Prologue
Décembre 2012
(4 ans avant EDM)
Mélody réfléchissait à toute vitesse. Son rythme cardiaque ne cessait d'augmenter. Ses mains tremblaient. Elle était au commandement d'une armée complète, à présent, et n'avait plus droit à l'erreur. Beaucoup avaient déjà péri et elle ne pouvait se permettre de perdre d'autres soldats.
Qui allait-elle envoyer en reconnaissance ? Son espion ? Non, lui était sa seule chance de vaincre le maréchal. Son lieutenant ? Il était très fort, bien évidemment, mais elle avait trop peur de le perdre. Le commandant, lui, était encerclé par l'ennemi et des bombes. Quant aux éclaireurs, nombreux étaient ceux qui avaient été éliminés.
— Mélody ? s'enquit une jeune fille.
L'adolescente releva la tête et tourna son regard vers son interlocutrice. Elle la détailla rapidement. Celle-ci faisait à peu-près sa taille. Elle avait de longs cheveux d'un blanc aussi doux et brillants que la neige au soleil, non pas dû à son âge avancé, c'était juste un trait de famille. Ses yeux en amande étaient comme recouverts d'une fine couche de givre, laissant tout juste transparaître le bleu céleste de ses iris. Cette particularité la rendait plus ou moins aveugle. Mélody lui avait souvent posé des questions, mais la jeune fille évitait habillement de répondre. Elle avait aussi un teint très pâle, presque inquiétant, malgré sa santé de fer.
— Mélody ? Alors, que vas-tu faire, hein ?
— Je réfléchis, Lia ! s'agaça l'adolescente, sur les nerfs.
Mélody supportait mal la pression. De plus, elle n'était pas une bonne perdante. Elle n'aimait pas non plus devoir faire des choix et la stratégie n'avait jamais été son fort. L'adolescente avança finalement son commandant d'une case, le faisant entrer en collision avec un autre pion. Elle demanda d'une voix tremblante :
— Alors ?
— C'est fou comme tu as de la chance ! C'est pas juste, je veux une revanche ! râla Lia, en prenant une mine boudeuse.
Mélody se leva en un bond, criant à tue-tête qu'elle avait gagné et dansant comme une enfant. Elle savait qu'elle en faisait trop, mais c'était l'une des premières fois qu'elle battait son amie, alors elle était aux anges.
— Mélody ! Aelia ! On mange ! hurla Aaron, à travers la maison.
— On arrive ! répondirent en chœur les deux jeunes filles.
Mélody se dirigea vers son amie et lui tendit sa canne, ainsi qu'un bras, pour l'aider à descendre les escaliers. Bizarrement, Aelia pouvait percevoir certaines choses, tandis que d'autres non. Elle savait, par exemple, jouer aux jeux de société, mais était incapable d'avancer seule dans une maison sans se prendre au moins une fois le mur. Tout cela, dû à ses yeux si étranges.
Les deux amies arrivèrent seulement quelques instants plus tard dans la salle à manger. Aaron était déjà assis à table, tandis qu'Iris finissait d'apporter les plats. Mélody huma l'air et se délecta de l'odeur qui le parfumait. Elle essaya de savoir ce qu'ils allaient manger uniquement grâce à son odorat, mais n'y arriva pas. Elle dut se résoudre à demander.
— Moussaka, affirma la maîtresse de maison. Aelia, tu n'as rien contre les aubergines et la bolognaise, dis-moi...
— Absolument pas ! déclara la concernée. D'ailleurs, ça sent super bon.
— J'espère que le goût vous enchantera autant que l'odeur, railla cette dernière.
Tout le monde s'installa autour de la table. Iris commença à servir le repas, tandis qu'Aaron se mit à papoter avec sa fille. Les discussions allaient bon train et le déjeuner était presque terminé, lorsque Mélody sentit le monde autour d'elle basculer. Elle essaya de se concentrer sur quelque chose d'autre, pour éviter de repartir. En vain.
