VI.

"Je ne pensais pas que tu resterais si longtemps avec nous, me dit ma mère alors que nous sommes installés sur le canapé, une tasse de thé entre nos mains. D'habitude, dès que tu peux rentrer chez toi, tu pars aussi vite que tu es arrivé.

- Je sais. Tu en doutes parfois, mais vous me manquez.

- On aimerait te voir plus souvent, c'est vrai. Je suis contente de t'avoir près de moi pendant toute cette semaine."


Je souris à ma mère en portant ma tasse à mes lèvres. Alors que je m'apprête à lui répondre, mon portable vibre sur la table basse, affichant un SMS. Mon sourire s'agrandit quand je m'empare de l'appareil.

Message de Louis : Salut Harry. Ça va ?

Message de Louis : Tu es toujours en ville ou tu es rentré à Londres pour la semaine ?

Message à Louis : Toujours chez mes parents ! Ça va bien et toi ?

Message de Louis : Ça te tente un ciné ?

Message à Louis : Ouais, pourquoi pas.

Message de Louis : Je termine au centre à 17h. Tu me rejoins ?

Message à Louis : OK !

Je repose mon téléphone, inconscient de m'être isolé dans ma bulle. Quand je relève le visage vers ma mère, elle me regarde avec un grand sourire aux lèvres.

"Il y a quelque chose que tu aimerais me dire mon chéri ?

- Non... Juste que je vais aller me préparer pour aller au cinéma, je réponds en rougissant.

- Te rendre dans cette association t'a vraiment fait du bien. Tu sembles tellement plus détendu qu'à ton arrivée" elle ajoute.


Je ne réponds rien. Je me lève et embrasse sa joue. J'ai largement le temps de me préparer pour rejoindre Louis, mais j'ai bien envie d'aller le voir travailler avec les enfants.

Je monte dans ma chambre pour me changer. Je garde mon jean noir mais enfile le pull offert par Gemma à Noël et une paire de boots. Je passe par la salle de bain pour dompter mes boucles que je laisse libres.

Dans l'entrée, je mets mon manteau et mon écharpe quand ma mère me rejoint.

"On ne t'attend pas pour dîner ?

- Non. Je ne pense pas. Au pire, je prendrai un truc à emporter.

- D'accord. J'te laisse la clef de la maison, au cas où tu rentres tard.

- Merci."


J'embrasse sa joue et quitte la maison. Le centre de loisirs est à quelques rues de là. J'enfonce mes mains dans mes poches et mon menton dans la chaleur de mon écharpe.

Je fais le tour du bâtiment jusqu'à la petite cour et tape quelques coups contre la fenêtre. Tous les enfants tournent leurs visages vers moi et interpellent Louis. D'abord surpris, son visage s'illumine quand il me dit de le retrouver à l'entrée.

"Mais qu'est-ce que tu fais déjà là ? Je finis dans une bonne heure !

- J'avais envie de te voir en action !

- Tu avais surtout envie de participer aux activités, j'en suis sûr !"


Je ris avec Louis alors que nous nous dirigeons vers son groupe d'enfants. Louis me présente et les bambins me saluent. Ils sont âgés entre cinq et huit ans, installés autour des tables. C'est atelier peinture. Je me défais de ma veste et mon écharpe que je pose sur la chaise de Louis et m'installe sur l'une des petites chaises. Je prends une feuille blanche, un pinceau et joue le jeu de l'activité : Dessiner l'hiver.

Louis passe d'enfant en enfant, conseille, complimente, aide. Il est vraiment prévenant. J'essaye de faire abstraction de ce que je ressens, mais revoir Louis me rappelle à quel point nous étions proches, à quel point j'étais attaché à lui. Je pensais qu'après toutes ces années, les sentiments auraient totalement disparu. C'était bien mal connaître le pouvoir de Louis sur moi.

Il doit sentir mon regard sur lui car il tourne son visage. Nos regards se rencontrent, mes joues s'échauffent. Louis se racle la gorge en baissant les yeux sur le dessin d'une petite fille, légèrement rougissant.

Je me trompe sûrement... Mais j'aime bien l'idée de déstabiliser Louis.

L'heure passe rapidement. J'ai fini par être plus absorbé par ce que je dessine que par ce qui m'entoure. Certains enfants viennent vers moi et me disent au revoir quand l'heure de quitter le centre est arrivée.

