Chapitre XVI - Derek
Encore une fois, Mélody parcourait les couloirs de l'Académie au pas de course. Elle était à nouveau en retard et, bien qu'elle eût été plus tendre ces dernières semaines, Daenerys allait lui passer un sacré savon. Elle détestait attendre. Pour une fois, ce n'était même pas de la faute de l'adolescente. Enfin, seulement partiellement ! Comment était-elle censée savoir que le portail entre son dortoir et l'Académie était déplacé lorsqu'il y avait trente centimètres de neige sur le sol et qu'il continuait de neiger dehors ! Personne ne lui avait dit ! Peut-être aurait-elle dû se douter de quelque chose lorsqu'elle n'avait pas vu William à la porte principale de la tour R. Habituellement, il l'attendait...
Mélody grogna de frustration. Elle glissa sur le parquet humide, mais réussit à se rattraper sans mordre la poussière. Elle remit ses cheveux derrière ses oreilles et épousseta sa chemise, souffla un grand coup, puis frappa à la porte de la salle de classe de Daenerys. Lorsqu'elle entendit sa professeur l'inviter à entrer d'un ton agacé, elle entra. Elle essaya tant bien que mal de paraître affligée par son propre cas pour adoucir Daenerys, mais cela ne semble pas marcher. William apparut près d'elle et la salua gaiement, comme à son habitude.
— Miss Basilias, commença Daenerys d'une voix morne en se pinçant l'arête du nez. Pourriez-vous m'expliquer pourquoi vous arrivez systématiquement en retard ? Est-ce si difficile de vous en tenir à l'horaire que l'on vous a remis ?
Mélody ne répondit pas, consciente que ce serait vain. Elle se contenta de baisser les yeux et de sembler désolée.
— Peu importe ! reprit Daenerys. Nous avons travaillé sur l'histoire d'Ednom la semaine dernière, ce qui veut dire qu'aujourd'hui nous nous concentrerons sur la magie.
La semi-elfe dut se faire violence pour ne pas râler. Les cours de magie ne lui servaient à rien. Être polyglotte était ennuyeux. Elle devait simplement se contenter de lire dans d'autres langues pour mieux les maîtriser. Et elle ne s'entraînait à avoir des visions que sous la surveillance de Regina – les seules fois où elle avait essayé seule ayant fini par la laisser inconsciente durant plusieurs heures ou même plusieurs jours. Elle ne pouvait malheureusement pas demander que le cours de magie soit supprimé : William en avait besoin. Mélody était tellement concentrée qu'il lui fallut un moment pour comprendre qu'on l'appelait. Elle releva la tête et vit que Daenerys paraissait en colère.
— Je sais qu'il doit être difficile pour vous de faire attention à ce cours. Néanmoins, continua-t-elle en insistant sur ce dernier mot, je vous prierai, Miss Basilias, de m'écouter quand je vous parle !
Mélody bredouilla quelques excuses. Daenerys s'était peut-être un peu adoucie depuis leurs premiers cours, mais elle n'en restait pas moins stricte !
— Comme je le disais plus tôt, repris la professeure agacée, je vous demandais si, à la place de suivre mes cours de magie, vous ne préféreriez pas apprendre à vous défendre autrement que comme un nourrisson.
Étonnée, Mélody écarquilla les yeux. Daenerys était en train de lui proposer l'opportunité qu'elle cherchait à saisir depuis un moment. Noah lui avait appris quelques bases à Latsyrc, mais elle n'était pas pour autant capable de se défendre – ou de se battre ! L'adolescente s'empressa d'accepter la proposition sans trop en connaître les modalités. Lorsqu'elle tourna la tête vers William, elle s'aperçut qu'il grimaçait. Elle commença alors à regretter son enthousiasme. Elle ouvrit la bouche, prête à demander à Daenerys de lui en dire plus sur la manière d'apprendre à se battre, mais la professeure la coupa.
— Parfait ! Suivez-moi alors. Monsieur Rhan, soit vous venez, soit vous restez ici pour vous entraîner, ajouta Daenerys à l'adresse du jeune homme.
