Chapitre 10
Nous sommes mercredi après-midi, j'ai des cernes horribles et mes paupières sont si lourdes que je ne sais même pas comment je fais pour garder les yeux ouverts. Haly a été malade toute la nuit, TOUTE la nuit et je n'ai pas pu fermer l'œil.
Il est quinze heures trente et Véronique ne devrait pas tarder, je l'ai prévenu qu'elle n'avait pas besoin de récupérer Haly au centre aéré.
Matylde et Lohann sont sorties avec des copines, cela m'a fait plaisir qu'elles trouvent des personnes avec qui traîner et cela m'arrange qu'elles se tiennent à distance de la benjamine.
L'interphone sonne, j'ouvre et la bonne femme ne tarde pas à apparaître dans l'encadrement de la porte. Elle ne me laisse même pas le temps de dire bonjour.
"Ouhhh tu as une sale tête toi.
- Merci...
- Décompresse je vais te remplacer quelques heures.
- Oui, j'ai besoin de penser à autre chose même si je n'arriverai jamais à dormir. J'ai bu trop de cafés.
- Tu as bien prévenu le lycée de ton absence et envoyé les justificatifs ? Pareil pour Haly ?
- J'ai tout fait.
- Parfait, tu as rattrapé tes cours ?
- Pas encore mais des amis vont passer me les déposer.
- Tu ne veux pas sortir avec eux ? Histoire de te changer les idées.
- Je comptais plutôt faire semblant d'être absent pour qu'ils les déposent dans la boîte aux lettre, j'ai une tête horrible.
- Ce n'est pas faux..."
Son honnêteté me donne le coup de grâce et je me laisse choir sur une chaise. Haly est devant les dessins-animés, voilà dix minutes qu'elle n'a pas réclamé ou dit quelque chose, une première depuis hier.
On sonne à l'interphone. Je suppose que c'est Morgan et les filles, je n'ai pas le temps d'ouvrir que Véronique se précipite pour leur ouvrir.
"Je ne veux pas qu'ils me voient comme ça ! Ils vont s'inquiéter, ils ne sont pas au courant de ma situation.
- Oh mais ça c'est ton problème jeune homme. Moi je pense que tu as besoin de prendre l'air.
Je grogne et me lève pour aller ouvrir la porte, ne souhaitant pas qu'elle le fasse à ma place. Ils la prendraient sûrement pour ma mère et je n'aurai pas le cœur de mentir.
- Salut...
- Un zombie ?
- Un cadavre tu veux dire ?
- En décomposition de surcroît.
- Vous m'avez manqué aussi.
- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?
- Rien du tout.
- Tiens tes devoirs.
- Merci, je les dépose et on sort un peu ?
- Oui, de l'air frais te fera le plus grand bien.
Je tourne les talons et part déposer la pile de feuilles sur la table. J'attrape ma veste et mes clés et les suit dans le couloir.
- NATHAËL ! hurle une voix stridente.
Je soupire, je voulais être discret et m'éclipser.
- Ma petite soeur... Je reviens."
Je fais demi-tour, rassure Haly du mieux que je peux avant de pouvoir sortir. J'adore ma soeur mais là j'ai fais une overdose, je vous jure qu'élever des enfants c'est pas simple. Nous descendons en bas et Jo-Ann ne cesse de me scruter d'un air inquiet, je lui adresse un sourire que je veux rassurant et elle rougit quand elle comprend que j'ai deviné son inquiétude. Elle est vraiment mignonne.
Nous marchons un peu dans la rue sans qu'ils ne prononcent un mot, ce qui n'est pas dans leurs habitudes.
"Vous m'en voulez ? finis-je par tenter, brisant le silence.
Morgan, d'habitude plein d'entrain, m'adresse un regard blessé.
- Un peu oui, pour être honnête. On se connaît depuis plus d'un mois maintenant et tu continues de jouer au mystérieux. Tu ne viens pas en cours et visiblement tu viens de passer une nuit blanche, je pense qu'il est normal qu'on s'imagine des choses après ça.
Je commence à comprendre qu'ils doivent réellement s'inquiéter pour moi et s'imaginer des scénarios improbables en tout genre pour essayer de comprendre mon comportement.
J'avais un meilleur ami dans mon ancien lycée. Lorsqu'il a apprit ma condition difficile, mes sœurs placées et moi livré à moi-même, il s'est éloigné au maximum avant de couper tout contact. Il était issu d'une très bonne famille et ne voulait pas entacher sa réputation. Je pensais pourtant qu'il s'agissait d'un ami de confiance, nous nous connaissions depuis presque deux ans et nous partagions tout.
Alors je sais que tout ne tient qu'à un fil.
Jo-Ann me plaît de plus en plus mais aucun fille n'accepterait de sortir avec un gars qui élève trois enfants.
Si je veux profiter de ma vie de lycéen, avoir des amis et des petites-amies, je suis obligé de mentir. L'équilibre est si fragile.
Puis...Cela me fait du bien de jouer un rôle, de ne plus penser à gérer la maison, les courses, le ménage et les rendez-vous le temps des cours. Je respire, je me sens comme tous les autres, banal. Et je n'ai pas envie de perdre ce sentiment. Je n'ai pas envie que l'on me catalogue comme pauvre garçon qui a tout perdu et qu'on me ménage.
Je réponds enfin après un long silence.
- Désolé, j'ai trop à perdre en en parlant.
- Qu'est-ce que tu as à perdre ?
- Vous et ma vie tranquille de lycéen. Ma seule bouffée d'air frais.
J'adore mes sœurs, je les aime plus que tout au monde et je m'en veux de penser ainsi. Mais j'en fais tellement... N'ai-je pas le droit à un oasis ? Et mon oasis c'est le lycée et ces trois idiots.
- On t'a apprécié dès le premier jour tu sais et nous ne sommes pas du genre à abandonner nos amis au moindre soucis. Je ne comprends pas pourquoi tu ne nous fais pas confiance.
- Je suis d'accord, on a accepté tes départs en avance, tes arrivées en retard, tes motifs flous et tes excuses bidons. On a arrangé nos sorties sur tes horaires pour que tu puisses toujours être de la partie, nous n'avons rien eu en échange, avoue Jo-Ann d'une voix déçue.
Que la remarque vienne d'elle me touche encore plus.
- Désolé, je ne veux pas en parler, pas tout de suite.
- Nous n'attendrons pas éternellement, conclu Eloha."
L'ambiance est tendue, j'invente une excuse bidon, une de plus, à laquelle ils ne croient pas mais pour une fois, ils ne s'en formalisent pas. Ils ont sûrement envie que je parte. Je les salue donc rapidement et tourne les talons, une douleur dans la poitrine.
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