Chapitre 14

Vois ma misère et ma peine, enlève tous mes péchés.
Vois mes ennemis si nombreux, la haine violente qu'ils me portent.
- Psaume 24 :18-19 -

La semaine qui suivit ce passage à l'hôpital fut atroce.

J'avais relaté ce qui s'était passé à Arnaud et Loïs et leur réaction furent similaires : choc, colère, indignation.

Mon meilleur ami me répétait que je devais joindre ce psychiatre et demander effectivement de l'aide, tandis que Loïs semblait prôner la prudence. En effet, lui connaissait les détails de ce que Père Vincent m'avait fait avec l'accord relatif de mes parents.

En étant réaliste, parler avec ce psychiatre pour aller mieux serait une bonne chose, mais il ne m'aiderait pas une fois chez moi, il ne pourrait pas me protéger si jamais mes géniteurs décidaient que j'avais besoin d'être enfermé à nouveau. Voire pire.

Et il était évident qu'appeler les services sociaux ne serviraient à rien. Où étaient les preuves de maltraitance ? Je n'avais pas de marques, de stigmates, pas de photos, d'enregistrements, pas de signes distinctifs que j'étais en danger.

Et qui penserait que de gentils croyants pouvaient faire vivre l'enfer à leur fils ? Qu'un prêtre apprécié puisse enfermer de jeunes enfants ? Mes crises d'angoisses étaient en partie dues à mon homosexualité diabolisée par mes parents et cela arrivait plus qu'on ne le pensait. Jamais cela n'avait été suffisant pour retirer un enfant à ses parents.

Non, il fallait se rendre à l'évidence, je n'avais pas d'échappatoire.

— Eliott ?

La voix d'Arnaud me fit tourner la tête vers lui.

Nous étions dans un parc, assis sur l'herbe en compagnie de notre bande d'amis étendues, mais chaque petit groupe formait des cercles entre eux. Loïs et Arnaud m'entouraient au pied d'un chêne.

— Désolé, vous disiez quoi ? m'excusai-je.

Loïs jouait avec l'herbe entre ses jambes croisées, arrachant des brins, les entortillant autour de ses doigts. Lui aussi était pensif. Encore une fois, j'avais pris mes distances en refusant de réviser avec Arnaud ou lui après les cours. Et cela affectait mon petit-ami.

J'avais bien trop peur que le scénario se répète. J'avais été dans le déni en pensant que mentir était ma solution. Combien de temps pouvais-je mentir ? Tromper tout le monde ? Et me brider cinquante pour cent du temps ? C'était voué à l'échec.

Je n'aurais pas dû penser que c'était possible, que je pouvais réellement me scinder en deux. Vivre librement qui j'étais aux côtés de Loïs, puis me brider tout à coup en rentrant chez moi pour paraître parfait auprès de mes parents. Je n'aurais pas dû croire Loïs.

En fait, ma petite voix intérieure qui hurlait contre moi, qui essayait chaque jour de me prévenir que ça allait mal finir, c'était elle qu'il fallait écouter. La voix de la raison. La sagesse.

— Je fais une fête demain soir, tu penses que-

— Non, coupai-je Arnaud immédiatement.

— Tu pourrais demander avant de dire non, marmonna Loïs.

— Tu rigoles ou quoi ? m'emportai-je, le cœur dans la gorge.

Mon italien leva son regard sombre sur moi. Et ce n'était pas que la couleur de ses prunelles qui le rendait obscur, quelque chose dans ses yeux me donnait l'impression qu'il était vraiment en colère.

Il ne répliqua pas et retourna à ses herbes.

— Je vais devoir me faire minuscule pour qu'ils oublient même que j'existe jusqu'à mes dix-huit ans. C'est ce qui a de plus judicieux, tu te souviens ? dis-je, les poings serrés contre mes jambes.

— Donc on va arrêter de se voir pendant quoi ? Sept mois ?!

Cette question me fit l'effet d'une douche glacée et je ressentis le froid dans tous mes os. Loïs me reprochait mon éloignement, ma prudence. Avait-il oublié que j'avais une épée de Damoclès au-dessus de la tête ? Pensait-il que j'étais heureux de la situation ?

— On se voit tous les jours de la semaine au lycée, fis-je remarquer d'un ton plus sec que d'habitude.

