II.
"Qu'est-ce que tu as dit à maman ?"
Gemma est passée me récupérer à la maison en début d'après-midi. Nous avons décidé d'aller en ville, acheter les derniers petits présents qu'il manque pour le soir de Noël. Installés autour d'une table d'un nouveau salon de thé, une tasse de chocolat chaud recouvert de marshmallows, mon regard se perd sur la rue à travers la vitrine. Je reporte mon regard sur ma sœur, la même lueur d'inquiétude que ma mère dans les yeux.
"Rien, je réponds, distant.
- A d'autres Harry ! Elle m'a appelée ce matin, inquiète. Tu joues mieux la comédie les autres années.
- Je suis fatigué de faire semblant. Je n'aurais pas dû venir...
- Et passer Noël tout seul chez toi ?
- C'est peut-être mieux, non ? Tu as raison, je fais semblant depuis des années..., je réponds en glissant mes doigts dans mes cheveux pour les ramener en arrière. J'ai pas de plaisir à fêter Noël. C'est pas contre vous, mais je n'en vois pas l'intérêt. J'ai l'impression que tout le monde se force. Regarde, on est à 48h du réveillon et c'est la course aux cadeaux. On n'a pas d'idée. On se force. Ne me dis pas le contraire ?
- C'est devenu compliqué de trouver des cadeaux, c'est tout. Simplement parce qu'on a tout ce qu'il nous faut...
- Ouais, on va dire ça !"
Je mets un terme à la conversation et continue de boire mon chocolat, cherchant un autre sujet à aborder. Je m'apprête à engager la conversation, quand une jeune femme frappe sur la vitre qui nous sépare de la rue, pour attirer l'attention de Gemma.
Quelques secondes plus tard, la jeune femme se plante devant nous. Ma sœur et elle s'enlacent, un grand sourire barrant le visage de chacune. Elles pépient en ignorant totalement ma présence. L'amie de ma sœur finit par tourner son visage vers moi, s'excusant de sa maladresse. Elle tend sa main pour me saluer.
"Bonjour, je suis Charlotte. Tu dois être Harry, le frère de Gem' ?
- Bonjour, enchanté. Oui, c'est moi ! je réponds à la jeune femme, mon regard happé par ses yeux bleus, troublants, troublé.
- Gem' me parle tout le temps de toi. Harry par-ci, Harry par-là, la vie à Londres... Enfin ! Ravie de te rencontrer ! Allez je file. Gem', on se voit avant la soirée du nouvel an !
- Oui. Je t'appelle !"
Aussi vite qu'elle est arrivée, Charlotte repart, laissant derrière elle les effluves de son parfum fruité et fleuri.
"Charlotte travaille avec moi. Enfin, c'est tout comme. Elle est modèle pour le magazine. On se croise souvent.
- D'accord. Vous avez prévu de passer le nouvel an ensemble ?
- Oui, elle m'en parle depuis des semaines, mais Michal n'est pas emballé. Tu pourrais venir avec nous, ça rassurerait Michal ?!?
- Je suis censé rentrer à Londres...
- Tu as une soirée ? me demande Gemma, alors que je baisse le regard. C'est vendu H ! Tu viens avec nous. Ça fera plaisir à maman !!!!"
*
* *
Je traîne les pieds dans le supermarché où je me suis dévoué à accompagner ma mère. Il y a un monde fou, des enfants surexcités qui courent de rayons en rayons, et une file d'attente interminable, devant le trône du Père Noël, qui bloque la galerie commerçante.
Ça doit faire deux heures que ma mère me fait tourner en rond pour finaliser les courses du réveillon. Moins organisée, tu meurs ! Je ne comprends pas ou je comprends mieux la raison pour laquelle mon père s'est trouvé quelque chose à faire à la dernière minute.
"Mon cœur, tu veux bien t'occuper du vin pendant que je fais la queue à la poissonnerie ?
- Oui. Je te retrouve là ?