Louis emmène toute sa petite troupe dans le couloir où chaque enfant récupère son manteau et s'habille. Je les entends s'éloigner de la salle pour rejoindre l'entrée et les parents.

Je mets la touche finale à mon dessin, un paysage enneigé sous un ciel bleu foncé étoilé. Je souffle légèrement dessus en me levant, m'approche du bureau de Louis. Je griffonne mes initiales au bas de la feuille et l'accroche sur le mur.

En attendant Louis, je m'active à ranger sa salle d'animation : je réunis les pinceaux, ferme les pots de peinture, rassemble et trie les feuilles.

"Fallait pas tout ranger, voyons ! dit Louis en entrant dans la pièce. Merci.

- De rien. Ça m'a pris cinq minutes et je ne suis pas sûr que mon rangement te convienne.

- Ça ira très bien. On y va ?

- Ouais."


Je réponds en me dirigeant vers Louis. Il me tend mon manteau et mon écharpe pour s'emparer de ses affaires et se préparer à sortir. Je sens son regard sur moi, les yeux rieurs et le sourire aux lèvres.

"Quoi ? je lui demande.

- Tu as de la peinture sur la joue" il me répond en déposant ses doigts sur mon visage pour effacer les traces de couleur.


Son geste est doux et beaucoup trop agréable pour mon cœur. Mon estomac fait des bonds et je me sens rougir. Non. Non. Non... Ce n'est pas possible !

Je prends une grande inspiration et me recule légèrement pour me défaire du contact de Louis. Il faut qu'il arrête cette proximité parce que je n'y survivrai pas une seconde fois.

"Désolé" il marmonne avant de s'avancer pour sortir.

Nous faisons le chemin jusqu'au cinéma dans le silence de la voiture de Louis, le chauffage au maximum.

"Tu as décidé de passer les vacances chez tes parents, alors ? me demande Louis, rompant le silence devenu pesant.

- Oui. Ma mère me reproche de ne pas passer suffisamment de temps avec eux. Comme je devais revenir pour la soirée du Nouvel An, j'en ai profité pour rester.

- Tu aimes la vie à Londres ?

- Beaucoup. J'aime flâner sur les bords de la Tamise.

- Ça ne m'étonne pas de toi, répond Louis dans un sourire.

- Que veux-tu, j'ai une âme d'artiste et tous les clichés qui vont avec ! je ris.

- Je ne suis allé à Londres que trois ou quatre fois, je crois.

- Comment c'est possible ?

- Je... Je... il hésite. J'aime pas l'affluence des grandes villes. Et Manchester est bien suffisante si j'ai besoin de quelque chose d'introuvable ici.

- Ouais... C'est un point de vue. Londres est une ville agréable et tellement étendue. La foule n'a jamais été un problème."


Louis n'ajoute rien. Son visage toujours souriant s'est soudainement fermé. Nous arrivons devant le cinéma. Louis gare sa voiture et nous marchons jusqu'au bâtiment. Je m'occupe du pop corn et des boissons pendant qu'il prend des places pour notre film.

"Ça va ? je lui demande en murmurant. Tu sembles nerveux.

- Non. Pas du tout. Ça va.

- OK."


Je ne cherche pas plus à comprendre ce changement soudain de comportement. Louis a bossé toute la journée. Je mets ça sur le compte de la fatigue qui retombe.

Un peu plus de deux heures plus tard, nous ressortons de la salle, enchantés. Il a beaucoup neigé et un tapis blanc recouvre les trottoirs. Je peste. Je déteste la neige quand je ne suis pas dans la chaleur de mon appartement avec une tasse de thé. Je marche avec précaution alors que Louis avance à grandes enjambées.

"Mais qu'est-ce que tu fait ? Tu veux geler sur place ou quoi ?" il me dit en se tournant vers moi, constatant que je le suis de loin.

Il semble avoir retrouvé sa bonne humeur et son ton taquin quand il s'adresse à moi. Je me concentre pour continuer d'avancer en levant mon regard vers lui et en lui parlant.

"J'aime pas la neige. Ça glisse ! je réponds comme un enfant.

- C'est un peu le principe de la neige, non ?!?" ajoute Louis tandis que je chute lamentablement sur les fesses.


Le rire cristallin de Louis résonne mais il s'approche de moi, les deux mains tendues en avant pour m'aider à me relever. Je bougonne et lui tire la langue tandis qu'il s'amuse toujours de moi.

