~ Correspondance XVIII

 Chère Finna,

Pardonne-moi, je t'en supplie ! Pardonne-moi de t'avoir tant fait attendre ! Pardonne-moi de n'avoir pas trouvé les mots !

C'est que j'ai été plongé dans les affres du doute pendant de longs jours que je regrette désormais. C'est que je n'ai pas d'excuse et que je suis impardonnable d'avoir tant hésité. C'est que je m'en veux et que je suis coupable cent fois autant que toi. C'est qu'enfin, je n'ai pas osé me prononcer, je ne savais que dire et que faire. Je voulais te réconforter sans trouver les mots justes. Je voulais te dédouaner sans m'accorder grâce car quand l'une mérite le pardon, l'autre le renie, le souille, le... Oh, conscience ! qu'as-tu fait de ma morale, de ma loi intérieure ? Qu'as-tu fait de mes principes et de mes valeurs ? Qui a décidé qu'ils ne valaient plus rien ?

Vois-tu, je ne sais encore ce que je vais écrire et à mon tour, j'ai brûlé du papier, plusieurs fois, avant de me résigner et de promettre de ne plus détruire celui-ci. Il te faut une réponse et il faut que je te la donne ! Sysso reviendra, je te le jure !

Pardonne-moi...

Ah, d'abord, la vérité. Il la faut, il faut que je la dise, il faut que tu comprennes. Vérité immonde, ingrate ! Je dois la dévoiler aussi, moi. C'est à mon tour de renoncer à toute ta compassion. Voilà, vérité ! Maudite vérité que je te dois... Il faut que j'affronte l'ennemi, que je le terrasse une bonne fois pour toutes sinon... sinon je ne sais ce que je deviendrai... Alors voila : vérité.

Quand deux prédateurs se rencontrent et se battent, sans nécessité de nourrir un besoin vital, sont-ils immoraux ? Oui, bien sûr. Cela n'arrive pas dans la nature où il y a toujours une nécessité qui guide l'acte. Alors pourquoi, êtres de chair, de sang et d'eau, nous nous comportons contre la nature ? Est-ce cette parole, ces sentiments, cette conscience qui nous abaisse sous le niveau même de la nature au lieu de nous élever au-dessus comme beaucoup le prétendent ? Si oui, je n'en veux plus. Je n'en veux pas. Tout plutôt que d'avoir eu à faire ce geste, tout plutôt que d'avoir encore un cœur qui bat tandis que le sien s'est tu !

Métaphores qui servent mon dessein, qui me cachent, qui dissimulent, que m'avez-vous offert ? Un temps que vous n'aviez pas. Alors voilà : vérité.

Il était un homme qui n'est plus à cette heure. Il a levé la main sur moi, un inconnu qui ne lui était rien. Ma main a réagi avant ma pensée et en un geste, il est tombé. Pourtant il n'était pas encore passé de vie à trépas ; il gémissait, demandait grâce et compétences que je n'avais pas. Peut-être te souviens-tu de l'eau distillée, présent de mon maître ? J'y ai soudain pensé et me suis résigné à la lui offrir pour le sauver peut-être ! Si tu savais comme je regrettais mon geste agressif au moment où j'appliquais l'onguent. Je sentais l'odeur ferreuse, je voyais sa vie s'écouler avec son sang qui tâchait le sol d'une flaque imposante.

Après un temps, l'eau fit le miracle qu'on attendait d'elle et l'homme put ainsi respirer à nouveau. Cet homme qui sans regrets avait déjà sorti l'épée du fourreau pour m'atteindre et me nuire tenta, tu ne le croiras pas, à nouveau de m'occire. Pris par surprise, je fus touché à l'épaule par sa lame acérée et par un brusque geste enfin, je l'achevai.

Pardonne cette forme alambiquée que j'ai choisie pour m'exprimer. Elle me permet de m'éloigner un peu de l'acte et de le rendre moins réel. C'est pourtant le contraire de ce que je fais : je le grave ici afin de ne pas l'oublier, de conserver ce souvenir morbide et me rappeler toujours de ne jamais recommencer. L'oublier ? Comment le pourrais-je ? À chaque seconde, je revois ce visage tordu par la haine et la peur. Je me demande s'il était effrayé par mes capacités et si c'est pour cela qu'il a une seconde fois commis l'irréparable. Je me demande s'il avait une famille, des amis, des frères et des sœurs, une compagne peut-être qui l'attendait ? Et moi... et moi qui n'ai plus besoin de personne désormais. Moi qui vit quand lui meurt. Moi qui ai tué, deux fois !