- Oui, ou je t'envoie un sms si ça va plus vite."
Je hoche la tête et fais demi-tour en direction de la cave. Ce n'est pas comme si nous étions passés devant trois fois depuis notre arrivée !
"Harry ?"
Je me retourne et vois Charlotte, l'amie de ma sœur, devant moi. Je m'apprête à la saluer mais elle s'agrippe à mon épaule et embrasse ma joue. Passé la surprise d'un tel enthousiasme alors que nous nous croisons pour la deuxième fois en deux jours, je lui souris gentiment.
"Gemma m'a confirmée votre présence à Michal et toi, pour le nouvel an. C'est super.
- Oui. J'espère que ça ne te pose pas de problème.
- Non. Pas du tout. Au contraire. Plus on est de fou, hein !?! Et puis ça fera peut-être venir mon frère, de savoir qu'il y aura des mecs !
- Ah... oui, peut-être, en effet ! je réponds, un peu mal à l'aise.
- Au réveillon, alors. Bonne journée Harry !"
Je n'ai pas le temps de répondre que Charlotte s'est déjà volatilisée. Cette jeune femme est pétillante et pleine de vie. Totalement l'inverse de moi qui soupire une fois de plus devant l'étalage de bouteilles devant moi.
*
* *
Je peste dans mon lit et me retourne pour attraper mon téléphone sur la table de nuit. Il est à peine 9h. J'ai l'impression que l'armée a envahi le salon. Il y a un brouhaha à réveiller tout le quartier.
Je repousse la couette et enfile mon bas de pyjama et un gros gilet qui traîne sur le canapé. J'attache mes cheveux en descendant l'escalier.
Mon oncle, ma tante et leurs deux enfants sont déjà là, eux-mêmes accompagnés de leurs conjoints et enfants respectifs. Ma mère et mon oncle sont déjà aux fourneaux, et c'est une odeur de fromage fondu qui embaume la cuisine quand je rêverais de café chaud et toasts grillés. Je resserre les pans du gilet sur mon corps et entre dans la cuisine en saluant tout le monde.
Je vois le regard désapprobateur de ma mère sur moi (ou ma tenue). Elle se reprend rapidement en venant m'embrasser.
"Bah alors ma marmotte !!!
- Il est que 9h du matin, maman ! je réponds légèrement agacé
- Oui, mais on a beaucoup de choses à préparer. Tu pourras aller chercher ta grand-mère à la gare ? Elle arrive pour 11h.
- Papa n'y va pas ?
- Non."
Non. Juste un non, sans explication. Ça ne me gêne pas de sortir mais ça remet en question mon programme de la journée : glandouille en pyjama devant la télévision jusqu'à devoir aller me préparer. Oui, quand je veux être chiant à la limite du désagréable, je suis maître en la matière. Ma mère déteste cette attitude (que je n'ai qu'à Noël !) et je crois que c'est devenu mon petit plaisir de Noël : la faire râler.
Je salue tout le monde et me dirige vers la machine à café. Il n'est pas question que je saute le petit-déjeuner. Je m'installe sur le canapé et discute avec mes cousins, regardant les enfants dessiner tranquillement sur la table basse du salon.
"Harry... j'entends ma mère près de moi. Tu devrais te préparer. Il est bientôt l'heure."
Je jette un coup d'œil à l'horloge de mon téléphone et soupire légèrement en me redressant. Je dois quand même avouer que cette année, ma mélancolie est à son paroxysme.
"S'il te plait, elle ajoute en caressant ma joue.
- Je vais prendre une douche et je file."
Ma mère me remercie et retourne dans la cuisine. Je monte en traînant les pieds, espérant que la douche me fasse du bien.