William n'hésita pas une seconde avant de suivre leur professeure. Mélody lui emboîta le pas peu après, légèrement inquiète. Ils traversèrent tous les trois une bonne partie de l'Académie, pour finalement arriver à l'arrière du gigantesque château. Daenerys les emmena dehors.
La pelouse du terrain était parfaitement tondue. Des mannequins en bois et d'autres en paille étaient placés ci et là, leur pied entouré de gravats. Ils étaient abîmés et comptaient de nombreuses entailles, probablement dues à des coups d'épée ou des flèches. Un peu plus loin, à un endroit parfait pour un kiosque, se trouvait une plateforme un peu en hauteur. Le sol était recouvert de sable doré et blanc. Deux personnes s'affrontaient à ce même endroit. Mélody reconnut facilement Aelia, mais n'avait aucune idée de qui était l'homme plus âgé contre qui elle se battait.
Daenerys se rapprocha justement de cette arène, ce qui permit à l'adolescente de mieux observer l'inconnu. Il avait de courts cheveux bleu marine tirant fort sur le noir. Ses iris corbeau brillaient d'une lueur que Mélody trouva terrifiante. Un début de barbe apparaissait sur sa mâchoire carrée. Il portait une combinaison d'ace améliorée. Un veston marine recouvrait la tenue de base, tandis que les poches au niveau de ses jambes avaient toutes cette même couleur qu'il semblait s'être appropriée. Il était plus grand qu'Aelia. Il devait faire une à deux têtes de plus. Deux dagues pendaient à la ceinture accrochée à sa taille, mais il n'avait aucune autre arme. Sans comprendre pourquoi, Mélody se sentait menacée en sa présence. Son cœur battait anormalement vite et des frissons remontaient son échine. Qui était-il ?
Aelia ne semblait pas en bonne position. Elle se contentait de répondre faiblement aux attaques que l'homme lançait. Elle évitait beaucoup, exerçait roulade et sauts périlleux pour éviter d'être touchée par des sortes de faisceaux noirs d'encre sortant des mains de l'assaillant. Mélody retint un petit cri de terreur alors que l'aveugle évitait une énième attaque. Cette dernière croisa le regard de l'adolescente une demi-seconde. Les traits de son visage furent marqués par la surprise. Aelia se déconcentra et ne réussit pas à éviter l'assaut de l'homme. Elle se prit l'un des faisceaux de plein fouet et tomba à la renverse du haut de la plate-forme.
Cette fois, Mélody cria réellement, inquiète. Aelia s'écrasa sur le sol, mais ne se releva pas. Tout le monde se précipita vers elle, inquiet. Seul l'homme regarda la scène, l'air mécontent. La semi-elfe et William s'agenouillèrent près de l'aveugle. Un fin filet de sang traversait son visage pâle, s'écoulant doucement depuis son front. Ses yeux étaient fermés.
Mélody en avait marre d'écouter sa mère parler avec la directrice de sa nouvelle école. Elle sortit en précisant qu'elle voulait visiter l'endroit. Au bout du couloir, elle entendit des voix.
— Apparemment, ta môman ne t'a jamais rien appris ! se moqua une personne à la voix haut perchée.
Intriguée, la jeune fille se dirigea vers la provenance du bruit et ce qu'elle vit la mit en rogne. Un petit groupe de filles était en train de s'en prendre à une personne seule. La victime était par terre, à genoux près des escaliers. Un fin filet de sang coulait du haut de son front. Ses yeux étaient étranges, comme gelés. Une canne blanche typique des personnes aveugle balançait entre le palier et la première marche, prête à dégringoler. Ces pestes s'en prenaient à une aveugle. La pauvre ne se défendait même pas. Énervée, Mélody intervint. Au diable les ennuis qu'elle risquait de causer alors qu'elle venait seulement de s'inscrire dans cet établissement !
Mélody reprit instantanément conscience. Aelia gisait toujours sur le sol, mais ses yeux étaient ouverts, à présent. Daenerys était agenouillée à la place de William, afin de pouvoir soigner l'aveugle, tout en criant dans une langue étrangère, à l'adresse de l'inconnu, d'innombrables injures que l'adolescente n'était pas sûre de vouloir comprendre. Celui-ci se tenait un peu à l'écart, l'air passablement en colère. Il gardait les bras croisés sur son torse et observait la scène d'un œil mauvais.
