Chapitre 3-1

— Tu te fous de moi ?

— Non. Je vois quelqu'un d'autre. Je croyais avoir été clair avec toi. Entre nous deux, c'est terminé.

— Qui c'est ? Le gars du cinéma de l'autre fois ?

Elle a un léger froncement des sourcils, comme si elle se demandait de qui il parlait.

— Ne fais pas l'innocente, j'ai bien vu comment il te matait les seins. On ne peut pas dire que ça te dérangeait !

— Tu ne le connais pas. Si je suis venue ici, ce n'est pas pour qu'on se remette ensemble, mais pour que tu arrêtes de me harceler.

— Parce que maintenant je te harcèle ? Putain, c'est la meilleure !

Il s'adosse à sa chaise, un sourire moqueur sur les lèvres. Presque vicieux. Il est le seul à trouver cette conversation marrante. Samantha reste imperturbable, les doigts entrelacés sur ses cuisses et sous la table. Elle se tient bien droite, déterminée à mettre un terme à cette relation.

— Je ne plaisante pas. Si tu continues à m'appeler ou à m'envoyer des mails, je préviendrais la police.

L'autre énergumène n'a plus envie de sourire. Il la fixe comme s'il allait lui attraper la tête et la lui éclater sur la table.

Je repose mon verre lentement, sans le quitter des yeux.

Samantha ne se laisse pas intimider. Son regard est braqué dans le sien.

— Je suis venue te prévenir.

— Dis plutôt : me menacer.

— Prends-le comme tu veux.

Il a un petit rire, qui n'a rien de jovial.

— Ne crois pas que me virer de ton lit va faire disparaître ton ardoise. Tu me dois du fric, et je veux le récupérer.

Ma voisine ne répond rien, mais son trouble n'est pas passé inaperçu.

— Quoi, ma belle ? Tu croyais que j'allais te faire grâce de mes trois mille euros ?

Faut croire, au vu de la tête qu'elle tire.

Trois mille, c'est une sacrée somme. Surtout pour une nana qui loue un petit logement HLM, qui achète ses vêtements dans la friperie au coin de notre immeuble et qui sort très peu de chez elle. Elle vit probablement des allocations de l'État. Autant dire qu'elle a toutes les raisons de flipper. Personnellement, le jour où ce montant atterrit sur mon compte en banque, je me tape le luxe de faire péter le champagne.

Samantha s'efforce de montrer un visage impassible, qui ne trompe personne. Elle attrape son verre et boit une longue gorgée, comme si cela suffirait à lui redonner sa contenance.

— Je te rembourserai.

— J'y compte bien, car j'en ai besoin. Dès demain.

— Bonsoir. Vous êtes seul ?

Je lève les yeux vers la grande blonde qui me surplombe, un verre à la main. Son sourire est charmant, tout comme sa poitrine, qu'elle ne cherche pas vraiment à dissimuler derrière des boutons fermés. J'ai en face de moi le portrait type de la chasseuse : la quarantaine bien tassée, elle se cherche un petit minet pour ne pas passer la prochaine nuit toute seule.

— Je m'appelle Bérénice. Et vous ?

Je n'ai pas le temps de me demander si j'ai envie de lui répondre. La chaise de Samantha crisse sur le sol. Ma voisine se lève et chancèle avant de se rattraper au rebord de la table. La nouvelle l'a décidément bien assommée.

— Tu ferais bien de te rasseoir, ma puce.

Elle ne bouge pas d'un poil. En revanche, elle fixe son verre désormais vide. Son teint est livide.

— Qu'est-ce que tu as fait ?

— Assieds-toi ou sinon ta jolie petite tronche va finir par terre.

— Espèce de... !

Elle se rue aux toilettes et y bouscule sans ménagement une femme et ses deux bambins, qui allaient prendre possession des seuls W.C. inoccupés. La colère de la maman ne se fait pas attendre. Elle incendie la voleuse, qui tangue de plus en plus. Elle doit la prendre pour une pauvre fille complètement bourrée, irrespectueuse et mal polie.

Samantha maugrée des choses incompréhensibles, tandis qu'elle essaye de se tenir à la cuvette et de se faire vomir.

J'écarte les enfants sans ménagement pour verrouiller la porte derrière nous deux. La brave femme pousse un cri scandalisé. Qu'elle s'imagine ce qu'elle veut, j'ai d'autres chats à fouetter. Elle me menace d'appeler le responsable, de porter plainte...

À quatre pattes, Samantha se retourne pour me lancer un regard trouble. Elle est blanche comme un linge.

Je ne cherche pas à être doux. Je lui plaque la tête au-dessus de la cuvette et j'insère deux doigts dans sa bouche, le plus profondément possible. Elle a aussitôt un hoquet des plus écœurants et je n'ai pas le temps de retirer mes doigts qu'elle me vomit dessus. Une odeur épouvantable me monte au nez. Oh merde ! C'est dégueulasse ! Je prends sur moi pour ne pas lui vomir dans les cheveux.

Une fois que les premières vagues successives se sont calmées, je m'assure qu'elle ne va pas tomber tête la première dans la cuvette pour m'essuyer les mains avec du papier hygiénique. Enfin, je tire la chasse d'eau.

J'ai presque envie de plonger ma main dans le jet d'eau mélangé à la javel pour la désinfecter.

Le bruit du verrou me fait faire volte-face. Ma voisine tremble comme une feuille, mais elle essaye de rejoindre tant bien que mal la porte d'entrée des toilettes. Je la force à s'asseoir contre le mur près des lavabos. Elle se rebiffe, mais je suis plus fort qu'elle. Cette constatation la rembrunit davantage.

— Ne me touche pas ! Je dois rentrer chez moi... Ça va... Ça va mieux... !

— Dis pas n'importe quoi, tu tiens à peine sur tes jambes. Je veux que tu restes ici. Je reviens. Tu m'entends ? Tu ne bouges pas.

Elle a son air de chien mal commode, celui que je connais tant. Elle est secouée, et les vomissements à répétition l'ont affaiblie. Je considère son silence — et sa totale absence de mouvement — comme un accord.

Un coup d'œil dans la grande salle m'apprend que Barbe Brune s'est fait la malle. Rien d'étonnant. Personne ne semble avoir compris ce qui vient de se passer. Il y a trop de bruits, de musiques et, dans cet endroit bondé, une table vide est rapidement occupée. Je grogne en constatant que le verre de Samantha a déjà été ramassé et probablement lavé. Et merde ! Tout ce que je peux faire maintenant c'est emmener ma voisine aux Urgences et à la Police, et espérer qu'ils auront les moyens d'attraper ce type.

— Non ! Hors de question ! marmonne-t-elle alors qu'elle s'obstine à vouloir se remettre debout sans mon aide. Ça va, je rentre chez moi !

Le résultat n'est pas convaincant. Elle a tout l'air d'un pantin désarticulé. Mais cette idiote est bien trop fière pour l'admettre. Si j'ai le malheur de l'aider ou de l'effleurer, elle me fusille du regard et me repousse comme si j'étais infesté par une maladie hautement contagieuse. Même essayer de la convaincre de parler à la Police provoque chez elle une réaction épidermique.

Sidéré, je me précipite derrière elle alors qu'elle traverse la grande salle.

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