Mélody fut violemment projetée à un autre endroit, à une autre époque. Elle se trouvait dans une chambre qui lui était étrangement familière. Ce n'était pourtant ni la sienne, ni celle de Regina. Sur le lit à baldaquin face à elle, reposait quelqu'un. Intriguée, Mélody se rapprocha. La personne paraissait mal en point. Elle gémissait dans son sommeil, semblait se tordre de douleur. En arrivant à sa hauteur, l'adolescente reconnut Aelia.

Mélody recula, comme poussée par une force invisible. Elle se situait donc dans la chambre de cette petite aveugle insupportable ! Étrangement, l'odeur de chocolat suisse qu'elle avait pu sentir la dernière fois ne parfumait plus l'air. Aelia paraissait vraiment mal en point. Sa respiration irrégulière l'inquiéta. Elle devait probablement avoir atterri peu après qu'Aelia ait subi la magie de son roi.

Quelqu'un passa, sans s'en rendre compte, à travers l'adolescente, lui donnant des frissons. Chaque fois qu'une personne la traversait, Mélody avait l'impression qu'on lui cassait un œuf sur le crâne et que le liquide visqueux et froid descendait le long de sa nuque jusque dans son dos.

La nouvelle venue était une jeune femme d'environ leur âge. De longs cheveux noirs encadraient son visage pâle. Ses longues oreilles pointues ne laissaient aucun doute sur sa race. Quant à ses iris d'un vert émeraude vif, ils semblaient familiers à Mélody. Elle s'assit sur le bord du lit d'Aelia et posa délicatement une compresse humide sur son front probablement brûlant.

L'aveugle se réveilla en sursaut. Elle tenta de se relever, mais l'elfe l'en empêcha. Cette dernière la repoussa doucement par les épaules, la forçant à rester allongée. Aelia se débattit faiblement pendant un moment. Son souffle était saccadé. Elle tremblait comme une feuille et pleurait à chaudes larmes. Elle ne cessait de répéter le nom de l'adolescente.

— Chuut... murmura l'inconnue aux longues oreilles. Tout va bien. Elle va bien. Elle va bien, Lia. Mélody va bien, répéta-t-elle d'une voix aiguë.

Aelia se calma. Elle se laissa faire et accepta de rester allongée. L'elfe lui remit une compresse sur le front, l'autre étant tombée lorsqu'Aelia s'était levée. Mélody sentit des larmes lui brûler les yeux. Elle les retint. Même si personne ne pouvait la voir, elle ne voulait pas se laisser aller. Elle n'était peut-être pas la plus grande fan de sa geôlière au mauvais caractère, mais elle ne la détestait pas assez pour lui souhaiter autant de malheur.

— J'ai... échoué... murmura Aelia d'une voix rauque, avant d'être prise par une violente quinte de toux.

— Non, la contredit l'elfe. La résistance grandit. Le plan est en retard, certes, mais il n'a pas échoué. On se rapproche de la victoire. Ce n'est plus qu'une question de semaines, maintenant !

Aelia pleurait toujours. Elle ne semblait pas accorder d'importance aux mots de l'inconnue. Elle continua de répéter qu'elle avait échoué et d'appeler Mélody. Celle-ci sentit son cœur se serrer. Il n'y avait plus vraiment de doute possible, Iris avait raison. Aelia l'aimait. L'adolescente ne savait pas encore de quelle manière et à quel point, mais l'aveugle était clairement attachée à elle. Elle se rapprocha lentement, la main tendue vers son ace. Peut-être pourrait-elle lui montrer sa présence et la rassurer. Son geste n'eut malheureusement aucun effet.

— Tu dois concentrer toute ta présence et ta magie dans ton geste, si tu veux qu'il ait un effet, déclara une tierce personne.

Mélody se retourna, surprise. Regina se tenait face à elle, un sourire aux coins des lèvres. Elle portait la même tenue de combat que le jour où Seth était venu la chercher à Latsyrc. Une tunique noire aux motifs violets formant une rose et aux motifs rougeâtres plus abstraits, ainsi qu'un leggings ébène. Le tout, accompagné de hautes bottes violettes. Une kyrielle de dagues pendaient à la ceinture attachée à sa taille, ainsi qu'un fouet. L'adolescente frissonna en voyant celui-ci, se rappelant de la manière dont sa tante s'en était servie sur Noah. Les cheveux de la monarque étaient attachés en un chignon serré. Quelques mèches s'en échappaient tout de même. Son visage pâle comptait à présent une fine cicatrice au niveau de la joue. Elle était toute fraîche. Mélody remarqua ensuite avec horreur que ce qu'elle avait pris pour des motifs rouges étaient en réalité des taches de sang. L'une d'entre elle, au niveau de son abdomen, était bien trop grande que pour appartenir à un ennemi. Elle ne se souvenait pourtant pas avoir entendu que la reine avait été blessée au combat quelques semaines plus tôt...

— Oh ! lâcha Regina en suivant le regard de sa nièce. Ne t'en fais pas pour ça. Je pensais honnêtement que ça ferait plus mal, mais en fait, avec l'adrénaline, je n'ai presque rien senti !

— Comment...

Mélody n'arrivait pas à assimiler ce qui se passait.

— Nous avons une vision commune, comme quand tu avais six ans... ou quelques mois plus tôt, lorsque j'ai voulu te parler dans ton salon. La seule différence, c'est que je ne l'ai pas provoquée, cette fois, donc je me retrouve dans ta vision.

