Nous sommes mercredi, la fin des cours arrivent donc rapidement.

"Nathaël, ça te dit une sortie au centre-ville cette après-midi ?

La proposition est tentante, Haly va au centre-aéré le mercredi après-midi et les filles n'ont pas vraiment besoin de moi.

- Faut que je vois, mes sœurs de douze ans vont être toutes seules. Et je bosse à partir de seize heures par contre.

- Ohhh, tu bosses ? T'es courageux !

- Ouais, j'essaye de mettre de côté.

- Elles sont assez grandes pour rester seules, non ?

- Oui mais je crois qu'elles voulaient que je les emmène au centre-ville justement.

- Et bien elles n'ont qu'à venir avec nous !

J'hésite... Et si elles faisaient une gaffe ? Si ils se moquaient du mutisme de Matylde ?

Je suis bête de me prendre la tête ainsi, nous pouvons vivre une vie normale.

- J'appelle mes sœurs et je vous dis !"

Je m'éloigne du groupe et ils s'assoient sur un banc pour patienter. Je clique sur le contact de Lohann, elles devraient être dans le bus à cette heure-là.

"Nat', il y a un problème ?

- Met sur haut-parleur ou passe un écouteur à Mat' !

Je l'entend s'exécuter.

- Il se passe quoi ?

- Rien, je vous ai parlé de Morgan, Jo-Ann et Eloha ?

- Oui, tes potes du lycée.

- Ils veulent me faire visiter le centre-ville cette après-midi et vous propose de venir. Vous aimeriez les rencontrer ?

- Pourquoi pas ! Matylde est pour aussi !

- Parfait, on vient vous chercher à l'appartement, on mangera en ville. Ils ne sont pas au courant de notre situation alors pas de gaffes.

- Oui, oui, les parents sont au boulot, ironise Loh'.

- A tout de suite."

Je raccroche et retourne vers mes trois amis qui discutent avec animation d'un petit restaurant pas cher. Je me glisse derrière Jo-Ann, fait un clin d'œil à Morgan qui se retient de rire et met brusquement mes mains sur ses épaules en lâchant un "bouh" qui l'a fait sursauter.

Nous rions ensemble et elle me tape l'arrière du crâne, faussement énervée.

"Alors ?

- Elles sont d'accords, le bus les dépose juste devant chez moi, ça ne vous dérange pas si on avance ? Elles ne connaissent pas le chemin jusqu'ici.

- Pas de problème !"

Nous marchons d'un bon pas pour arriver avant elle et nous patientons à l'arrêt de bus juste en face de notre immeuble.

"Tu habites où ?

- Dans l'immeuble juste en face.

- Un duplex ?

- Non, un grand appartement.

- Je vois, je vois."

Je stresse de plus en plus à l'idée qu'ils rencontrent mes sœurs. Enfin surtout Mat'... Dois-je les prévenir ? Matylde n'aime pas ça, elle préfère que nous fassions comme si de rien n'était, elle ne veut pas être traité différemment. Et quand quelqu'un nous demande pourquoi elle ne parle pas, elle dégaine son téléphone et lui répond elle-même.

Autant ne rien dire, je n'ai pas envie de la vexer.

Le bus arrive, se gare devant nous et elles descendent précipitamment.

"J'ai faim ! hurle Lohann en se jetant sur moi.

- Désolé, elle est mal-élevée, je vous présente Lohann.

Ils rient devant mon air désespéré. Loh' lève les yeux au ciel devant ma remarque et fait la bise à tout le monde, parfaitement à l'aise. Matylde reste en retrait.

- Et voici Matylde.

Elle m'adresse un regard interrogatif auquel je répond par la négative. Elle me sourit et sort son téléphone. Visiblement, j'ai fais le bon choix. 

[Enchantée, je m'appelle Matylde, je suis muette.] 