"C'est le problème d'avoir des grandes jambes ! Tu tiens pas l'équilibre !

- Fous-toi de moi ! je lui réponds en déposant ma main glacée sur son visage.

- Hey ! il rouspète. Allez viens ! Je t'offre un dîner bien chaud.

- Et s'il neige plus ?

- Et alors ?

- On va mettre des heures à rentrer...

- N'importe quoi ! Allez viens !"


Louis m'offre son bras auquel je m'accroche sans scrupule. Il roule prudemment jusqu'à une petite crêperie où je n'ai pas mis les pieds depuis des années.

Une bonne odeur se dégage de l'intérieur du restaurant aux murs lambrissés. Le serveur nous installe à une petite table dans le fond de la salle. Je salive déjà. J'ai un bon souvenir de cet endroit où je venais adolescent avec ma mère et ma sœur pour le goûter.

Nous commandons deux verres de cidre et des galettes salées. Je suis soulagé de voir que notre conversation reprend naturellement.

Rassasiés d'une bonne crêpe sucrée et d'un café chaud, je me prépare à affronter le froid. Louis règle l'addition tandis que je regarde par la fenêtre les pare-brise givrés. La neige s'est arrêtée de tomber.

"Tu es prêt ? j'entends Louis me demander. Tu vas tenir sur tes jambes ?

- Arrête, tu veux bien !!! C'est pas drôle.

- Si ça l'était, je t'assure !"


Je le bouscule légèrement en secouant la tête, ouvre la porte et sors dans la rue, saisi par le froid. Nous montons dans la voiture et laissons la ventilation réchauffer l'habitacle et dégivrer les carreaux.

Louis se racle la gorge et tapote sur le volant.

"Tu sais, Harry, tu m'as dit l'autre jour que tu avais répondu à tous mes messages sans m'envoyer les réponses.

- Oui, je réponds un peu gêné.

- Moi aussi, je t'ai écris sans parvenir à t'envoyer mes messages.

- Quoi ? je réponds alors que mon cœur rate quelques battements avant de s'affoler. De quoi tu parles Louis ?

- Je n'ai pas été honnête avec moi quand nous étions ado et encore moins avec toi. Tu aurais dû m'en parler, vraiment.

- Louis, qu'est-ce que tu essayes de me dire ? Je... je ne comprends pas."


Louis tourne son visage vers moi, confus. Il sort de la place de stationnement sans ajouter un mot et parcourt les rues jusqu'à la maison de mes parents. Il n'est pas très tard mais les lumières sont déjà éteintes. Si nous avions été seuls, j'aurais proposé à Louis de rentrer prendre un café.

"Louis, tu peux me dire ce qu'il y a ?

- Laisse tomber, c'est pas une bonne idée. Et comme tu as dit, c'est du passé maintenant.

- Les non-dits bouffent la vie, Louis. Mais fais comme tu le sens. Merci pour la soirée. C'était vraiment agréable... De te retrouver."


Je sors de la voiture et claque la portière dans un "Bonne soirée" à peine audible.

"Harry ! Attends s'il te plait..." m'interpelle Louis alors que sa portière claque dans mon dos.

Je me retourne pour lui faire face, son regard baissé sur ses chaussures et les mains dans les poches. Je resserre les pans de mon manteau et croise les bras sur ma poitrine. J'attends mais ne dis rien. J'en suis incapable en fait. Je n'ai aucune idée de ce que Louis a à me dire et j'ai peur d'entendre ses mots.

"Tu aurais dû m'en parler... il répète. Ça m'aurait surpris bien sûr mais... mais ça m'aurait sûrement permis d'ouvrir les yeux. Parce que j'ai mis six mois à ouvrir les yeux, à comprendre que... Pendant six mois, il reprend, j'ai... J'ai pas compris ton départ. Et tu répondais pas à mes messages. J'ai pensé que j'avais fait quelque chose de mal mais je voyais pas quoi. Tout a changé du jour au lendemain. Éléanor a vu le changement tout de suite et n'a pas compris non plus. On s'était tourné autour pendant des semaines et, genre trois jours après que nous soyons sortis ensemble, j'avais la tête ailleurs. J'étais malheureux comme les pierres. J'avais l'impression qu'une partie de moi avait disparu. Mon meilleur ami était parti, sans un mot, sans un regard. Le jour de la rentrée, ta place est restée vide, aussi vide que mon cœur. Un jour, Éléanor m'a forcé à lui dire ce qui n'allait pas. J'ai pas su lui expliquer. Alors, c'est elle qui me l'a dit."