Qui suis-je alors pour avoir le droit de te juger ? Quand mon bras à frappé deux fois le même homme, quand je l'ai sauvé, quand je lui ai accordé le salut pour mieux le lui retirer, qui suis-je pour t'écrire encore ? Qui suis-je pour oser t'adresser des remontrances malvenues ? Je suis comme toi, pire que toi !

Si cela t'intéresse encore, sache que j'ai utilisé le reste de l'eau pour me guérir moi-même et qu'ensuite, malgré mon extrême faiblesse, j'ai rampé jusqu'à une grotte et j'ai vécu, âme misérable que je suis. Je prévois maintenant marcher jusqu'à l'Océan, t'y trouver ou non, et m'y noyer. Oh, disparaître dans mon élément, c'est une mort glorieuse, la meilleure ! Je me perdrai et plus rien ne pourra m'atteindre ! Je ne mérite plus de vivre n'est-ce pas ? Je n'ai aucun prétexte à brandir entre moi et ce juge qu'est la conscience. Je n'en trouve pas et n'en veux pas trouver ! L'Océan me vaincra et comme lors d'un orage, je me gorgerai de sa puissance pour en mourir enfin. Oh ! Où sont passées les belles paroles, au moment du geste ? Où est passée ma conscience ? Et mes valeurs qui s'en sont allées... J'étais bien aise de parler de ce que je connaissais pas ! Je m'en veux tant ! La culpabilité me ronge, pernicieuse et insidieuse, qui rampe, m'effleure et me brûle même quand je ne la repousse pas. Je sens que si je l'acceptais complètement, elle me dévorerait tout entier. Le sais-tu, toi ? Sais-tu si ce sentiment maudit s'en va ? Et s'il persiste, me faut-il désormais apprécier la vie comme juste châtiment de ma peine ou lui préférer la mort pour rejoindre ceux qui s'en sont allés avant moi ? La mort pour rejoindre celui que j'ai... que j'ai tué, et pour ne plus souffrir. La vie pour souffrir et rester à tes côtés...

Un choix... Moi qui me croyait libre ! Avons-nous eu le choix, nous ? Au moment fatal, avons-nous réfléchi ? Nous sommes-nous dit que nous allions aller trop loin ? Que nous le regretterions ? Non et pas plus toi que moi. Était-ce alors un choix délibéré ? Je dirais que non : c'est l'instinct qui m'a permis d'éviter le coup d'épée de cet homme, l'instinct encore qui m'a poussé à lever le couteau que j'avais dans la main pour chasser et qui a finalement servi un si noir dessein. L'instinct alors, est-il fautif ? Non plus. Il est, tout simplement. Il ne pense pas, ne ressent pas, ne réfléchit pas. Alors c'est la conscience encore, qui nous rappelle, qui nous crie que l'acte est barbare, qu'il est commis et qu'il est trop tard... Trop tard car rien n'effacera ce que nous avons vu : ni le temps, ni l'oubli ne se feront les avocats de notre peine !

Âmes égales, égarées, esseulées que nous sommes. Méritons-nous le pire ? Il me semble que je le vis déjà et que pourtant, je pourrais souffrir encore cent fois plus. Si tu savais comme la lame à mon côté s'alourdit de jour en jour ! Et ce sang qui la macule encore, et cette vie qui pèse de plus en plus.

Vérité, la voilà telle qu'elle est.

Je ne t'ai rien caché, tu ne m'as rien dissimulé. Nous sommes quittes.

J'aspire à te retrouver et à consoler mon esprit auprès de son frère mais à mon tour, je ne sais ce que tu décideras. Je dis au revoir à Sysso, je te dis à bientôt, peut-être ! L'espoir me chuchote ce mot : peut-être !

Eleyan Eredor.

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