmes aux coins de mes yeux.
— Ne pars plus non plus, suppliai-je d'une voix étranglée.
Au lieu de répliquer, Loïs me serra davantage dans ses bras et déposa un baiser sur mon front. Je relevai la tête et me hissai sur la pointe des pieds pour l'embrasser.
Une heure plus tard, nous nous retrouvâmes chez moi, sur le canapé et enlacés le plus étroitement possible. Loïs était allongé sur le dos, les jambes écartées pour me faire la place.
Je ne me privais pas de l'utiliser comme un immense coussin et à la manière dont il me tenait et caressait mes boucles, j'en déduisais qu'il appréciait sa fonction. Je tentais de me concentrer sur le film à la télévision. Dont j'ignorais le nom ou même l'intrigue. Tout ce qui m'intéressait était la chaleur de Loïs, les muscles de son ventre, ses mains dans mes cheveux... j'étais tellement apaisé.
Mais parfois, mon esprit associait Loïs à mon passé et je pensais à mes parents, à ce que j'avais vécu ou encore à Arnaud. Retrouver ainsi mon italien me poussa à vouloir renouer avec mon ancien meilleur ami et l'idée devenait presque obsédante. J'avais envie de lui offrir des excuses, une explication.
Cela pourrait apaiser mon cœur et peut-être qu'Arnaud en avait besoin aussi.
— Tu es resté en contact avec Arnaud ? interrogeai Loïs tout à coup.
Ce dernier immobilisa sa main dans mes boucles et je levai mon regard sur lui.
— Pas vraiment, ses parents et lui ont déménagé.
— Pour aller où ?
— Lyon, je crois.
— Tu as toujours son numéro ?
Peu importe sa réponse, j'étais prêt à reprendre contact. Les réseaux sociaux me permettraient de le retrouver, ce n'était pas si compliqué, il suffisait d'avoir le courage et l'envie. J'avais les deux à présent.
— Je ne sais pas, hésita mon italien en détournant les yeux.
— Tu peux vérifier ?
Je me redressai, peu sûr de comprendre pourquoi son attitude devint plus distante tout à coup. Il se pinça les lèvres, signe de nervosité chez lui.
— Pourquoi tu veux son numéro ? Tu comptes reprendre contact avec lui ?
Durant un court instant, j'eus l'impression que cette répartie cachait de l'amertume, voire de la jalousie, puis je reconnu son expression anxieuse. Inquiète.
— J'ai des excuses à lui présenter, à lui aussi, déclarai-je. Pourquoi tu réagis comme ça ?
— Comme quoi ?
— Tu as l'air... hostile à l'idée que je reparle à Arnaud.
Encore une fois, Loïs pinça les lèvres avant de détourner son regard charbon. Un malaise s'installa, tel un poids sur mon cœur. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait. Il y avait tellement de sujets qui entrainait cette réaction chez Loïs, comme s'il évitait quelque chose, et à chaque fois c'était en rapport avec notre passé.
— Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je, ma voix trahissant ma tension.
Loïs soupira et secoua la tête.
— Rien du tout. Je vais vérifier, déclara-t-il en se penchant pour récupérer son portable sur la table basse.
Après quelques manipulations, il confirma qu'il ne l'avait plus, certainement perdu en changeant de téléphone au cours de ces années. J'étais bien trop préoccupé par le malaise en moi pour être déçu de cette nouvelle.
La tension qui subsistait entre nous fut tout à coup interrompu par la sonnerie de Loïs. Comme par hasard.
— C'est ma mère, indiqua-t-il, contrit.
Je me levai pour me servir à boire dans la cuisine, tandis que Loïs décrochait. S'en suivit une discussion dont je n'entendais que les réponses de Loïs, mais qui me permirent néanmoins de comprendre le sujet de conversation. Noël.
Loïs expliqua ne pas savoir encore s'il viendrait cette année, prétextant fatigue, travail, études, mais à aucun moment il ne parla de moi.
Non pas que j'imaginais qu'il refuse d'y aller pour rester avec moi, cependant, j'étais à peu près certain que s'il taisait notre relation, c'était pour des raisons précises. Loïs mentait-il toujours à sa famille concernant son homosexualité ?
Je n'avais jamais entamé la conversation car j'avais peur de m'embarquer dans cet amas de nœuds. Un sujet qui nous amènerait forcément à leur réaction et qu'elle soit bonne ou mauvaise, je penserais à la réaction de mes propres parents et c'était un point que je voulais oublier.
La tension ne fit que grossis avec cette nouvelle interrogation et je décidai de rejoindre ma chambre pour me poser sur mon lit, le cerveau en vrac. Ma relation avec Loïs était sérieuse, je désirais que cela fonctionne sur le long terme, je voulais construire ma vie avec lui et cela impliquait beaucoup de choses. Notamment, d'être transparent sur sa situation familiale. De mon côté, j'avais été honnête sur la situation avec mes parents.
Mais Loïs ? Il n'avait rien dit à ce propos. Se cachait-il ? Étais-je un secret ?