— C'est la gamine qui l'a déconcentrée, lâcha finalement l'homme.
— Derek, espèce de troll ! Tu ne voyais pas qu'Aelia n'allait déjà pas bien ? s'époumona Daenerys.
— Si elle se sentait mal, elle n'avait qu'à pas venir ! Elle connaît les enjeux de la formation, se défendit le dénommé Derek.
Mélody se sentait encore un peu dans les vapes, mais le nom de cet homme lui disait quelque chose. Elle finit par se souvenir. C'était lui, le garçon qui traînait avec sa mère biologique lorsqu'elle était jeune. Le petit ami, si elle en croyait les apparences. Dans les visions de la semi-elfe, Derek et Daenerys ne semblaient pas si mal s'entendre pourtant.
Aelia glissa sa main dans celle de Mélody, sans tourner la tête vers elle. Elle la serra doucement. Ses yeux, mi-clos, étaient tournés vers le ciel azur. La princesse serra à son tour la main de l'aveugle, pour marquer sa présence, le cœur lourd. L'inquiétude qu'elle ressentait vis-à-vis d'Aelia grandissait de plus en plus. Son état semblait être critique. Combien de temps lui restait-il ?
— William, amène Aelia à l'infirmerie ! ordonna Daenerys d'une voix sèche. Elle a besoin de repos. Mais ne laisse personne la soigner !
Aelia essaya de se redresser, mais Daenerys lui demanda de se laisser faire. Mélody regarda son ami partir, peinant à porter l'ace. Elle crut rêver lorsqu'elle vit quelqu'un recouvert d'un chaperon noir l'aider, mais comprit rapidement qu'il s'agissait de S.
— Pourquoi tu ne les accompagnes pas, Stotcheia ? cracha Derek, une mine sinistre peinte sur le visage.
— Il faut qu'on parle, répondit platement Daenerys.
Mélody les observait attentivement et ne pouvait que remarquer la tension entre eux.
— Je n'ai rien à te dire, asséna Derek en tournant les talons pour remonter sur la plateforme.
— Alors écoute-moi ! insista Daenerys. On veut la même chose... commença-t-elle avant d'être violemment interrompue.
— Non ! C'est là que tu te fourvoies, sharihay ! La seule chose que tu veux, c'est la reine. Tu veux te débarrasser de Seth pour que Regina te regarde enfin autrement, mais ça n'arrivera jamais. Jamais ! Cette salope l'aimera toujours et ne fera jamais attention à toi, si ce n'est que pour prendre un peu de plaisir, rétorqua l'homme en redescendant de sa plateforme après avoir ramassé une dague restée dans le sable.
Mélody s'attendait à ce que Daenerys réagisse, mais elle n'en fit rien. Elle se contenta de fermer les yeux et de respirer un grand coup, les poings serrés. La professeur avait un contrôle sur ses émotions et sa manière de réagir que l'adolescente lui enviait.
— Il n'en reste pas moins qu'on veut tous les deux se débarrasser de Seth, continua Daenerys sans pour autant nier les propos de Derek.
L'adolescente osa se demander si les propos de cet inconnu étaient fondés. Quelque chose lui soufflait que ce n'était pas si simple.
— Où veux-tu en venir, la fée ?
Daenerys serra encore plus les poings et Mélody la vit grincer des dents, mais elle ne réagit toujours pas à la provocation. Pourtant, lorsqu'Iris avait dit à Daenerys qu'elle était étonnamment bavarde pour une fée, celle-ci avait immédiatement pris la mouche.
— Mélody a besoin d'un entraînement. Elle doit devenir plus forte...
— Non, décréta Derek. Je ne te dois rien et je ne vois pas pourquoi j'aiderais la fille d'Ariana, la nièce de Regina et Seth, ta protégée et qui plus est : une bâtarde elfe !
Il y avait tant de dédain dans la voix de cet homme. Tout comme Alexandre, lui aussi détestait les demis apparemment. Ou alors, il n'aimait juste pas les elfes. Le résultat était le même !
— C'est une amie de Noahlyna, plaida Daenerys, comme si cela changerait les choses.