Tout était très flou autour d'elle. La jeune fille se trouvait dans l'immense cour d'un palais. Des personnes en tous genres traversaient celle-ci, parfois en courant, parfois en criant. La tension semblait presque palpable dans cet endroit lugubre. Le ciel était couvert de nuages noirs et zébré par des éclairs. La pluie menaçait de tomber à tout instant.
Pourquoi son pouvoir l'avait-il amenée ici ? Qu'était-elle censée voir ? Mélody avait beau chercher autour d'elle, rien ne semblait ressortir. L'adolescente regarda autour d'elle, jusqu'à ce qu'elle le voie. Elle ne comprenait ni comment elle le savait, ni pourquoi, mais c'était lui que sa vision lui montrait.
C'était un jeune homme qui devait avoir dans les environs de vingt ans. Il était grand et mince. Elle ne pouvait malheureusement pas voir son visage de manière très précise. Il ne portait qu'un pantalon déchiré à plusieurs endroits. Des bandages teintés de sang recouvraient tout son torse. Malgré son piteux état, il dégageait une sorte de chaleur, de gentillesse. Mélody trouva que cet homme ressemblait étrangement à son amie, Lia.
— Adriel ? bafouilla quelqu'un derrière l'adolescente.
L'adolescente se retourna, pour voir à qui appartenait cette voix chargée d'émotions. Elle crut que son cœur allait exploser lorsqu'elle la vit. Aelia. Étonnamment, son amie était bien visible. Elle la reconnaîtrait entre mille ! La seule différence avec sa Lia était que celle qui lui faisait face semblait plus âgée. Mélody se demanda quel âge elle devait avoir, à présent. Il était clair que son amie n'était plus l'enfant de douze ans qu'elle connaissait. C'était comme si Aelia avait complètement changé, sans pour autant être différente.
— Adriel, c'est bien toi ? murmura Aelia, d'une voix tremblante.
— Lia ! s'exclama le jeune homme, affichant un grand sourire.
Aelia courut se jeter dans ses bras, laissant libre cours à ses larmes. Il répondit à son étreinte. Après quelques instants, elle s'écarta du dénommé Adriel. Mélody était perplexe. Qui était-il ? Pourquoi semblait-il si proche d'Aelia ? Et puis, surtout, où étaient-ils ? Mélody n'avait jamais vu, ni même entendu parlé de ce château. Pourtant, Aelia avait l'air assez familière avec l'endroit !
« Mélody ? Mélody, tu m'entends ? » murmura une petite voix dans sa tête.
L'adolescente regarda tout autour d'elle, à la recherche de son interlocuteur. Aucun signe de lui. Elle était pourtant toujours dans sa vision et semblait très loin de revenir à la réalité. Alors comment ? Qui arrivait à lui parler ? Bien sûr, elle se souvenait vaguement avoir conversé avec une jeune femme, lors de sa première vision ! Néanmoins, la voix n'était pas la même, elle en avait l'intime conviction. De plus, personne ne lui faisait face...
« Mélody, c'est moi... Lia »
Mélody se retourna, chercha après son amie. La seule Aelia présente, était celle à nouveau blottie dans les bras dudit Adriel. Mais son instinct lui disait que la petite voix émanait bien d'elle. Comment ?
« Sera m'a dit comment faire pour te joindre... Enfin, si j'y arrive... Peu importe, là n'est pas le sujet ! Normalement, tu vas bientôt te réveiller dans ton salon, auprès de la moi du passé. Et j'ai besoin de toi pour me faire passer un message... Pourrais-tu me demander qui est Adriel ? »
Mélody l'écoutait attentivement, hésitant entre l'hilarité et la consternation. Elle n'arrivait pas à comprendre. Pourquoi devait-elle faire ça ?
