~ Correspondance XX

La lettre retrouvée est jaune, sale et humide, l'encre a bavé à certains endroits mais le texte est lisible. On a brisé le bouchon de la bouteille où l'on pensait trouver de la boisson puis on l'a jetée sans voir le petit rouleau. On a cherché, encore et encore, par delà toutes les mers et tous les océans, qui étaient ces deux personnages. En vain. Ils semblent avoir disparu sans laisser de traces. On a publié la lettre pour que, si l'un des deux correspondants souhaite récupérer cette lettre, il le puisse. En voici le texte :

Chère Finna,

Cœurs brisés que nous fûmes sur les routes ! L'océan nous a attendu, il est là devant moi. Je le sens qui m'appelle chaque jour et chaque jour je me refuse à rejoindre ses profondeurs. Je me rappelle nos solitudes, nos joies, nos peines, je me rappelle la mort mais aussi la vie, les espoirs. J'ai bien changé durant mon périple et je crois que toi aussi. Que t'ai-je apporté ? Que m'as-tu donné ? Peu importe, nous avons échangé et partagé, c'était tout ce qui comptait.

Que faire alors, quand le temps joue contre nous ? Que je voudrais te rejoindre et que je ne le puis pas ? Il faudrait plus d'années que je n'en ai pour nous rejoindre... La promesse que je t'ai criée résonne à mes oreilles. Je l'ai hurlée dans le vent, espérant qu'il te l'apporte. Je l'ai noyée dans l'eau, espérant qu'un de ton peuple puisse te la transmettre. Je crois que c'est vain, qu'à l'Océan tu m'attends encore et que j'aurais beau me hâter, je n'y arriverai pas. J'ai besoin d'un orage, de me gorger d'eau et de pluie pour extérioriser toute cette impuissance qui me dévore de l'intérieur. Ô puissance, que ferais-je avec toi ? Tout ! Je traverserais l'Océan, je te retrouverais et nous aurions l'éternité ! Nous pourrions être ensemble, enfin ! L'idéal d'une vie...

Brisé ! Chimères ! Tu te demandes pourquoi l'Océan ne me suffit pas. C'est parce qu'il est lent, il est déchaîné aussi mais il est d'abord doux et régulier. Il ne veut pas de ma colère, je le sens. Il ne veut pas de mon esprit troublé et tourmenté. Il se refuse à moi et je n'ai pas le cœur à le contraindre. Il me faut un orage car je voudrais pleurer, me lamenter et dépérir. Les yeux secs, je fixe l'horizon et toi, de l'autre côté, tu me regardes aussi j'espère ! N'as-tu pas dit que nous devions continuer ensemble ? N'as-tu pas dit que nous devions lutter jusqu'au bout ? N'as-tu pas dit que nous étions étoiles ? Ne sommes-nous pas étoiles qui se guident mutuellement ? Alors... alors... Alors quoi ? À quoi bon cette lettre puisque je te rejoins ! J'attends le bateau, j'attends l'oiseau, j'attends la vague qui me fera traverser. Tu m'as dit que j'étais ton étoile, que je t'avais guidé. Alors je viendrai ! Je viendrais...

Si je pouvais ! Mais non... J'y perdrais la vie, j'y perdrais ton souvenir, j'y perdrais l'espoir. Tu m'as dit d'espérer, de vivre et n'ayant que toi au monde, je me contenterais de cela. Je m'enivrerai de tes lettres et je boirai le restant d'eau distillée. Je boirai jusqu'à plus soif et enfin, peut-être te verrai-je ? On dit que cette eau fait des miracles. Le peut-elle vraiment ?

Je ne sais plus ce que j'espère et j'ai l'esprit confus. Ta dernière lettre m'a rendu maître de moi-même aux yeux des autres mais pas aux miens. Même ses yeux ont cru au masque. Ah, vrai, je ne t'ai pas dit et tu ne sais pas qui j'évoque, n'est-ce pas ? Ou peut-être que si, toi qui devine et qui réfléchis si bien. Elle, c'est un peu de mon espoir et de mon âme, celui que je ne te réserve pas, pardonne-moi. Elle ne m'en veut pas de t'écrire, elle ne m'en veut pas pour mes actes passés tandis qu'ils s'imposent à moi chaque jour dans toute leur horreur. Elle est douce, presque effacée, ce qui me plaît. Elle me laisse la place de m'épancher et elle prend la sienne dans mon cœur. Elle est si belle aussi ! C'est la première peau bleue que je rencontre en vrai et ce n'est pas toi. Si tu savais l'espoir fou que j'ai eu, lorsque je l'ai vue ! Mais elle m'a dit s'appeler Ouria et, voyant mon air déçu, elle m'a invitée à la suivre. Depuis, je ne la quitte plus que pour t'écrire et elle ne me laisse m'éloigner que pour cela. Elle m'en apprend tellement sur ton peuple que j'ai l'impression de te connaître enfin. Es-tu heureuse pour moi, de l'autre côté de l'Océan ? Crois-tu que j'aie le droit ?

Elle me comprend si bien mais je ne peux t'oublier. Elle aussi a cru que j'allais mieux, lorsque ta lettre m'est parvenue et cela aussi, je l'espère, te rendra heureuse. Cependant, tu comprendras, toi, que mon âme est encore tourmentée. Que je ne puis me contenter tout à fait de la paix qu'elle m'offre. Encore et encore, ton visage tant imaginé, tant fantasmé même, se superpose. Je ne perds pas espoir, tu sais ? J'attends simplement. J'attends que le destin me choisisse et fasse de moi quelqu'un. J'attends qu'ils me rende digne de toutes tes attentions et des siennes.

Tu riras en apprenant qu'elle me trouve laid. Moi aussi, j'ai ri, avant de m'assombrir. Ne suis-je pas laid ? Ne suis-je pas noirci et assombri comme la lame de mon épée le fut lorsqu'elle fit couler ce sang ? J'aurais aimé rencontrer ta voyageuse en pèlerine et ces innombrables autres qui ont eu la chance sans le savoir de croiser ta route. J'aurais aimé entendre cette théorie du moindre sang... Bah, qu'importe s'il était moindre ! J'eus préféré que le mien coulât. Mille fois mourir plutôt que la culpabilité, plutôt que l'horreur de moi-même, plutôt que la haine que je me porte.

Elle m'adoucit un peu, je crois. Elle me permet de moins penser à eux, à ces hommes. Elle me procure un effet différent de tes lettres et pour autant, l'intensité est la même. Et puis j'aime son nom, ses cheveux longs, sa peau, ses couleurs. Elle me rappelle l'eau bleue que je maîtrise, l'eau promise qu'était notre objectif, l'eau salée de mes larmes, l'eau sombre de ton peuple et l'eau claire de sa voix qui chante. Elle chante bien et c'est beau. Ce sont les seuls moments où elle évoque sa souffrance d'être ce qu'elle est, une Navilak comme toi. Grâce à elle, je comprends enfin ce que vous avez pu ressentir. Elle est... Elle te ressemble sans être toi. Avec elle tout est moments, instants et bonheur. Avec toi c'est différent. C'est éternel maintenant, c'est puissant, c'est douloureux mais c'est rempli d'espoir.

J'ai fait du chemin, toi aussi. Nous nous verrons, je te le promets, mais pas tout de suite. Un jour au fond de l'eau... Tu m'as dit de continuer quoi qu'il arrive, de m'occuper de Sysso. Je le ferais aussi bien que toi j'espère.

Je te souhaite le meilleur, là où tu es, et je te dis à bientôt.

Que l'esprit de l'Eau et que les quatre veillent sur toi !

Eleyan.

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