Chapitre 13

L'ennemi cherche ma perte, il foule au sol ma vie ; il me fait habiter les ténèbres avec les morts de jadis.
- Psaume 142 :3 -

La routine était revenue.

Un mois et demi était passé, nous avions repris un rythme scolaire normal et mes séances de révisions chez Arnaud se poursuivaient. J'essayais de partager ces moments entre mon amoureux et mon meilleur pote, qui rouspétait de me voir moins.

Ainsi, ce soir-là, j'avais convenu de rester chez lui et non de rejoindre en douce Loïs. Tandis qu'Arnaud hurlait après son jeu vidéo, je tentai de me concentrer sur mes devoirs. J'avais pris pas mal de retard en passant mes fins de journée avec italien. Il était rare que nous parvenions à réviser, sa bouche étant beaucoup plus intéressante.

En y pensant, mes joues se coloraient avec rapidité. Notre exploration au ski avait été intense, très bouleversante et à ma grande surprise, je n'avais pas paniqué tout de suite après. Je l'avais fait plutôt en revenant du séjour...

Je laissai échapper un soupir, conscient que je souffrais d'être moi. Le balancier perpétuel entre mortification et excitation me rendait dingue, presque au sens propre puisque mes crises d'angoisses s'intensifiaient. Pour autant, je me refusais à montrer ma gêne à Loïs, je continuais donc à accepter ses baisers et, de temps en temps, ses caresses...

L'heure qu'affichait mon téléphone indiquait que je ne devrais plus trainer, j'avais un horaire à respecter pour rentrer chez moi et loin de moi l'idée d'arriver en retard. Je fermai mes cahiers et rangeai le tout dans mon sac à dos lorsque la sonnette retentit dans la maison.

Arnaud mit sur pause en rouspétant :

—    Je suis sûr qu'elle a encore oublié ses clés, marmonna-t-il, faisant certainement référence à sa mère, qui avait été retenu au travail ce soir-là.

Il s'échappa rapidement de la chambre pour aller ouvrir. Une voix féminine me parvint alors quelques instants plus tard et le ciel me tomba sur la tête.

—    Eliott ! cria mon ami.

Mon cœur bondit dans ma poitrine et mes mains se crispèrent sur mon sac. Figé sur la chaise de bureau, je me demandais si c'était réel. Si j'avais bien reconnu la voix. Peut-être avais-je confondu, après tout, j'étais dans la chambre d'Arnaud, au fond du couloir.

Mon meilleur ami arriva en trombe, les yeux écarquillés et ses cheveux blonds en bataille.

—    Ta mère est là, souffla-t-il.

Sa panique devait se refléter sur moi puisqu'il s'approcha rapidement pour poser ses mains sur mes épaules.

—    Eliott, ta mère est là. Elle voulait parler à ma maman, mais j'ai dit qu'elle avait été retenue au travail plus tard cette fois-ci, elle semble en colère.

Les yeux verts d'Arnaud semblaient sortir de leur orbite et mon rythme cardiaque ne fit que s'accélérer. C'était un cauchemar.

—    N'oublie pas de paraitre serein, tu n'as rien à te reprocher, tu es comme prévu chez moi le soir après les cours pour réviser. Ma mère était pas là ce soir mais c'est une exception, ok ?

L'urgence dans la voix de mon ami provoqua une coulée de sueur froide dans mon dos. Oh, mon Dieu...

Ma mère était là.

La prise sur mes épaules se raffermit puis il me secoua et me redressa. Il m'aida même à mettre mon sac à dos.

—    Eliott, c'est pas le moment de craquer, reprends-toi !

La sonnette me vrilla à nouveau les tympans et ma gorge se comprima au point que j'eus du mal à respirer. Ma mère était impatiente. Je la faisais attendre.

La peur s'infiltra en moi lentement, courant dans mes veines, parcourant chacun de mes membres pour les rendre lourds. Pourtant, je savais devoir me reprendre, auquel cas, j'allais avoir de sérieux ennuis.

Arnaud me poussa vers la sortie de sa chambre et répéta une fois encore ce que je devais dire. J'étais parfaitement conscient de la situation, cependant j'étais figé dans un brouillard de terreur.