— Je ne fais plus ce genre de faveur. J'ai déjà entraîné Sera pour plaire à ma filleule, je ne m'occuperai pas d'une autre princesse !
Daenerys commençait doucement à perdre patience. Mélody, elle, suivait l'altercation dans un état second. Elle ne réagit pas à l'entente du nom de son amie. La vision qu'elle avait eue plus tôt la préoccupait. Elle ressemblait tant à un souvenir. Pas moyen pour elle de savoir quand cet événement s'était produit ou ce qu'elle avait fait avant ou après avoir vu Aelia au sol. Quoi qu'il se soit produit, elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi Aelia était la victime dans sa vision. Elle qui, maintenant, était la première soldate de Seth, le chien du roi, la cofondatrice de la résistance et une personne redoutable, il fallait l'avouer. Comme pour l'aiguiller, son esprit lui rappela une phrase qu'elle avait entendue dans une vision sans image.
« Je ne veux pas devenir comme eux. Je ne veux pas devenir un monstre, moi aussi. »
Mélody sentit alors son cœur se serrer. Aelia n'était pas une personne insensible comme elle le laissait croire. Elle avait déjà sacrifié énormément.
— Rappelle-moi juste une chose ! cria Derek, sortant Mélody de sa torpeur. Rappelle-moi lequel de nous deux à couché avec la reine et lequel a dû en payer le prix ?!
Mélody écarquilla les yeux. Elle ne savait absolument pas ce qui s'était passé exactement, mais les accusations de Derek étaient graves – et fausses. Pour les avoir vues plus d'une fois en vision, malgré l'interdiction de Regina, Mélody savait parfaitement que Daenerys n'avait jamais fait un seul geste déplacé envers sa reine. Il n'y avait eu qu'un baiser, une fois. La sharihay s'était d'ailleurs enfuie juste après. Regina avait voulu la suivre, mais avait été arrêtée par... L'adolescente porta une main à sa bouche, comprenant ce qui avait dû se passer. Les maths n'étaient pas difficiles pourtant.
— Là n'est pas le sujet ! se reprit Daenerys gardant un calme olympien face à cette situation plus que délicate pour elle.
La professeure lança un regard à son élève, puis se concentra à nouveau sur Derek.
— Vas-tu, oui ou non, entraîner Mélody ? insista Daenerys.
Le silence qui suivit était sans équivoque. Les iris marines de Derek fusillaient Daenerys. Il se détourna pour finir de ranger la plateforme. Daenerys l'insulta de nouveau dans cette autre langue et Mélody rougit tellement les propos étaient obscènes. Elle n'aurait su en donner une traduction en français. Elle se dit qu'elle devrait demander en quelle langue sa professeure parlait, mais dans quelques jours, lorsqu'elle serait calmée.
Daenerys tourna les talons, les poings si serrés qu'ils étaient blancs comme neige. Toutes les accusations de Derek avaient touché son unique faiblesse : Regina. Cette histoire de torture donnait des sueurs froides à l'adolescente et elle remercia le ciel que Sera ne soit plus présente pour la mettre dans le même pétrin que celui dans lequel elle avait enfoncé tant de personnes – volontairement ou non.
Mélody et sa professeure se trouvaient à nouveau à l'intérieur de l'Académie et marchaient en direction de la salle de classe de cette dernière, lorsque quelqu'un leur demanda d'attendre. L'adolescente fit volte-face et ne put empêcher un sourire rassuré. Aelia se dirigea vers eux d'un pas rapide, accompagnée de William. Le jeune homme paraissait à bout de souffle. Il posa un regard désapprobateur sur Aelia et s'excusa silencieusement auprès de Daenerys.
— Je peux le faire, moi. Je l'entraînerai !
Aelia regardait Daenerys droit dans les yeux, l'air déterminée. Elle ne paraissait plus trop malade – probablement grâce à une nouvelle injection d'érisices. L'aveugle semblait sérieuse. Daenerys hocha simplement la tête en signe d'approbation. Mélody ne savait pas si elle devait être soulagée que son entraîneuse soit Aelia et non Derek, ou inquiète que sa geôlière s'occupe de la former.
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