« Je sais que tu ne comprends pas encore tout, et j'en suis désolée. Si seulement... Juste, fais ce que je te dis et demande-moi qui est Adriel ! Tu verras, tout prendra du sens dans quelques minutes ! »
Alors qu'Aeila prononçait ces derniers mots, la vision de Mélody se termina. Elle eut juste le temps de voir son amie verser une larme, toujours blottie dans les bras du jeune inconnu.
— Mélody ! Réponds-nous, s'il te plaît ! la supplia quelqu'un.
Sa voix semblait si lointaine ! L'adolescente se sentait très fatiguée, comme si elle venait de percuter un bus, ou quelque chose du genre. Ses paupières étaient tellement lourdes. Tous ses membres étaient comme ankylosés. Elle finit par ouvrir les yeux et tomba nez à nez avec Aelia. Son regard était baigné de larmes et son visage était crispé par la peur. Aaron et Iris étaient debout, non loin. Aucun d'eux ne semblait serein. Quelque chose clochait. Que s'était-il passé ? Pourquoi avaient-ils l'air si inquiets ?
— Comment te sens-tu, chérie ? murmura Iris.
— Bien, juste un peu fatiguée. Pourquoi ? s'enquit Mélody, d'une voix rauque qu'elle ne se connaissait pas.
— Ce n'est rien, tu as juste fait une crise de narcolepsie beaucoup plus violente que d'habitude, confessa Aelia.
La voix de son amie tremblait. Mélody s'en voulut. Si elle avait dit la vérité plus tôt à Aelia, peut-être que celle-ci ne se serait pas tant inquiétée. Enfin, vu l'expression inquiète de ses parents, ça n'aurait pas changé grand-chose. L'adolescente hésitait. Est-ce que son amie avait raison ? Celle du futur. Devait-elle dire la vérité à la Aelia de maintenant ? Elle ne cessait de repasser les mots de la Aelia du futur dans sa tête. Jamais son amie ne lui avait demandé de révéler son secret ! Juste parler d'un certain Adriel.
— Qui est Adriel ? s'enquit Mélody, peu sûre.
— Comment... Où as-tu entendu parler de lui ?
Aelia semblait triste, mais aussi effrayée et en colère. L'adolescente hésita. Elle n'aurait pas dû ! Évidemment, cette question devait aboutir par des aveux ! Mélody lança un regard interrogateur à ses parents. Pouvait-elle dire la vérité ? Lui était-elle permise ? Elle la voulait, mais en avait aussi très peur. Si Aelia la prenait pour une folle ? Si l'aveugle ne la croyait pas ? Si elle la rejetait aussi ? La jeune fille finit par ouvrir la bouche, laissant le sort décider de ce qui allait en sortir.
— C'est toi, n'est-ce pas ? la coupa Aelia. La fille que Seth cherche ? Sa nièce ?
Mélody écarquilla les yeux, interloquée. Elle n'avait jamais entendu parler de ce Seth et n'était sûrement pas sa nièce. À moins qu'Aaron et Iris ne soient pas ses parents biologiques ! Mais c'était tout à fait ridicule !
— Tu vois tout, n'est-ce pas ? Tes crises de narcolepsies, ce n'est pas vrai, hein ? Tu as des visions ?
Le ton d'Aelia devenait de plus en plus dur, voire même agressif. De petites perles se formaient aux coins de ses yeux, puis ruisselaient sur ses joues pâles.
— Comment ?
Ce fut le seul mot qui sortit de sa bouche. Mélody ne savait plus que faire, comment réagir à ça. Où Aelia avait-elle appris ce qu'elle savait ? Pourquoi réagissait-elle ainsi ? L'adolescente n'avait pourtant rien fait de mal. Elle n'avait jamais réclamé un tel pouvoir, alors pourquoi son amie avait-elle l'air de lui en vouloir pour ses visions ? Ses parents lui avaient répété qu'elle n'était pas un monstre... Lui auraient-ils menti pour la protéger, comme le font de bon parents ? Mélody sentait les larmes menacer de couler, tandis qu'une boule se formait dans sa gorge, l'empêchant de respirer correctement.
