Chapitre 3-2

Bérénice surgit brusquement devant moi pour me rappeler sa présence. Je l'écarte avec un flot d'excuses bidon et je rejoins Samantha, qui est déjà sur le trottoir.

— Tu ne vas pas monter sur ce scooter ! T'es cinglée, tu as vu dans quel état tu es ?

Elle a le chic pour baragouiner dans sa barbe, mais j'arrive quand même à comprendre l'idée : elle veut que je la laisse tranquille. Dans un concert de grommellements, elle essaye de mettre le moteur en route. Ses mains tremblent tellement qu'elle a toutes les peines du monde à insérer la clef dans le contact. Je peux comprendre qu'elle ait envie de rentrer chez elle après ce qui vient de se passer, mais conduire dans cet état est carrément dangereux. Comme elle ne veut rien entendre, je m'empare de sa clef sans lui demander son avis.

— Qu'est-ce que tu fais ? s'insurge-t-elle, enfin décidée à me regarder.

Elle se tend vers moi pour me la reprendre. Je m'écarte aussitôt.

— Hors de question. Tu tiens à peine debout.

— Je te dis que ça va ! Je me sens mieux.

Tellement mieux que je dois la rattraper pour qu'elle ne s'effondre pas sur le sol. Dès qu'elle prend conscience qu'elle se trouve dans mes bras, elle a comme un électrochoc. Elle tente de me repousser en m'ordonnant de ne pas la toucher. Je resserre mon étreinte en résistant à l'envie de l'assommer.

Cette nana a un grain. Je viens peut-être de lui éviter la pire soirée de sa vie et elle se comporte avec moi comme si j'étais responsable de tous ses malheurs.

— Arrête ton cirque. Tu as failli t'éclater le nez sur le trottoir !

— Je t'interdis de me toucher ! Lâche-moi !

— Bon sang, mais je ne vais pas te violer. Si je te lâche, rien ne me dit que tu ne vas pas t'ouvrir bêtement la tête sur le bitume. Laisse-moi te raccompagner.

— Je n'ai pas besoin de ton aide.

— Ce n'est pas l'impression que tu me donnes.

— Et bien tant pis !

Elle a crié. Elle est complètement tarée. Comme je ne souhaite pas alerter la moitié de la ville et finir ma soirée au poste, je la relâche en levant les mains en l'air, pour lui signifier que je ne cherche pas à la brutaliser.

— Tu as une façon particulière de remercier les gens qui te viennent en aide. Je ne sais pas ce que ce type a mis dans ton verre, mais tu aurais pu avoir de gros ennuis. Tu pourrais au moins me montrer un peu de reconnaissance.

Ses yeux s'écarquillent.

— De la reconnaissance ? Tu veux peut-être que je m'agenouille devant toi et que je remercie le Ciel de t'avoir mis sur mon chemin ?

— Un simple merci aurait suffi. C'est quoi ton problème à la fin ?

— Parce que j'ai un problème ?

— Oui ! Oui t'en as un. Et un sérieux. Tu te comportes comme une emmerdeuse alors que tu viens de me dégueuler dessus !

— Désolé d'avoir bousillé ta soirée. Mais il est encore tôt, vas-y, retourne là-bas. Y'a ta blonde qui t'attend.

— Ce n'est pas ma blonde ! Et... merde, tu fais chier.

Je prends une profonde inspiration pour garder mon sang-froid. Demain, je dois me pointer chez Mickey avec ma dernière conquête et, résultat des courses, à cause de cette enquiquineuse, j'ai posé un lapin à Miss 90 E et envoyé balader Bérénice. Retour à la case de départ.

— Je te raccompagne chez toi.

— Non.

— Je ne demande pas ton avis. Soit tu me suis, soit je t'attache à ce poteau jusqu'à ce que la Police t'interroge. Au vu de ton état, on me décernera la médaille de l'Honneur pour t'avoir épargné une mort tragique et douloureuse dans un accident de la circulation.

J'ai toujours sa clef.

Elle hésite, fait un pas en avant, en arrière et...

— Très bien, finit-elle par céder.

Je pousse un soupir de soulagement. J'attends tranquillement qu'elle descende de son scooter pour lui indiquer ma moto, sur le trottoir d'en face. Elle ne lui accorde même pas un regard. Au lieu de ça, elle me tourne le dos pour remonter la rue.

Merde.

— Samantha !

Je sais qu'elle m'a reconnu. Elle n'a donc aucune réaction quand je prononce son prénom.