— Et lorsque tu auras fini ton année ? Cet été par exemple ? Tu ne peux même pas sortir pour aller prendre l'air ! gronda-t-il. Comment on va se voir ?

Complètement abasourdi par ses propos, ma bouche devint sèche et incapable de prononcer le moindre mot.

— D'accord, on se calme, temporisa mon meilleur ami. La situation est merdique, mais on va trouver une solution. Le plus important c'est qu'Eliott soit en sécurité, non ? demanda-t-il en direction de Loïs.

Ce dernier me lâcha du regard pour le poser sur Arnaud et hocha la tête, les lèvres toujours pincées.

— Bien sûr, confirma-t-il.

Un de nos amis arriva en courant à ce moment-là pour nous dire qu'il était l'heure de rejoindre le lycée pour la reprise des cours de l'après-midi. Cet interlude à l'extérieur n'avait fait du bien à personne et étrangement, je ressentis un soulagement à m'éloigner de Loïs.

Son comportement me mettait en colère et me blessait. Il avait mal de me voir le repousser, mais je souffrais aussi. Je pensais qu'il le savait.

Tout le monde se mit en route et nous nous levâmes également pour partir. Loïs m'attrapa alors le bras pour me retenir.

— Attends, s'il-te-plaît, quémanda-t-il doucement.

Arnaud nous jeta un coup d'œil et partit pour nous laisser un moment.

— Quoi ? lançai-je, peu enclin à entendre encore des reproches qui feraient saigner mon cœur.

— Je suis désolé. J'ai été con de réagir comme ça, mais ça... ça me fait du mal aussi de ne pas pouvoir vivre une relation normale avec toi.

Une relation normale.

Les mots me donnèrent un coup de poing dans le ventre. Presque littéralement.

— Désolé de ne pas être normal, Loïs, m'étranglai-je.

— Tu es normal, protesta-t-il. C'est la situation qui ne l'est pas.

— Nous n'y pouvons absolument rien.

En prononçant ses mots, je réalisais à quel point ils étaient vrais. J'étais impuissant. Totalement impuissant à changer ma vie. Peu importe à quel point je me battais pour aimer librement Loïs, je continuais à me cacher chez moi. Peu importe combien je faisais des efforts pour chasser la honte, elle me brûlait la peau et s'affichait dans mon miroir chaque fois que je me regardais. Ouais, peu importait les combats que je menais auprès de Loïs, rien ne changeait vraiment.

J'étais heureux avec lui, mais à quel prix ?

Mon angoisse ne faisait que grossir, mes crises s'intensifiaient.

J'en venais à me demander s'il ne fallait pas les laisser gagner le temps que je trouve ma liberté tout seul. Peut-être devais-je me conformer à leur souhait jusqu'à ce que je puisse être indépendant. Jusqu'à ce que je parte de chez moi sans que mes parents ne puissent me retenir.

En fait, la sécurité c'était d'éviter les mises en situation dangereuses. D'éviter Loïs.

Comme devant le serpent, fuis devant le péché, car si tu approches, il te mordra. Ses dents sont les dents d'un lion : elles arrachent la vie des hommes.
- Sl chap21:02 -

— Je comprends, souffla ce dernier en s'approchant davantage de moi. Je veux pas que tu t'éloignes de moi, j'ai l'impression d'être un pestiféré, d'être le mal pour toi. Je ne veux pas ressentir ça, ni te faire ressentir ça.

Mes yeux s'embuèrent de larmes.

Que pouvais-je répondre ? Il avait vu juste. Tout ce qu'il énonçait était vrai et c'était insupportable. Je me sentais coupable d'éprouver cela, j'avais envie de hurler à l'injustice. Mon but n'était pas de le faire souffrir, j'aurais aimé être différent, vivre dans une autre famille, être capable d'être comme lui, mais c'était une utopie pour l'instant.

— Je t'aime, mia rosa, continua mon bel italien en prenant mon visage en coupe dans ses mains.

Sa rose était fanée, elle perdait ses pétales et ses épines l'isolaient du monde. Ne le voyait-il pas ?