Je tournai la tête vers Loïs qui entra dans la chambre. Ses yeux parcoururent mon corps dans une inspection non dissimulée.
— Ça va ?
— Est-ce que tes parents savent ? demandai-je de but en blanc, le souffle court.
Loïs écarquilla les yeux et son visage imprima le choc. Je n'en pouvais plus de me retenir d'aborder des sujets sensibles par peur de replonger dans une tourmente. Je me sentais assez fort pour affronter ça. La thérapie m'aidait et ne pas savoir était bien plus terrifiant pour moi, il était l'heure de mettre les choses à plat.
— Est-ce qu'ils sont au courant pour ton homosexualité ? insistai-je.
— Eliott, soupira-t-il prudemment en s'approchant.
Le ton me hérissa le poil. Lorsqu'il prononçait mon prénom avec cette intonation, j'avais l'impression d'être toujours cet enfant qu'il avait pris sous son aile. Parfois cela me faisait sentir en sécurité et aimé, et parfois, je me sentais diminué.
J'étais conscient de mes lacunes, de mes troubles et de mes problèmes, cependant, j'avais grandi et évolué sur beaucoup de choses. Ma bête noire c'étaient mes parents, pas l'homosexualité. Je pouvais encaisser, alors pourquoi Loïs agissait comme s'il voulait me protéger de quelque chose ?
— Réponds-moi, exigeai-je en fronçant les sourcils.
— Oui, ils savent.
— Et ?
— Et quoi ? C'est pas simple, mais ça va. Ma mère voulait savoir quand est-ce que je viendrais pour Noël. Habituellement j'y vais pour quelques jours.
— Tu lui as menti, soulignai-je.
Loïs détourna le regard et s'appuya contre la commode en face du lit.
— Je n'ai pas menti, mais je pensais passer Noël avec toi.
— Tu as menti, persistai-je. Tu as donné des excuses pour ne pas y aller, pourquoi ne pas avoir dit que tu fréquentais quelqu'un et que tu voulais rester avec moi pour les fêtes ?
— C'est compliqué, souffla-t-il en frottant sa nuque.
— Tu dis souvent ça, lorsqu'il faut aborder le sujet de tes parents ou de ton année de terminale.
À mes mots, il plissa les yeux ainsi que les lèvres. Sa nervosité réveillait la mienne et je n'aimais pas ça du tout.
— J'ai dit qu'ils savaient, pas que c'était accepté.
Je fermai les yeux avec force, essayant de ne pas transposer ses mots avec ma propre situation. Alors lui non plus n'avait pas eu la chance d'être accepté ? Mon cœur se pinça à cette idée.
— Vous n'en parlez donc pas ? demandai-je en plongeant mon regard dans le sien.
— Pas beaucoup, non, je préfère être discret.
— Et... quand leur as-tu dit ?
Loïs tiqua, son corps se raidissant.
— Ça fait un moment.
Ma poitrine se rétrécit. Cette réponse était trop vague.
Je repensais à toutes ces fois où j'avais tenté de parler de son année après mon départ et où il avait esquivé.
— Depuis quand, Loïs ? insistai-je.
— Peu de temps après ton départ.
Le chagrin et les remords me submergèrent lorsque j'imaginais Loïs faire son coming-out et subir les conséquences seuls. J'aurais aimé être là pour le soutenir, comme lui l'avait été pour moi. Bien que ses parents ne l'aient pas rejeté ou ignoré, je sentais que c'était douloureux. Une acceptation partielle, de surface.
C'était horrible et pourtant, je trouvais que c'était mieux que ce que mes parents offraient. Précisément parce que mes parents n'offraient rien du tout. Les mots de mon psy me revinrent et je les confrontais à ma relation avec Loïs.
Peut-être feraient-ils une syncope en apprenant que j'étais de nouveau en couple avec Loïs et que nous étions toujours aussi amoureux. Étrangement, cela me fit presque plaisir d'imaginer ça.
Un jour, je dirais tout et je me foutrais sincèrement des conséquences. Un jour je serais assez courageux pour faire ça.
— Écoute, j'ai juste envie de passer ce moment avec toi, reprit Loïs en se dirigeant vers moi. Laissons nos parents de côté, je suppose que c'est difficile pour toi en cette période de l'année et j'aimerais être là pour te soutenir.
Noël n'était pas la période la plus difficile. Le mois de novembre était mon cauchemar, où toutes les nuits, je revivais ce que j'avais vécu à cause de père Vincent. Mais je ne pris pas la peine d'expliquer ce point. Et ses mots me touchèrent profondément, je lui étais reconnaissant de son initiative.
Je me levai pour le rejoindre et l'embrassai avec toute ma tendresse et ma gratitude.
— On passera le meilleur Noël de notre vie ensemble, amore, me promit-il.
— D'accord.
— On va décorer l'endroit, faire un repas gargantuesque et je t'offrirais les meilleurs cadeaux de l'univers.
— Rien que ça, ricanai-je tandis que la pression redescendait peu à peu.
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