Regina lança un regard vers Aelia et l'elfe inconnue à ses côtés. Elle paraissait à la fois attristée et heureuse.

— Je ne savais pas qu'Aelia allait aussi mal, murmura-t-elle. J'avais entendu que la magie de Seth la blessait plus, comme pour Sera, mais je ne pensais pas que c'était à ce point. J'aurai aimé faire plus pour elle...

— Pourquoi... balbutia Mélody.

Elle n'arrivait que difficilement à croire ce qui se passait. Elle peinait à aligner deux mots. Regina sembla trouver sa réaction drôle. Elle pouffa. Son regard était empli d'affection. Ce n'était pas la première fois que Mélody le remarquait. Sa tante lui portait ce même regard attendri qu'Iris. Elle ne savait toujours pas comment réagir en sa présence. Entre ce que Seth lui avait fait, le secret entourant la naissance de Sera et la relation quelque peu ambiguë qu'elle entretenait avec Daenerys...

Étrangement, la reine paraissait très heureuse. Comme si elle était enfin libre de ses chaînes.

— Et si nous laissions ces deux jeunes filles en paix et allions discuter autre part ? proposa Regina. Je répondrai à toutes tes questions, promit-elle.

Mélody accepta d'un signe de tête. Sa tante ouvrit la porte de la chambre d'Aelia et une lumière éblouissante empêcha l'adolescente de voir quoi que ce soit. Lorsqu'elle put ouvrir les yeux, elle se trouvait dans la chambre de Regina. Un peu désorientée, Mélody tourna sur elle-même à la recherche d'une explication. Elle lança des regards suspicieux partout.

— Qu'est-ce que... comment... où... articula-t-elle difficilement.

— C'est vraiment dommage... Je n'aurai pas le temps de tout t'apprendre, déclara Regina. Tant d'années perdues parmi les humains ! Un tel gâchis de pouvoir, marmonna-t-elle avant de reprendre plus sérieusement. J'ai repris le contrôle. Oramata est un pouvoir, il est donc malléable ! Actuellement, aucune de nous deux n'est son maître. Tu es trop jeune ici : la moi de ton présent le contrôle. Et dans mon présent, tu as atteint tes seize ans...

Alors qu'elle s'éternisait dans ses explications, Mélody remarqua que sa tante disparaissait. Elle devenait de plus en plus transparente. Pour l'instant, elle avait la même opacité qu'Azylis, mais au début, elle était tout à fait normale.

— Oh ! Déjà ? s'étonna Regina en constatant la même chose que sa nièce. Finalement, je n'aurai pas l'occasion de répondre à toutes tes questions.

— De quoi...

— Avant que je ne te dise quoi que ce soit, j'ai besoin que tu me promettes quelque chose ! la coupa la monarque avec entrain. Promets-moi que tu ne diras rien à Dae. Elle ne peut rien savoir... Je ne veux pas qu'elle m'en veuille, pas alors qu'il ne me reste plus beaucoup de temps dans ton présent !

Mélody avait peur de comprendre la signification des propos de sa tante, mais acquiesça tout de même.

— Tout va bien se passer, ne t'en fais pas, murmura Regina en se rapprochant de sa nièce.

Elle caressa tendrement sa joue, le sourire aux lèvres. Mélody sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle ne put les cacher. Pourquoi se sentait-elle si affectée par la future mort de sa tante ? Regina était à l'origine de tous ses cauchemars, pourtant. Elle avait failli tuer son père adoptif ! Alors pourquoi son cœur se serrait-il à l'idée que l'ange de la mort passe pour sa tante ? Cette dernière la prit dans ses bras et la serra tout contre son cœur.

— Tu vas me manquer, railla l'adulte avec une pointe de tristesse dans la voix.

— Qui...

— Seth et sa magie. Après toutes ces années, il a finalement réussi à me tuer. Dae n'avait fait que le retarder, jusqu'à aujourd'hui. Mais ne sois pas triste ! Je ne le suis pas. Je suis libre, maintenant, se réjouit-elle.

Mélody observait sa tante, le regard vitreux. Ses sentiments étaient totalement confus. Elle se sentait triste de perdre Regina, mais aussi heureuse qu'elle soit libre. Elle redoutait une vie où sa tante ne serait plus là pour tempérer Seth, mais le sourire de celle-ci suffisait à l'apaiser. Regina disparaissait de plus en plus. Ne sachant comment réagir, l'adolescente resserra son étreinte.

— Ne t'en fais pas, ma chérie, murmura la monarque en caressant ses cheveux, tu me retrouveras à ton réveil.

Mélody s'écarta quelque peu. Elle avait été surprise par le nom affectueux. Jamais Regina ne l'avait encore appelée ainsi. Peut-être cela voulait-il dire qu'elles allaient se rapprocher dans le futur. Elle offrit son plus grand sourire à sa tante, le visage baigné de larmes. Regina avait raison. Dans son présent, sa tante vivait toujours.

Juste avant de disparaître pour de bon, Regina murmura sa dernière requête à l'oreille de l'adolescente. Cette dernière accepta d'un hochement de tête. Elle observa la reine partir dans le néant.

Mélody se réveilla rapidement de cette vision maussade avec une conviction, plus forte que jamais : elle allait sauver Regina !