Chapitre 13 : Partie 3 : Réminiscence cauchemardesque
6 septembre 2020
Lily faisait tourner sa tasse de cacao viennois entre ses mains, plonger dans une intense réflexion. Sur ce qui s'était passé avec Aselum. Sur l'heure de cours qu'ils avaient ratés car elle dormait. Et le prof précédent, qui les avait accueilli et parlé du voyage en Italie, avait dû prévenir l'enseignant suivant car ils n'avaient reçu aucune remarque.
- ... Ly ? Lily ?
L'adolescente cligna des yeux et reporta son regard sur celui mordoré de son psychologue. Celui-ci lui offrit un doux sourire.
- Tu as l'air plonger dans tes pensées. Est-ce que tu veux me parler de quelque chose ?
La jeune femme fit encore bouger sa tasse entre ses mains, regardant le liquide brunâtre danser comme si elle allait y trouver ce qu'elle devait dire. Raconter ce qui s'était passé avec l'inconnu ? Elle l'avait déjà dit à Aselum. Est-ce qu'elle mettrait son psychologue en danger en lui parlant de ça ? Lui parler d'Aselum ? Qu'elle avait craqué devant lui ?
- J'ai raté une heure de cours...
Le psychologue hocha sa tête, nul jugement se transparaissait dans ses iris. Il attendait sagement la suite, sans presser l'adolescente.
- En fait... Le professeur a parlé du voyage de Rhéto, comme quoi ça durerait une semaine et que ce serait en Italie... Mais... Sauf pour l'hôpital psychiatrique, pour vous, pour la grande place de Bruxelles, pour l'école, pour le cinéma avec Aselum... Je ne suis jamais sortie... Jamais partie aussi loin... Depuis...
Lily cessa de raconter ce qui lui pesait sur le cœur. De toutes manières, elle avait tout dit. Et le psychologue semblait avoir compris car il acquiesça.
- Depuis ce qui s'est passé, il y a quatre ans.
Lily hocha sa tête à son tour. Silas Bloodrake reprit.
- Et donc, tu ne veux pas aller à ce voyage, c'est ça ?
L'adolescente regarda son cacao. Est-ce qu'elle souhaitait rater ça ? Non. Mais est-ce qu'elle voulait être si loin de ses parents ? Non plus... Un dilmen cornélien s'offrait à elle.
Faire un choix était impossible.
- Je... Il y a eu l'attaque dans le train, à Bruxelles, cette impression d'être observée... Peut-être que tout cessera, en Italie ? Mais... S'il arrive quelque chose... Quoique ce soit...
Lily serra ses poings. S'il arrivait quoique ce soit, elle serait loin de chez elle, de ses parents, de ses animaux, d'un sentiment de sécurité qu'elle aurait pu avoir. Silas Bloodrake l'observa quelques secondes.
- Mais, il y aura Aselum, non ?
Son psychologue venait de soulever un argument intéressant. Aselum partirait sûrement, c'était vrai.
- C'est un choix qui t'appartient, Lily. Et dans tous les cas, je suis certain que ta famille le respectera. C'est à toi de voir si tu es prête ou non. Pour t'aider, tu peux faire une liste avec les pour et les contre. Tu peux aussi en discuter avec tes parents, Aselum... C'est à toi de voir.
Lily hocha sa tête. Bu quelques gorgées de son chocolat chaud. Son psychologue reprit.
- Veux-tu me parler de quelque chose d'autre ?
La jeune femme continua de boire son lait chocolaté, tout en réfléchissant.
Elle pouvait parler de la silhouette devant sa tente. Des clés qui avaient disparu, et des objets qui se déplaçaient. Des mains autour de son cou. Mais devait-elle parler de l'inconnu ? Lily regarda Silas Bloodrake. Il portait sur elle un regard doux et tendre.
De toutes manières... Il devait respecter le secret dû à sa profession. Et si en plus, il pouvait l'aider à gérer tout ça...
- Il y a eu d'autres événements durant l'été. Par exemple, quand je suis descendue prendre mon petit déjeuner, j'ai vu le flocon d'avoine sur une étagère... Je suis allée au toilette, et quand je suis revenue, c'était sur la table... Et toutes les clés des portes avaient disparu. J'ai fini par appeler Aselum, et avec lui, on les a retrouvé en quelques minutes seulement... Il y a aussi eu cette silhouette devant ma tente... Qui faisait le tour, qui touchait la tente... J'ai appelé Aselum, en coupant le son et en ne disant rien, je me suis dit qu'il comprendrait... J'étais terrifiée, et il est arrivé. La silhouette est partit. Et il y a eu cette nuit, où j'ai senti deux mains autour de ma gorge, mais à mon réveil... Plus rien. Personne.
