~ Correspondance XIV
Ma chère Finna,
Tu ne peux savoir ce que la vue d'un simple bout de papier peut apporter comme soulagement et bonheur. Ou peut-être que tu peux l'imaginer même si je n'ai pas la prétention d'être si important à tes yeux malgré ce que tu m'en dis.
Tu m'as raconté tellement de choses que je ne sais par laquelle commencer ma réponse. Je pourrais bien me perdre en écrivant et t'entraîner à ma suite sur les chemins tortueux de mon âme mais j'aimerais autant t'éviter la peine d'avoir à me comprendre quand je digresse et me perds. Je vais donc essayer de structurer un peu ma pensée même s'il se peut que je dévie parfois.
J'apprends avec joie l'heureuse nouvelle que tu te trouves bien plus proche de moi que je ne le croyais ! D'ailleurs, comment n'es-tu pas étonnée ? Tu me décrivais sans cesse la fraîcheur de ta région quand je ne puis avoir plus chaud de mon côté ! En tout cas, cette nouvelle apaise toutes les angoisses qui ont pu naître à mesure que je voyais Sysso s'éloigner dans le ciel. J'ai tracé un cercle sur ma carte entre la maison de mes parents (qui n'est pas celle de mon maître et qui est donc hélas à plus de quelques jours de marche) et ma position actuelle. Si tu avances toujours vers le Sud, il faut que moi, je dévie vers l'Ouest. D'ailleurs, en allant assez loin, nous allons nous rencontrer à l'Océan. As-tu déjà vu cette immensité bleue ? Pas moi, on me l'a seulement décrite et j'imagine avec peine cette quantité d'eau phénoménale. Je ne sais comment te décrire la félicité de mon cœur à cette idée. Je me répète, je le sais, mais je suis par trop heureux et tu as soufflé tous mes soucis comme on éteint la flamme d'une bougie. C'est si agréable, si tu savais !
Je suis aussi ravi d'apprendre que tu te portes bien. Pense à te reposer et à ne pas te surmener même si ton acte de bravoure pour ce petit élémentaire de terre m'a beaucoup ému et aussi interrogé... J'hésite à te faire part de mon ignorance mais... tant pis, je ne suis plus à cela près sur ce sujet et tu sais déjà à quel point je ne sais rien. Il me semble donc que je t'ai déjà informée sur le fait que mes parents étaient – et sont toujours d'ailleurs – des élémentaires de terre et tu comprends donc que la description que tu as faite de ce petit être si mignon que tu appelles élémentaire de terre me questionne. À moins que je ne sois victime d'une vaste supercherie, j'ai toujours vu des élémentaires à la forme humaine avec seulement le tatouage distinctif de notre élément quelque part sur le corps et ce que tu décris m'intrigue. Mes parents ou moi ne sommes-nous pas des élémentaires ? Ou l'être que tu as vu n'en est pas un ? Pardonne-moi de remettre ta parole en doute mais reconnais que j'ai là de quoi m'interroger longuement en attendant ta réponse.
J'envie un peu ta rencontre avec ce couple si aimant qui t'a recueillie. Dans les terres désolées que je traverse en direction de l'Ouest désormais, je ne croise personne qui soit un tant soit peu aimable, quand je croise quelqu'un ce qui n'arrive pas souvent non plus. Est-ce moi qui repousse les bonnes gens ? Je ne l'espère pas car j'en viendrais alors à te repousser, toi ! Je préfère me convaincre qu'il n'y a rien de bon dans ces contrées et pourtant, cela donnerait trop de suite aux idées que tu énumères froidement comme si elles étaient naturelles. Je ne t'accuse pas de m'ouvrir les yeux mais je ne m'attendais pas à de tels mots venant de toi. Ah, je vais m'arrêter sinon, je vais te donner des raisons pour me cacher certaines choses et je trouverai cela fort dommage. Allons donc, du courage pour moi et pour écrire mon ressenti sur toutes les horreurs des hommes.
Comment, pourquoi et... bien d'autres questions me sont venues à l'esprit. Tu m'as apporté certaines réponses que je suis fort aise de connaître et que j'aimerais maintenant oublier car je crois que j'ai perdu toute illusion sur la nature de ceux qui m'entourent. Je ne professe pas la perfection des élémentaires et nous avons des défauts tels que la paresse notamment. Jamais cependant nous ne nous abaisserions à blesser, que dis-je, à tuer notre prochain pour une question d'argent, de pouvoir ou d'envie ! Quelle horreur sont-ils prêts à commettre pour de pareilles chimères ? L'argent par le sang est immérité, le pouvoir rend avide et cupide et l'envie est le premier vice qui rend l'homme méchant. Que ne savent-ils pas se contenter de ce qu'ils ont ! Je n'accorde le droit d'être envieux qu'aux nécessiteux qui n'ont rien et ne peuvent donc être heureux avec ce qu'ils ont. Cependant, les autres n'ont pas et ne doivent pas recourir à de telles extrémités... le meurtre ! Tuer un homme, supprimer une vie, occire une âme, l'éteindre à tout jamais. Comment vivre avec cela ? J'ai le sentiment qu'en supprimant une personne, on supprime du même coup la raison de notre existence sur terre qui est de faire le bien. Par conséquent, il ne reste rien à offrir à l'Esprit de l'eau qu'une âme noire, souillée, salie, quand elle est encore accrochée au corps.
Je crois que je préférerais me tuer plutôt que d'endurer la vie avec un tel remord sur la conscience. Pareil supplice me semble impossible à supporter.
Pardon, j'exprime trop de négativité dans une lettre que je voulais lumineuse. J'espère n'avoir pas trop assombri ton visage. Qu'ai-je à dire de plus ? Ah oui ! Je voudrais me trouver un maître d'armes et suivre ton conseil même si je répugne au combat. Cependant, j'ignore où un tel maître propose ses services ici. D'autant que j'ai des critères ! Il faut qu'il ne me transperce pas avant d'avoir compris ma demande... Peut-être que lorsque j'aurais déserté enfin ces bouts de cailloux pour rejoindre la plaine et la forêt que je commence à apercevoir, je rencontrerai enfin un village où je puisse trouver ce que je cherche, à savoir un bon lit, un bon repas chaud – je n'ose plus allumer de feu –, un maître d'armes et toi. Peut-être que tout ne se résoudra pas aussi bien que je le dis aujourd'hui mais j'espère encore et toujours. L'espoir est ce qui me fait avancer. Le jour où je n'en aurais plus, je sombrerai, à n'en pas douter.
Voilà que je reviens à de sombres idées ! Mon humeur du soir doit être propice à ce genre de réflexions. Il faut te dire que je ne vois pas les étoiles depuis plusieurs jours à cause de nuages noirs qui semblent apporter l'orage. Voilà pourquoi je me hâte de rédiger ces derniers mots pour éviter à Sysso l'horreur de lutter contre la tempête.
N'oublie pas que quelqu'un pense à toi !
Que l'Esprit de l'eau veille sur toi !
Eleyan Eredor.
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