Je déglutis. Mon cœur bat à mille à l'heure. Je ne comprends pas. Je ne veux pas comprendre ce que Louis est en train de dire. Ce n'est pas possible. Il serait venu me retrouver si...

"Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? je demande, la voix enrouée.

- Elle m'a dit que... Que notre amitié, c'était pas de l'amitié. C'était plus que ça..."


Le regard de Louis s'accroche enfin au mien. Je suis bouleversé.

"Pourquoi, pourquoi tu n'as pas envoyé de message pour me le dire ? Je serais revenu.

- Tu plaisantes là ? il demande, énervé. JE NE SAVAIS PAS POURQUOI TU ÉTAIS PARTI HARRY ! Comment je pouvais savoir que ce sont tes sentiments qui t'ont fait disparaître ? Tout te dire c'était te perdre, comme tu as pensé me perdre si tu m'en avais parlé."


Je suis abasourdi. Louis a raison. Je suis parti sans donner d'explication, sans que nous n'ayons jamais évoqué le fait que notre amitié cachait en fait des sentiments amoureux.

"Un jour, je suis venu à Londres. Je savais dans quelle école tu étais. Je t'ai attendu tout un après-midi. Et puis, je t'ai vu sortir, main dans la main avec un gars. Je me suis dit que j'avais raté ma chance. Voilà, je... je voulais que tu le saches, même si c'est du passé... il ajoute.

- Arrête avec ça !"


Je laisse tomber mes bras le long de mon corps et me laisse guider par les battements de mon cœur. Je parcours les quelques centimètres qui me séparent de Louis. La neige s'est remise à tomber sans que je m'en aperçoive. J'agrippe son écharpe et plonge mon regard dans le sien. Je ne sais pas si c'est le froid ou l'émotion, mais des larmes perlent au coin de ses yeux. Je glisse mes doigts le long de sa mâchoire, caressant sa fine barbe. Huit ans ont passé mais Louis est toujours aussi beau, peut-être même que la maturité le rend plus beau encore. Je n'ai jamais été très objectif. Son souffle percute mes lèvres, peut-être impatient. Mes yeux l'interrogent "Est-ce qu'il est vraiment trop tard ?". Il mord doucement sa lèvre inférieure. Je fonds sur sa bouche et l'embrasse doucement. J'ai l'impression que mon corps se consume sur place. Les bras de Louis s'accrochent à ma taille alors qu'il me rend mon baiser.

C'est un baiser parfait, doux et sans aucune once d'hésitation. Nous l'avons attendu longtemps mais il n'est pas précipité ni maladroit. Il est tendre, langoureux, agréable. Nos langues se découvrent mais ne se cherchent pas. Elles se caressent, s'éloignent pour se retrouver, encore et encore.

Je m'écarte de Louis, ma main toujours agrippée à son écharpe alors que les doigts de mon autre main sont glissés dans ses cheveux à l'arrière de sa tête.

Je suis happé par son regard, brillant et intense. Mon cœur continue sa cavalcade dans ma poitrine. Un sourire se dessine sur son visage et ses lèvres déposent un baiser rapide sur les miennes.

En un baiser, Louis a fait s'envoler ma mélancolie de Noël. Je niche mon visage dans le creux de son cou, là où sa peau est toute chaude. Il frissonne et je ris.

"Le bout de ton nez est tout froid... On devrait rentrer."

Je hoche simplement la tête sans changer de position, savourant la douce odeur de Louis. Sa main vient chercher la mienne. Je me détache alors de son corps et le regarde, dépose un autre baiser au coin de ses lèvres.

"Merci beaucoup pour cette soirée, Louis. Rentre bien. Bonne nuit !"

Je monte les quelques marches du perron, sentant le regard de Louis dans mon dos. Je souris. Je souris beaucoup trop et j'adore ça. Je lui fais un petit signe de la main en fermant la porte, alors qu'il n'a pas bougé d'un pouce, sous la neige, devant sa voiture.

Quelques secondes plus tard, j'entends le moteur ronronner et la voiture s'éloigner. Je m'adosse à la porte d'entrée, heureux.


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