Silas écoutait tout, sans rien dire, l'encourageant à continuer. Parfois, il hochait la tête, et d'autres fois, il fronçait ses sourcils, le visage plus grave. Lily jouait nerveusement avec ses doigts.
- Ce qui m'a le plus fait peur... C'est... Il y a eu une nuit où je me suis réveillée... Je ne voyais rien, j'avais un bandeau sur la tête. Je ne pouvais pas bouger, ni même parler. J'ai reconnu la voix de la personne, mais je ne sais pas qui elle est. Je sais juste que je connais sa voix... Et cette personne m'a dit de ne pas faire confiance en Aselum, qu'il me mentait, que je n'étais rien pour lui... Et... Et je l'ai cru. J'avais tellement d'interrogations... Je me demandais comment il avait survécu alors que tous les autres étaient morts, comment nous étions sortis du train, comment il m'avait récupéré à la grande place alors que Balthazar était juste à côté de moi... J'avais plein de questions en tête.
Lily apporta sa tasse à ses lèvres, noyant son chagrin dans le cacao. Une fois que celui-ci fut terminé, au point qu'il n'en restait plus une goutte, elle le reposa sur la table avant de reprendre son monologue.
- Je me sens mal de ne pas lui avoir fait confiance. Même si j'ai reconnu la voix de cet inconnu... Même si j'avais des questions à son sujet... Il m'a répondu et toutes ses réponses ont du sens... C'est mon meilleur ami, j'aurais dû lui faire confiance à lui ! Mais au lieu de ça... Au lieu de ça, je l'ai ignoré un mois... Un mois où je me torturais l'esprit pour savoir si ce que je faisais était bien ou pas, justifié ou non... Et quand je l'ai revu... J'ai cru que j'avais perdu son amitié. J'ai cru que tout était fini. Si ça avait été le cas... Si je l'avais vraiment perdu...
Quelques larmes commencèrent à couler, creusant des sillons. Lily essaya tant bien que mal de les effacer avec sa manche, mais elles revenaient sans cesse.
- J'aurais tout perdu. Tous mes repaires. Tout serait parti en fumée. En cendres. En poussières. Je ne peux pas perdre Aselum... C'est mon seul ami ! Le seul que j'ai réussi à me faire ! Il est tout pour moi ! Aselum... Quand je vais mal, c'est lui que je veux avoir prêt de moi, c'est lui que je veux serrer dans mes bras, mais je me retiens parce que je sais qu'il ne veux pas, qu'il n'aime pas ça, que c'est compliqué pour lui. Je respecte ça, et je respecterai toujours ça. Ça ne changera jamais le fait que quand je vais mal, juste être à ses côtés me va.
Lily se battait à présent avec ses larmes. Elle mettait une fois sa manche gauche, une fois sa manche droite, mais les larmes coulaient et coulaient, tel un flot infini.
- Je n'ai jamais... Jamais ressenti ce... Ce que je ressens pour... Pour lui... C'est... C'est puissant, ça me fait me sentir bien, sur... Sur un petit nuage ! C'est... C'est le meilleur... A... Aselum, c'est le meilleur ! Je l'ai... l'ai... Enfin, voi... Voilà !
Lily apporta sa tasse à son visage, afin de cacher son visage noyé sous les larmes.
De l'autre côté, Silas Bloodrake avait la bouche grande ouverte, les yeux écarquillés et sa main qui tenait un stylo était figé. Mais il ne suffit que de quelques secondes pour qu'il reprenne ses esprits et affiche un sourire rassurant sur son visage.
- Pour ce qui est de l'inconnu... Avec tout ce qui s'est passé dernièrement, tu es sans doute sur les nerfs. Et la voix, si elle t'était familière, c'est parce que tu as du... Imaginé tout ça. Sur le coup du stress. Mais si ça peut te rassurer, alors la prochaine fois, fermes ta porte à clé. Ce n'est pas grave d'avoir imaginé ça, Lily, ça arrive, avec le stress, l'angoisse, tu as du faire une paralysie du sommeil. Je peux te prescrire des somnifères si tu veux, si ça peut t'aider. Pour ce qui est de l'Italie, parles-en à tes parents, comme je viens de le dire.