Il se pencha pour m'embrasser et mon cœur bondit dans ma poitrine. Autant de joie que de terreur à l'idée qu'on nous surprenne. Que quelqu'un de l'église nous voient et le rapporte à mes parents. Ou pire, que mes parents eux-mêmes assistent à ce baiser.

Et j'avais parfaitement conscience d'être revenu au point de départ.

Lorsque Loïs se recula, mes larmes coulaient en abondance sur mes joues rafraichies par la douce brise de ce mois d'avril. Je murmurais un je t'aime du bout des lèvres, le cœur à l'agonie.

*

Je passais le week-end à réviser pour le bac en oubliant que mes amis s'amusaient ensemble. Que Loïs sortait et profitait de la vie, tandis que... je ne pouvais même pas prendre l'air, comme avait dit mon petit-ami.

Tous les jours suivants se teintèrent de désolation avec un goût amer. Nous avions repris nos habitudes d'avant Noël, plus de mensonges, plus de sorties en douce. Je me sentais davantage serein, mais cela nous éloignait inévitablement.

Et si j'en souffrais, j'étais également parfaitement conscient que cela soulageait mon anxiété quotidienne. Ce qui renforçait le mépris que j'avais pour moi-même.

— Elliot, tu penses qu'on pourrait se voir ce soir ? demanda faiblement Loïs à la récréation du midi.

— Comment ça ?

— Arnaud m'a dit que tu allais chez lui pour bosser les mathématiques.

— Oui, parce que le bac approche et que je suis nul en maths, dis-je.

— Je peux te faire réviser, proposa-t-il.

J'observais son visage attentivement, jusqu'à inspecter sa cicatrise à l'arcade gauche. Rien n'avait changé. Ses cheveux brun foncé étaient toujours coiffés de la même façon, sa bouche fine était toujours aussi séduisante, ses yeux toujours aussi perçants et pourtant, quelque chose n'était plus là.

Entre nous, tout était devenu trop compliqué. Cela ne nous renforçait plus comme avant, cela nous brisait.

— Tu sais que je ne peux pas, lui répondis-je d'un ton doux.

— Juste cette-fois. J'ai besoin de... d'être juste avec toi.

L'espace d'un instant, je fus profondément indigné qu'il quémande un moment avec moi juste pour satisfaire un besoin sexuel. Cependant, je vis à ses yeux tristes qu'il n'était pas question de ça. Bien que nous ayons eu quelques autres moments intimes depuis notre voyage au ski en février, c'était assez rare et nous avions l'habitude de nous restreindre. À cause de moi, évidemment.

Non, Loïs semblait vouloir une intimité plus sentimentale. C'était comme un appel au secours, un SOS pour sauver le peu de ce qui restait entre nous. Une boule d'émotion gonfla dans ma gorge. Je l'aimais toujours. Même si je m'éloignais et le repoussais, mes sentiments étaient toujours là et il méritait de le savoir.

— D'accord, acceptai-je.

Trois heures plus tard, j'étais bel et bien chez lui, sur son lit.

Je ravalai mes craintes péniblement pour profiter de ce moment avec Loïs. Nous étions allongés côte à côte et il me serrait dans ses bras. Je portais toujours ma tenue du jour, tee-shirt noir et jean, tandis qu'il avait revêtu un haut blanc sur un jogging gris souple. Je le trouvais vraiment attirant. Cependant, je ne fis rien d'autre qu'écouter son cœur battre dans sa poitrine.

— Tu pars en vacances cet été ? m'interrogea-t-il.

— Je ne sais pas.

— Tu penses qu'on peut trouver une solution pour se voir de temps en temps ?

Toujours les mêmes questions, les mêmes préoccupations.

Je rivai mon regard dans le vert de Loïs et, une fois encore, je répondis :

— Je ne sais pas. Mes parents sont de plus en plus oppressants. J'ai peur qu'ils... se doutent réellement de quelque chose. C'est pour ça qu'on se voit plus, Loïs.

— Je sais, tu me las dit.

— Mais tu ne sembles pas comprendre, répliquai-je, amer.

Mon petit ami se redressa sur son lit, m'obligeant ainsi à en faire de même. Il fronçait tellement les sourcils que son visage ne ressemblait plus à l'être insouciant et sûr de lui que je connaissais.

— Je comprends, contra-t-il.