— Où est-ce que tu vas ? m'agacé-je, après l'avoir rejoint.

— Tu n'as rien d'autre à faire que de me suivre ?

— Tu ne comptes quand même pas rentrer à pied ?

— Si, justement.

— Tu dois aller voir la Police. Bon sang, ton petit copain a essayé de te droguer !

— Ce n'est pas mon petit copain.

— Il l'a été.

— Pas du tout. Je ne sais rien de lui.

Elle nie tout en bloc, comme si elle refusait de voir la réalité en face.

Je la force à s'arrêter et à me faire face.

— S'il a été capable de te faire ça, il pourrait s'en prendre à toi. Te faire du mal. Il a ton numéro. Et il sait probablement où tu habites. Tu comptes attendre qu'il débarque chez toi pour exiger son fric ? Tu les as au moins ces trois mille euros ?

Un pli contrarié barre son front.

— Je suis assez grande pour régler cette affaire.

— Est-ce que tu les as, oui ou non ?

— Ça ne te regarde pas.

Elle se libère et se remet à marcher.

— Pourquoi refuses-tu d'aller voir la Police ? C'est ridicule.

Cette fois, c'est elle qui me stoppe.

— Je vais lui rendre son argent et ensuite l'affaire sera close. Chacun reprendra sa petite vie. Satisfait ?

J'ai un silence surpris quand je remarque que ses yeux brillent de larmes contenues. Finalement, elle a été bien plus secouée qu'elle ne veut l'admettre. Montrer les crocs, c'est sa façon de garder la tête hors de l'eau. Si y'a bien une chose que je peux comprendre, c'est ça.

— J'ai quelques billets à l'appartement. Ce n'est pas énorme, mais si ça peut t'aider...

— Inutile.

— Je ne te demanderai pas de me les rembourser. Je te les donne.

Elle me dévisage comme pour savoir si je plaisante.

— Non merci.

— Alors, permets-moi au moins de te raccompagner. Nous habitons sur le même palier. Je te dépose et, ensuite, je te laisse tranquille.

Elle a une dernière hésitation. Je vois bien que l'idée de rentrer à pied ne l'emballe pas.

— Si tu me donnes cinq minutes, je demande au patron l'autorisation de laisser ton scooter dans la cour arrière. Il sera en sécurité ce soir et, demain, tu pourras le récupérer sans crainte.

Elle a une moue boudeuse, avant de reconnaître, sur le bout des lèvres, que j'ai raison. Je me garde bien d'afficher une expression victorieuse, surtout que je sens qu'à la moindre erreur de ma part, elle filera sans demander son reste. Je lui ordonne expressément de m'attendre, de ne pas se volatiliser et je me dépêche de m'engouffrer dans la brasserie. J'invente un problème mécanique, et une discussion animée puis trois billets de dix euros plus tard, j'ai loué une petite place disponible dans la cour arrière.

Samantha ne me pose aucune question sur l'accord conclu avec le gérant. Tout ce qu'elle veut c'est rentrer chez elle et s'y enfermer à double tour. Elle me suit néanmoins pour vérifier que je ne vais pas abîmer son scooter.

Je préfère ne pas dire un mot de plus. Samantha n'est pas d'humeur et je n'ai pas envie qu'elle me glisse entre les doigts.

Quand nous arrivons enfin aux abords de la moto, je la vois froncer des sourcils. Je n'ai qu'un casque alors je le lui mets sur la tête avant qu'elle ne trouve encore quelque chose à redire. C'en est stressant. J'ai l'impression de marcher sur des œufs avec elle.

— Monte et accroche-toi bien à moi, lui ordonné-je en enfourchant ma bécane.

Elle est un peu gauche pour se positionner, aussi je l'invite à mettre ses bras entourent de ma taille.

— Y'a pas un autre moyen pour s'accrocher ?

— Tu ne supportes pas de me toucher ou quoi ?

— C'est pas ça... C'est... Compliqué.

— Écoute, je ne sais pas c'est quoi ton problème, mais tant que je te sentirai contre moi, c'est que tu ne te seras pas vautrée par terre. Je ne souhaite pas découvrir en arrivant devant l'immeuble que je t'ai perdue en cours de route. Alors, prends ton mal en patience et tu seras débarrassée de moi dans quelques minutes.

La voir lutter pour ne pas me toucher me fait grincer des dents. Pour qui se prend-t-elle ? Elle n'est pas meilleure que moi.

Dans un silence morne, je mets le contact.

Vivement que je la largue dans son appartement et qu'on recommence à s'ignorer.

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