Lily acquiesça. Sécha son visage grâce à des mouchoirs que son psychologue lui passa. Mais refusa les somnifères, prétextant que maintenant qu'elle savait que ce n'était qu'une paralysie du sommeil, elle saurait gérer. Elle n'avait réellement pas envie de reprendre des médicaments qui l'a renverrait comater durant elle ne savait combien de temps. Elle avait assez donné.
***
7 octobre 2020
Aselum et Lily étaient assis en terrasse, l'un en face de l'autre, une glace à la main.
Le premier avait pris une boule chocolat et une boule vanille alors que la deuxième, pour sa part, avait pris une boule pralinée et une boule cookies. Et posés sur la table, deux verres et une carafe remplie d'eau.
- Lily, tu aimes la mythologie, non ?
La jeune femme lécha sa glace tout en hochant la tête puis enroula sa main libre autour de son verre d'eau. Aselum attrapa le sien, et tout deux portèrent le liquide entre leurs lèvres, en parfaite synchronisation, sans même s'en rendre compte.
- En Italie, on pourra voir des monuments appartenant à la mythologie romaine, ce serait chouette, non ?
Lily reposa sa tasse, regarda sa glace, et tout en hochant une énième fois sa tête, répondit.
- Oui, sûrement... Mais... Imagines, il se passe quelque chose ?
La jeune femme releva son regard pour croiser celui de son meilleur ami. Celui-ci reposa son verre et posa sa main libre sur celle qui tenait le verre de sa meilleure amie.
- Il ne se passera rien, Lily. Ça ne sera qu'une semaine en voyage scolaire, c'est tout. Et si vraiment il se passe quelque chose, je serais là...
L'adolescente posa son verre, lécha sa glace, tout en réfléchissant. Aselum continua.
- Peut-être que nous pouvons demander au directeur s'il peut faire une exception. Si nous pouvons dormir dans la même chambre ? Et je serais à côté de toi dans le car. Et chaque fois, je serais dans ton groupe pour les visites. Si je suis toujours avec toi, tu penses que tu te sentirais rassuré ?
Lily releva sa tête vers Aselum, l'observa quelques minutes, le rouge aux joues, et le questionna.
- Je... Oui, bien sûr ! Mais... Euh... Ça ne te dérangera pas, toi ? Je veux dire... Je te monopolise déjà beaucoup... Et je ne suis pas certaine que le directeur fera une exception, pour le dortoir...
Aselum esquissa un sourire sarcastique en coin.
- Parce que tu penses que j'en ai quelque chose à faire de ces cancrelats ? Ils n'arrivent même pas à supporter mon caractère sur une journée, alors sur plusieurs jours, t'imagines ?
Lily explosa d'un rire loin d'être discret, et en entendant ce son, Aselum ne put s'empêcher de rire avec. Il n'y avait pas plus communicatif que le rire de sa meilleure amie. Le jeune homme secoua sa tête, et reprit un visage plus sérieux.
- Écoutes, si je te propose tout ça, c'est que ça me dérange pas, d'accord ? Pour ce qui est de convaincre le directeur... J'ai une idée, mais tu peux la refuser. Et tes parents aussi le peuvent. Parce que l'idée que j'ai... C'est de montrer ton dossier médical. Donc je comprendrai que ça soit non pour toi et pour eux. Mais pour le directeur, savoir ton passé pourrait l'aider à comprendre tes besoins du présent. Ou alors, autre solution, Silas Bloodrake, ton psychologue, pourrait peut-être témoigner à la place ?
Lily se plongea dans ses réflexions. Le dossier médical... Elle n'aimait pas vraiment l'idée même si elle comprenait... Et faire intervenir son psychologue... Ça pouvait se faire.
***
15 décembre 2020
Lily se tenait devant le bureau de son directeur, mal à l'aise. À sa gauche, Aselum restait imperturbable, bien qu'il lui jetait fréquemment un coup d'œil avec un sourire en prime. À sa droite se tenait d'abord sa mère, puis son père. À la gauche d'Aselum se tenait Silas Bloodrake et à sa gauche la mère d'Aselum. Et en face, le directeur, Lucas Nell.
- J'aimerai entendre votre avis par rapport à la demande de mademoiselle Lily Aphos, monsieur Bloodrake. Après tout, vous êtes son psychologue. Est-ce vraiment nécessaire pour elle d'avoir son ami à ses côtés même dans sa chambre ?