— Ma mère s'est mise en tête que je leur mentais après tout ce qui s'est passé. Et elle a raison ! Et même s'ils n'en parlent pas, je sais qu'ils me soupçonnent d'être toujours possédé ou je ne sais quoi. Mentir autant est dangereux, te voir est dangereux !

Ses paupières se plissèrent et je vis à son pincement de lèvres qu'il comprenait où je voulais en venir. Sa mâchoire tiqua.

— Je ne peux plus prendre de risque, Loïs. Ce soir, c'est... la dernière fois.

Ma voix était peut-être basse, mais je transmis toute ma résolution.

— Mais ça nous éloigne, là... souffla mon italien en posant sa main sur mon torse.

Mon cœur se ratatinait dans ma poitrine. J'avais pris une décision et je devais m'y tenir, ne pas flancher devant l'air triste de Loïs.

— Je sais, confirmai-je, le cœur en miette.

À l'extérieur, la nature se déchainait et une pluie torrentielle s'abattait sur la fenêtre. Elle semblait vouloir s'accorder à notre humeur, à cette terrible compréhension que notre amour flétrissait irrépressiblement. Nous ne le voulions pas, nous nous aimions. Mais il y avait des forces dans ce monde plus puissantes que nous. Mes parents étaient plus puissants.

Sachant que c'était notre dernier moment seul à seul, j'en profitai pour initier pour la première fois un contact intime. Je me penchai pour embrasser ses lèvres tandis que mes mains soulevaient son haut afin de trouver la chaleur de sa peau.

Loïs hoqueta de surprise, il me laissa lui retirer son haut et ensemble nous nous déshabillâmes rapidement.

Ses parents rentraient assez tard le soir, ils étaient tous les deux enseignants dans une école supérieure à Grenoble et faisaient du soutien scolaire après les cours. Il n'y avait donc aucune chance qu'ils nous surprennent, chassant que je partais aux alentours de dix-huit heures, comme l'exigeait le couvre-feu de mes parents.

Toutes ces pensées se battaient dans mon esprit pour m'amener dans des endroits sombres, à m'imaginer des scénarios où tout serait découvert. Ma tête fonctionnait toujours comme ça et c'était épuisant.

Je ne voulais pas que ce moment privilégié soit entaché par mes problèmes mentaux. Ainsi, j'accélérai mes intentions, me frottant plus fermement contre le corps excité de Loïs. Il gémit sous moi et s'arc-bouta.

Tous nos moments intimes avaient ressemblé à cela, nous nous touchions, nous frottions jusqu'à jouir ou bien Loïs me prenait en bouche. Jamais je n'avais osé une telle chose. La honte, toujours elle.

Cependant, cette fois-ci je pris conscience que nous n'aurions plus une nouvelle occasion de vivre un tel instant de plaisir, nos moments à l'avenir seraient déterminés par nos cours respectifs uniquement. Cette réalisation me donna le courage d'expérimenter.

Parce que si j'acceptais de revenir en arrière sur notre relation, je ne comptais pas nier à nouveau mon amour, mon désir pour Loïs et mon homosexualité. Cet aspect de moi m'appartenait et mes parents n'auraient jamais le pouvoir de l'effacer. Autant apprécier le plaisir jusqu'au bout. Je gérerais la honte plus tard, comme toujours.

Ma bouche longea son ventre pour apprécier chaque relief jusqu'à ce que j'atteigne son bas ventre. Je bloquais mon esprit et resserrai mes doigts sur les cuisses de mon petit ami afin de trouver un ancrage.

— Je t'aime, Eliott, murmura-t-il.

— Moi aussi.

Après ces mots qui sonnaient comme un adieu, je laissai mes lèvres explorer un territoire inconnu mais tellement désirable. Le plaisir guida chaque mouvement et les gémissements de mon italien m'encourageaient. Après plusieurs minutes, il bougea afin qu'on se retrouve tête-bêche, dans une position où nos plaisirs se mélangeaient dans une communion parfaite.

L'orgasme que nous partageâmes ce soir-là fut si exceptionnel que mon cœur explosa dans ma poitrine. Cette sensation de satisfaction comblait chaque parcelle de mon être.

Mais j'allais l'ignorer.

Pour moi, c'était déjà le début de la fin.

*
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