— J'avais raison ! jubila soudainement Aaron.
Grâce à son intervention plutôt étrange, Mélody réussit à garder contenance et à cacher sa peine. Tout le monde se tourna vers l'homme soi-disant responsable de la maison. Un grand sourire victorieux était peint sur son visage. Une lueur rouge animait ses iris émeraude, comme s'ils étaient habités par les flammes de l'enfer. Iris lui donna un coup de coude dans les côtes, pour rappeler son mari à l'ordre.
— Ben quoi ? C'est vrai ! Elle est une oblivienne au service de Seth ! J'avais raison depuis le début ! triompha Aaron, comme s'il était un enfant. Mais évidemment, tu ne m'as pas cru ! Après tout, « qu'est-ce que Seth ferait avec une petite aveugle ? » l'imita-t-il.
— Je ne suis pas oblivienne, murmura Aelia, mais demi. Et je ne suis sûrement pas au service du roi, ajouta-t-elle, prenant un air indigné. C'est lui qui m'a fait ceci...
L'aveugle montra ses yeux. Aaron semblait surpris. Iris affichait un sourire compatissant, tandis que Mélody essayait de tout comprendre. En vain. Qui était Seth ? Comment quelqu'un pouvait-il geler les yeux d'un autre ? Qu'était-ce qu'une oblivienne ? Et une demi ? Demi quoi ?
— Où as-tu vu mon frère ? Enfin, Adriel ? s'enquit Aelia, une fois son calme repris.
— Dans un château, je crois... tu te jetais dans ses bras, émue aux larmes...
Un silence de plomb retomba sur la pièce. Chacun semblait réfléchir à la suite. Iris serrait la main de son mari, au point de la faire blanchir. Même s'il avait mal, il ne bronchait pas. Aaron avait une mine consternée. Mélody trouva cette dernière assez drôle. Ses yeux étaient plissés, comme s'il cherchait quelque chose, son nez était retroussé et sa bouche formait une sorte de grimace.
— Que fait-on maintenant ? s'inquiéta Iris. Je devrais prévenir mon frère !
— Non, surtout pas ! ordonna Aelia. Ça ne changera rien, de toute façon. Il risque juste de ramener Mélody sur Xaliaté plus rapidement, ce qui la mettrait inévitablement en danger.
— Alors propose-nous quelque chose de mieux ! exigea la maîtresse de maison.
— Attends, mais c'est une blague ! s'indigna Aaron. Nous n'allons tout de même pas écouter une adolescente de douze ans nous dire ce que nous devons faire ! Elle est peut-être une espionne de Seth !
— Sa monstruosité a convaincu mon frère, Willy, de geler mes yeux, car Adriel a sauvé l'une des vôtres, il y a presque treize ans. Et non, je n'ai pas douze, mais seize ans, rétorqua sèchement Aelia, à la plus grande surprise de Mélody qui se sentait de plus en plus perdue.
Voyant que personne ne semblait plus vouloir la couper ou la contredire, elle exposa son plan.
— Je vis ici, avec ma mère, depuis un peu moins de douze ans. Néanmoins, je pourrais trouver un moyen de retourner à Oblivion. Je serai votre espionne ! Jamais il ne me soupçonnera. Après tout, je ne suis qu'une simple petite aveugle.
— Notre dernière espionne s'est faite torturer et violer, avança Iris, d'une voix tremblante. C'est bien trop dangereux !
— Pas si personne ne sait ! la contredit Aelia. Effacez votre mémoire et celle de Mélody. Déménagez encore une fois. Faites oublier mon existence à tout le monde. Je vous ferai parvenir les informations anonymement. Je renverserai Seth de l'intérieur de ses rangs. Je deviendrai sa confidente, sa première Ace.
— Pourquoi... commença Aaron, mais Aelia le coupa.
— Pour Mélody. Pour qu'elle ne subisse pas le même sort que moi, Astra, Regina et tous les autres que Seth a déjà blessé !
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