En quelques pas, nous fûmes dans l'entrée, la silhouette de ma mère se détachant dans l'encadrement de porte. Son manteau vert foncé fut la seule chose que je pus regarder.

—    Ah enfin tu es là ! Tu étais bien long, déclara-t-elle, d'une voix sévère.

—    Je... je rangeais mes affaires de cours, parvins-je à dire.

Le mensonge s'enclencha en moi. Loïs et Arnaud m'aidait au quotidien à cacher qui j'étais auprès de mes parents, les stratagèmes, les mensonges, je connaissais. Je n'étais pas à l'aise avec ça, mais je m'améliorais pour ma survie.

—    Bien. Allons-y, décida ma mère, en se détournant déjà pour rejoindre la route.

—    Respire profondément, mec, tu n'as rien fait de mal, ok ? chuchota Arnaud.

Je hochai la tête, lui laissant un regard désespéré avant de récupérer ma parka, mettre mes chaussures en vitesse et sortir de chez lui.

Une fois dans la voiture, le silence de l'habitacle fut encore plus oppressant.

—    Alors comme ça, Eline n'était pas là, intervint ma mère au bout de quelques minutes.

—    Elle a eu un truc au boulot, répondis-je.

Ce n'était pas un mensonge, Eline avait vraiment été retenu à son travail. Cela tombait terriblement mal, considérant que sa présence était la condition pour me laisser réviser chez Arnaud.

—    Hum. Et ça arrive souvent ?

—    Non.

—    J'espère bien, répliqua-t-elle sèchement.

Très vite, nous fûmes à la maison.

Dès le seuil de la porte franchi, ma génitrice m'obligea à rejoindre la cuisine, où se trouvait mon père. Elle lui fit un rapport détaillé de la situation, insistant bien pour dire que Eline ne semblait pas digne de confiance. Je tentais de défendre la mère de mon meilleur ami, scandant que cela arrivait d'être retenu au travail et que c'était exceptionnel.

Seulement mon intervention fut prise comme de l'impertinence et agaça ma mère. Mon corps était gelé, chacun de mes os pesait une tonne et j'avais mal au ventre. Je sentais une crise approcher.

Et cela ne fit que s'aggraver lorsque mon père me posa des questions sur les devoirs et que ma mère promit de téléphoner à Eline pour avoir des explications. Ils semblaient méfiants. Ma bouche resta scellée, je n'arrivais plus à répondre à leurs interrogations et mon cerveau se noya sous l'affluence des informations.

Ma mère était venue me chercher ce soir. Alors que j'étais chez Arnaud. Parce qu'elle me croyait chez Arnaud. Le Seigneur avait été de mon côté cette fois-ci, car si elle avait décidé de faire ça un autre jour, elle se serait rendu compte de mes mensonges.

Oh Mon Dieu...

J'avais échappé à la catastrophe de justesse. Encore.

J'ouvris la bouche en quête d'air. Je n'arrivais plus à respirer. Mes mains tremblaient, mon corps s'engourdit au point où je ne le sentais plus. Mon visage me brûlait, ma peau fondait. J'étais en train de mourir. Un vertige brouilla la vue de mes parents et les voix n'étaient plus que des grésillements.

Incapable de réfléchir, de compter, je sombrai.

J'aurais aimé me pincer, me griffer, me faire mal, cependant mon corps ne m'appartenait plus.

Et sur cette pensée, l'obscurité m'emporta et je me sentis chuter au sol.

*

Lorsque j'ouvris à nouveau les yeux, une lumière aveuglante me brula les rétines.

Mince, étais-je mort ?

La lumière divine était-elle là pour me conduire au Paradis ? Enfin, si tant est que j'étais digne de me retrouver dans un lieu aussi splendide. Sans doute que mon penchant homosexuel allait signer mon séjour en Enfer.

—    Eliott ?

Une voix masculine, grave et douce à la fois, me poussa à cligner des yeux afin de voir autre chose que cette luminosité blanchâtre.

Rapidement, je distinguai à ma droite une silhouette. Son visage m'apparut petit à petit. L'homme était assez âgé, la cinquantaine peut-être, avec des cheveux poivre et sel et un regard attentif.