*
* *
Je laisse ma grand-mère entrer la première dans la maison. Dans la poche de la veste de mon cousin Matty, je récupère son paquet de clopes et son briquet, et reste sous le porche de la maison. J'allume la cigarette et laisse la nicotine m'envahir, espérant qu'elle apaise la tension de la conversation absurde que je viens d'avoir avec ma grand-mère. Vingt minutes de trajet, vingt minutes à critiquer mon style de vie, de mon job à mes vêtements, en passant forcément par mes cheveux ; les chats ne font pas des chiens.
Ma grand-mère fait partie de ces personnes à qui ma sexualité posera problème si je venais à m'afficher avec un homme lors d'un repas de famille, d'autant plus celui de Noël. Ma grand-mère est très conservatrice, au grand désespoir de ma sœur et moi. Je crois que mon père a décidé, cette année de capituler et d'arrêter les efforts, raison pour laquelle je me suis coltiné les courses et la mamie !
J'expire la fumée, sentant la pression retomber légèrement, quand la porte d'entrée s'ouvre dans mon dos. Le bras de Gemma enlace mes épaules et ses doigts viennent capturer ma cigarette.
"Tu es déjà là toi !?! je lui dis en tournant mon regard vers elle.
- Tu connais maman. Elle nous veut tous à la maison de bonne heure, être sûre de tout avoir sous contrôle.
- Cette journée va être interminable. Je n'aurais pas dû venir, vraiment. Cette année je ne vais pas y arriver et ça risque de partir en live ! Mamie m'a déjà saoulé dans la voiture : "Gnagna à ton âge tu devrais avoir une femme et un enfant, gnagna tu aurais pu t'habiller correctement pour venir me chercher, tu ressembles à un sans abri et tes cheveux là, c'est négligé Harry !" J'te jure Gemma... J'en. peux. plus !
- Je sais... J'aimerais avoir une solution à te proposer...
- Y en a pas ! Et je veux pas planter les parents, malgré tout. Maman ne me le pardonnerait jamais.
- Ouais... Sauf...
- Sauf ?
- Sauf si la raison est hyper valable !
- Quoi ?"
Je me tourne totalement vers ma sœur. Elle me rend la cigarette que je termine et écrase, se met sur son téléphone. Alors que je m'apprête à la questionner, elle me fait taire, un doigt en avant, son téléphone à l'oreille.
"Lott's, salut c'est Gem' !"
Je lève les yeux au ciel devant les diminutifs mais attends patiemment la fin de la conversation de ma sœur pour me moquer d'elle. Elle ne m'en laisse pas le temps car, à peine a-t-elle terminé son appel qu'elle enchaîne.
"Charlotte et son frère sont bénévoles dans une association. Ils ont toujours besoin d'aide le soir du réveillon. Maman ne pourra pas t'empêcher d'y aller et toi tu te rendras utile. Tu n'auras pas à supporter les conversations et les réflexions qui t'agacent.
- Je ne sais pas, je réponds à ma sœur, incertain de vouloir aller à la rencontre d'étrangers le soir du réveillon. Je...
- Écoute Harry, ne le prend pas mal, elle m'interrompt. Mais ton humeur de merde et ton air de chien battu commencent sérieusement à me taper sur les nerfs.
- Gemma ! je proteste.
- Non. A un moment, tu dois te rendre à l'évidence. Je ne sais pas pourquoi tu traînes cette mélancolie avec toi à chaque réveillon. Je ne suis pas sûre que la raison en soit vraiment valable, elle continue alors que je me renfrogne. Peut-être que ça te ferait du bien de te rendre utile, de faire quelque chose de généreux et désintéressé. L'association a élu domicile dans le gymnase de l'école primaire. Ils ont besoin de bras à partir de 16h."
Gemma termine avec un regard appuyé et rentre dans la maison, me laissant seul dans le froid de l'hiver. Elle a sans doute raison. Je m'apitoie sur mon sort pour une raison que je trouve légitime. Mais l'est-elle toujours depuis toutes ces années ? Est-ce que je ne suis pas simplement englué dans ma rancœur ?
Je souffle et allume une autre cigarette, réfléchissant à ce que je dois faire.
*
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