Silas Bloodrake afficha un sourire assuré et professionnel.
- Monsieur Nell, je dirais même que c'est à cette seule condition que Lily pourra se rendre en Italie. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Elle a besoin de quelqu'un qu'elle connaisse et avec qui elle se sent en sécurité. Comme vous le savez, ces dernières années, Lily a dû faire face à de nombreux traumatismes, sans oublier les deux ans passés en hôpital psychiatrique. Aujourd'hui, elle a des hallucinations, des paralysies du sommeil, l'impression qu'on lui veut du mal. Symptômes qu'elle n'a pas en présence d'Aselum. Allez en-dehors de la Belgique, partir en vacances avec sa classe, pourrait être vraiment intéressant pour Lily, mais il lui faut des aménagements comme le fait d'avoir l'autorisation d'être dans la même chambre qu'Aselum. Pour la gestion de ses crises, son ami est le plus indiqué, et il sait déjà à quoi il s'engage.
Le directeur acquiesça puis se tourna vers la mère d'Aselum.
- Qu'est-ce que vous en dites ? Par rapport au fait de faire dormir dans la même chambre Lily et Aselum, et de laisser ce dernier gérer ses crises ? Ça me semble être une grande charge pour un adolescent de dix-sept ans.
L'adolescent de dix-sept ans en question haussa ses sourcils avant de cingler.
- J'aurais dix-huit lors de ce voyage, monsieur le directeur. Je serais majeur.
Lucas Nell ne lui offrit qu'un simple sourire avant de se retourner vers sa mère. Celle-ci jeta un regard plein de sous-entendus à Aselum avant de répondre.
- Ça fait maintenant bientôt six mois qu'Aselum connaît Lily. Et ça fera plus d'un an lors du voyage rhéto. Je sais qu'Aselum a souvent rendu visite à Lily, pour l'aider, je sais ce qu'il s'est passé entre eux dans le train et à Bruxelles. Je ne connais pas le passé de Lily, mais je veux bien croire son psychologue, Silas Bloodrake, quand il dit que c'est essentiel pour Lily d'être avec quelqu'un qu'elle connaît et avec qui elle se sent en sécurité. Je sais aussi que depuis qu'Aselum connaît Lily, il est plus ouvert, plus souriant, que ce qu'il n'a jamais été.
La mère d'Aselum souriait davantage et se tourna vers l'adolescente, qui sentit le rouge lui monter aux joues.
- Et pour ça, je ne peux que remercier Lily.
Elle se retourna ensuite vers le directeur, croisa ses jambes.
- Personnellement, j'accepte qu'ils soient dans le même dortoir. Pour ce qui est de gérer d'éventuelles crises... Aselum le fait déjà, en se rendant chez Lily quand elle en a besoin. Je connais mon fils, il ne fera pas de bêtise. Et je ne pense pas que Lily en fera, sauf peut-être vouloir faire un câlin platonique à mon fils, finit-elle dans un sourire amusé alors que son fils murmurait le mot « démon » en direction de sa meilleure amie.
Lucas Nell hocha la tête et se tourna, pour terminer, vers les parents de Lily.
- Je suppose que ce rendez-vous avec moi signifie que vous êtes d'accord avec ce qui se dit ?
Le père et la mère se regardèrent, avant d'acquiescer. La maman de Lily rajouta même, en posant une main sur l'épaule de sa fille et après un bref regard vers celle d'Aselum, les mots suivant.
- En effet, nous sommes d'accord avec la demande de Lily, et nous sommes aussi d'accord avec ce qu'a dit sa mère. Lily, comme Aselum, ne fera pas de bêtise, certainement pas au vu de tout ce qu'elle a vécu. Et je crois qu'autant Aselum que sa mère s'en rend bien compte, même sans connaître tout le passé de notre fille.
Silas Bloodrake hocha sa tête. Le directeur regarda chacun d'entre eux, tour à tour. Puis s'arrêta sur les deux plus jeunes.
- Il semblerait que tous soit du même avis que vous deux. En général, je serais contre. Quand nous partons en voyage scolaire, que ça soit avec les premières ou avec les sixièmes, les filles et les garçons sont toujours séparés dans les dortoirs. Mais au vu du cas particulier que vous représentez, mademoiselle Aphos, et vu les circonstances, je veux bien consentir à faire une exception. J'en informerai les enseignants.
Lily et Aselum se jetèrent un regard plein de joie.
Ils partiraient ensemble en Italie.
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