—    Comment te sens-tu ? demanda-t-il, soucieux.

Mon regard analysa mon environnement et je m'aperçus que j'étais allongé dans un lit d'hôpital. La chambre était claire, mais triste, comme souvent dans ces établissements médicaux.

Qu'est-ce que je faisais à l'hôpital ? Ma mémoire se mit en route à vitesse grand V et des souvenirs me revinrent par vagues. J'avais fait une crise de panique et je m'étais évanouis dans la cuisine.

—    Eliott, tu m'entends ?

Je reportai mon attention sur l'homme assis à ma droite.

—    Oui. Qui êtes-vous ?

—    Je suis médecin.

—    Oh.

Ouais, logique. Je me redressai sur le lit, afin d'adopter une position plus adéquate à la discussion avec un adulte.

—    Où sont mes parents ? demandai-je, la voix faible.

—    Dans le couloir.

Instinctivement, mes yeux se rivèrent sur la porte de la chambre, derrière laquelle j'imaginais mes parents trépignant d'impatience à l'idée de me ramener à la maison. Certainement qu'une part d'eux était inquiète après mon évanouissement, mais ils devaient surtout être très agacés de se retrouver à l'hôpital en soirée. Ils travaillaient le lendemain, j'avais école et les hôpitaux, comme la science en général, n'étaient pas leur domaine d'intérêt favori. Cela les confrontait beaucoup trop à des personnes athées et aux limites de leur croyance.

—    Comment te sens-tu ? répéta le médecin.

—    Je vais bien.

—    Sais-tu ce qui t'est arrivé ?

—    J'ai fait une crise de panique, marmonnai-je.

Le médecin au regard bleu laissa quelques secondes de silence s'écouler avant de me demander si j'avais déjà eu d'autres crises. Ce à quoi je répondis par l'affirmative. S'en suivit une sorte d'interrogatoire pour savoir depuis quand, si je m'étais déjà évanoui et si je savais ce qui déclenchait une telle situation.

J'eus du mal à répondre avec honnêteté à cette derrière question. Et le médecin s'en rendit compte.

—    Eliott, je suis psychiatre et tout ce qui se dira ici restera entre nous. La porte est fermée, nous sommes seuls et en sécurité. Tu peux me parler.

—    Je...

Ma bouche se referma.

Mais vous, tremblez, ne péchez pas ; réfléchissez dans le secret, faites silence.
- Psaume 04 : 5 –

Cette voix dans ma tête... Elle était revenue. Depuis quelques temps, elle se faisait plus rare, plus subtile. Bien que toujours présente au bon moment pour me rappeler à l'ordre, tantôt pour m'enfoncer, tantôt pour m'aider... Je ne savais pas si je la détestais ou si j'en avais besoin.

Peut-être devenais-je fous. Après tout, je parlais à un psychiatre alors que j'entendais une voix dans ma tête. Ça n'avait rien de normal.

Cependant, je n'avais jamais été normal.

Un regard vers le médecin m'apprit qu'il attendait patiemment que je lui réponde quelque chose. Il ne me brusquait pas. Ces mots étaient rassurants, le fait que cette conversation soit confidentielle me mettait plus en confiance, néanmoins, j'avais peur de parler.

Évoquer mon séjour chez père Vincent allait provoquer une série d'évènements en chaîne qui retomberait forcément sur mes parents. Et je vivais avec eux, sous leur toit. Si je faisais ça, qu'adviendrait-il de moi ? Je savais qu'il existait des thérapies de conversion plus dures ailleurs, pourraient-il m'envoyer là-bas en guise de punition ?

—    Eliott, ces crises que tu fais ne s'arrêteront pas toutes seules. Elles sont dangereuses pour ta santé et j'aimerais t'aider.

—    Comment ?

—    Si tu connais les déclencheurs de ton angoisse, tu peux apprendre à t'adapter, contrôler et déconstruire jusqu'à ce que l'angoisse disparaisse.

Je ne répondis que par le silence.

J'étais fatigué. J'aurais aimé être ailleurs.