Mes amis échangent des regards étonnés tout en lisant le message sur le téléphone qu'elle tient devant elle. Ils me fixent, sans trop savoir comment réagir, et je leur souris. 

Ils me le rendent. 

- Enchantés Matylde ! 

Elle leur offre un grand sourire et leur fait la bise à son tour. Elle préfère toujours dire bonjour une fois que les gens sont au courant comme si elle avait peur qu'ils refusent de la saluer en l'apprenant. 

- On peut aller manger ? geint Lohann en attrapant la main de sa soeur. 

Je soupire en lui lançant un regard mécontent, elle me tire la langue pour toute réponse, vive mon autorité. 

- Allons-y ! On a repéré un petit restaurant de burgers pas chers, ça vous va ? propose Morgan en commençant à marcher". 

Les filles lui font un pouce en l'air pile en même temps ce qui fait bien rire la bande et nous marchons en direction du centre-ville. 

Je discute avec Jo-Ann tandis que Morgan et Eloha bavarde avec Lohann, qui fait son intéressante, Mat' suit la conversation en souriant. Le trajet passe vite, le centre-ville n'est pas très loin. 

Nous arrivons au fameux restaurant, on nous installe à une table isolée comme s'ils avaient deviné que nous sommes plutôt bruyants. Mon idiote de petite soeur trop sociable s'est installé entre Morgan et Eloha, je suis entre Matylde et Jo-Ann pour mon plus grand plaisir. 

J'observe le menu avec attention, les prix sont abordables. 

"On peut prendre ce qu'on veut ? demande Lohann en me regardant avec des yeux implorants.

- Oui, fais toi plaisir, c'est pas comme si je vous emmenais souvent manger quelque part !"

Elle pousse un cri de joie, mes amis s'en amusent. Ils doivent penser que je leur offre exceptionnellement le repas, qu'habituellement c'est mes parents qui payent... Une vague de nostalgie m'envahit à cette idée. J'ai l'impression de leur mentir dans le moindre de mes gestes. 

Mat' pose une main apaisante sur mon bras, elle devine le mal aise des autres comme à son habitude. Je lui souris. 

"Tu veux manger quoi ? 

Elle me désigne son choix sur le menu. 

- T'as raison, ça a l'air pas mal, je pense que je vais prendre la même chose."

Nous nous tapons dans la main, amusés, nous avons toujours eu les mêmes goûts. Le serveur arrive et nous passons commande. 

"Vous êtes au collège où ? 

- A Victor Hugo, on a vingt minutes de bus. 

- Oh, pourquoi vous n'êtes pas allées à Jean Rostand, juste à côté ? 

Car elles y étaient l'année passée, que c'était un lycée privé, qu'elles n'aimaient pas l'ambiance et que cela revenait bien trop cher. 

- C'est privé, on préfère le public, explique évasivement Lohann. 

- Je vois, je vois, c'est pas faux. 

- Vous étiez où au collège vous ? 

- Moi à Jean Rostand justement ! affirme Morgan. 

- Moi aussi mais nous ne nous étions jamais adressé la parole, s'amuse Jo-Ann. 

- J'étais à celui où vont les filles, j'habite juste à côté.

- Et toi ? Tu étais où au collège et au lycée ? tente Morgan, les filles lui adressent des regards réprobateurs. 

- Quand j'étais au collège, nous n'habitions pas du tout par ici donc vous ne connaissez pas ! 

Ma mère est partie alors que j'étais en troisième, nous avons déménagé juste après son départ car la maison nous rappelait trop de mauvais souvenirs et qu'il n'y avait que trois chambres pour quatre enfants et un adulte, c'était trop juste.

- Et le lycée ? insiste-t-il. 

- Je ne serai plus un mec mystérieux si je le dis. 

- Désespérant, abandonne-t-il dans un soupir, toute la table rit."

Mes sœurs m'adressent un clin d'œil compréhensif qui ne fait que renforcer le désespoir de Morgan.