Non pas chez moi où je me sentais mal, mais dans les bras de Loïs. Oui, j'aurais aimé avoir l'opportunité de le serrer contre moi, de l'embrasser, toucher sa peau bronzée et respirer son parfum. J'aurais aimé être libre de l'aimer sans contrainte, sans honte, sans peur. 

Mes contradictions me rendaient faible. Et avec les mois qui défilaient, je réalisais qu'elles ne disparaitraient jamais.

Incapable de concilier mon amour pour lui avec ma vie au quotidien. Voilà la source de mes angoisses. Alors que dire à ce médecin ? Je voulais qu'il m'aide, que quelqu'un entende ce que j'avais sur le cœur, peut-être avait-il une solution miracle pour moi ?

—    Je... c'est compliqué avec mes parents, soufflai-je timidement.

—    D'accord, peux-tu m'expliquer ce qui est compliqué ?

Sa voix douce m'encouragea.

—    Ils sont catholiques, très pratiquants. Et je suis... homosexuel.

Le dire à haute voix déclencha une nuée de frissons sur ma peau. La chambre était froide, mais ces frissons n'étaient pas dû à la température, plutôt au choc de m'entendre prononcer ces mots après tout ce temps.

—    Je vois. Ils ne l'acceptent pas ?

—    C'est un euphémisme, répondis-je avec amertume. Ils sont dans le déni depuis qu'ils l'ont découvert, mais je suis considéré comme le diable en personne et je me sens... je n'ai pas droit à l'erreur.

—    Est-ce qu'ils te maltraitent ?

—    Non.

En prononçant ces mots, un goût acre s'installa dans ma bouche. Je ne mentais pas, puisqu'ils ne me battaient pas, me nourrissaient correctement et m'apportaient ce dont j'avais besoin. Cependant, la maltraitance émotionnelle était là.

Est-ce que ça comptait ?

—    Je n'ai retrouvé aucune blessure ancienne ou récente qui suggèrerait le contraire, cependant, la maltraitance peut prendre différentes formes. Être homosexuel n'est pas interdit, tes parents ont des croyances, il faut respecter ça, mais il ne faut pas confondre leur croyance avec la vérité. Si tu n'es pas en sécurité dans ton foyer familial, il est important que tu demandes de l'aide, Eliott. Il y a des solutions. Nous pouvons alerter les services sociaux, tu peux être émancipé, tu peux obtenir une écoute.

Un hochement de tête fut tout ce que je pus faire. Il m'était impossible de dire que quoi que ce soit de plus, d'engager une quelconque demande. Ce médecin pinça les lèvres face à mon silence. Il récupéra une carte, cachée dans sa poche de blouse et me la tendit.

—    Voici mon nom et mon numéro de téléphone, tu peux m'appeler à n'importe quelle heure, peu importe la raison.

—    Me-merci, murmurai-je, les yeux fixés sur la petite carte blanche.

Il finit par rejoindre mes parents pour leur parler, il voulait que je suive une thérapie psychologique, peut-être même un traitement médicamenteux pour calmer mon anxiété. Cependant, mes parents refusèrent catégoriquement, selon eux, j'allais très bien, ce n'était qu'un simple évanouissement de fatigue. Ainsi, ils me ramenèrent à la maison.

Ma mère hurla après moi que j'avais fait du cinéma, mon père suggéra que je mange plus car les malaises vagaux étaient pour les faibles. Ce n'était pas des malaises, ni du cinéma mais je m'abstins de les contredire.

Au lieu de cela, je me terrais dans ma chambre, silencieux. Et pensif.

Je pris une claque ce jour-là.

La réalité me percuta avec violence pour me faire comprendre que je n'y arriverais pas. Je ne parviendrais jamais à atteindre ma majorité sans qu'ils ne m'éteignent au passage.

Et chaque jour, j'aggravais la situation en me mettant en danger pour Loïs. Pour vivre cet amour qui faisait battre mon cœur. Pour simplement être.

Dans ma tête, une idée atroce revint à la charge. Je l'avais chassé, mais les derniers évènements avaient ravivé cette pensée.

Le danger à long terme était mes parents, mais dans l'immédiat, c'était Loïs.

Et je l'avais toujours su.

*
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