Chapitre X - Retour à la tour

L'adolescente sentit son cœur accélérer et une joie encore plus intense que précédemment l'envahir, mais elle ne savait pas comment réagir. La dernière fois qu'elles avaient eu une vraie conversation, Noah l'avait en quelque sorte rejetée. Ensuite, elle s'était fait tuée par son propre frère. Mélody commença à jouer avec ses cheveux. Elle lança un sourire gêné à son amie, essayant tant bien que mal de savoir ce qu'elle pensait. Contrairement à Iris, Noah n'était absolument pas un livre ouvert ! Elle n'avait pas la moindre idée de comment interpréter son sourire.

Finalement, Mélody opta pour une étreinte. Elles n'étaient peut-être pas ensemble et Noah ne voulait peut-être pas d'elle, mais elles restaient amies ! Mélody fut plus que surprise lorsque son amie l'embrassa. Leurs lèvres se retrouvèrent à nouveau, malgré ce que l'oblivienne lui avait dit à propos du sort. L'adolescente aurait dû être ravie. Elle aurait dû se réjouir que Noah partage ses sentiments. Des papillons auraient dû prendre leur envol dans son bas-ventre, comme la dernière fois. Elle aurait dû se sentir entière et comblée. Cette démonstration publique la gêna et le contact physique qu'elle avait initié dérangea Mélody. Elle sentit des frissons remonter désagréablement le long de son échine. Comme un flash, elle se revit sur le bureau de Seth alors qu'il remontait le long de sa cuisse.

Effrayée, elle recula. Personne ne sembla remarquer son mouvement un peu brusque, mis à part son amie qui fronça les sourcils, étonnée. Mélody détourna le regard, ressentant la honte qu'elle ressentait chaque fois qu'elle repensait à ce que Seth avait failli lui faire.

Elle ne ressentait plus la même chose qu'avant. Elle sentait la différence entre avant et maintenant. Quelques semaines plus tôt, lorsque Willy l'avait agressée, elle s'était sentie en sécurité dans les bras de Noah. Maintenant, elle voulait juste s'éloigner.

Quelqu'un se racla la gorge. Noah s'éloigna encore plus de Mélody en une fraction de seconde, l'air faussement gênée, un sourire malicieux aux lèvres. La semi-elfe eut le pressentiment que ce baiser n'était de toute façon pas réel mais visait plutôt à mettre en garde Aelia.

— On ne devrait pas tarder, marmonna Aelia.

— Déjà ? vérifia tristement Iris. Vous venez d'arriver...

— Miss Aplistia a sûrement un autre ace à empoisonner pour prendre sa place, ne lui en tenez pas rigueur ! attaqua Noah.

Mélody ne comprenait pas. Elle ne se souvenait pas avoir jamais vu Noah agir ainsi auparavant. Sans savoir pourquoi, elle avait juste envie de prendre la défense d'Aelia – ce qu'elle ne fit pas, bien évidemment ! Pas parce qu'elle tenait à l'aveugle qui lui collait aux basques du soir au matin, mais parce qu'elle trouvait l'attitude de Noah odieuse.

— Je ne t'ai jamais empoisonnée, se défendit Aelia, piquée à vif. Je t'ai juste donné un petit calmant pour rendre ton jeu moins bon et me faire une place auprès de Seth ! Sans moi, ta copine serait déjà morte, d'ailleurs.

— C'est ça, oui ! Et Mélody n'est pas ma copine, tout comme elle n'est pas incapable de se débrouiller seule, asséna Noah furieuse.

— Ah non ? Je ne savais pas que toi aussi, tu aimais bien t'entraîner à embrasser en utilisant Mélody, la nargua Aelia, vicieuse. Mais apparemment, elle n'a pas trop aimé quand c'était toi... Dis-moi, laquelle des deux cousines embrasse le mieux ?

Noah sortit une dague de sa poche, ivre de rage. Aelia avait touché juste. Elle savait exactement que dire pour la blesser, au contraire de l'oblivienne qui ne connaissait pas assez son ennemie. Iris les regardait toutes les deux, surprise. Elle semblait hésiter entre l'indignation et l'hilarité. Mélody, elle, ne savait plus quoi penser. L'attitude de Noah la décevait, ses paroles lui faisaient mal. Pas autant qu'elle ne l'aurait imaginé, mais ce n'était pas agréable à entendre. Aelia restait fidèle à elle-même : elle utilisait son sarcasme pour abattre sa victime.

— Tu peux la ranger, princesse, ça ne t'aidera en rien ici ! continua Aelia.

— Dis-moi, à quel point Adriel a-t-il honte de t'appeler sa sœur, maintenant ? l'invectiva Noah, tentant de lancer une pique à son tour. Je parie que, même quand il saura pour la résistance, il continuera de te détester.

— Au moins, ce n'est pas moi qu'on a essayé d'abandonner sur Oblivion parce que je ne savais pas me séparer d'une folle meurtrière ! répliqua Aelia, jamais à court de réplique cinglante.

Noah allait l'insulter, quand Iris intervint. Elle paraissait excédée par tant d'enfantillage. Elle ordonna à Noah de partir, puis se tourna vers Aelia pour lui lancer un regard noir. Elle enlaça une dernière fois sa fille – qui ne savait plus où elle en était – puis coupa la communication.

Mélody se retrouva à nouveau dans la tour de Lirn, dans cette pièce éclairée par seulement une chandelle. Elle essaya de reprendre ses esprits, mais ce qui venait de se passer l'avait totalement retournée. Elle n'arrivait pas à se remettre de ce baiser, ni des mots tranchants de Noah. Elle ne savait e qu'elle était pour l'oblivienne. Après que leurs lèvres soient à nouveau entrées en contact, elle aurait pourtant cru qu'il y avait quelque chose entre elles – malgré qu'elle n'ait pas apprécié cette proximité. Son attitude avait été détestable, et ce n'était qu'un bel euphémisme si on prenait en compte sa manière d'agir à l'égard d'Aelia également. Depuis quand Noah était-elle comme cela ?

Lorsqu'elle leva la tête, Mélody était seule. Aelia avait quitté les lieux. L'adolescente paniqua. Elle ne savait ni comment sortir, ni comment retrouver son chemin ! Elle ne réfléchit pas longtemps avant de se mettre à courir dans les couloirs de la tour, espérant rattraper l'ace. Elle finit par retrouver la sortie. Le soleil se couchait. La journée était déjà terminée et Mélody avait l'impression de n'avoir rien fait ! Son ventre se manifesta pour montrer qu'il était temps de dîner ! L'adolescente haussa les épaules. Elle aurait bien voulu, mais ne connaissait pas le chemin de la tour R et personne ne semblait pouvoir la renseigner, par ici. Aelia avait complètement disparu.

Seriez-vous perdue, Votre Altesse ? ricana une voix dans sa tête.

Avant de se faire de faux espoirs, Mélody vérifia à qui appartenait cette voix. Elle fit volte-face, pour découvrir le museau de son interlocutrice. Elle vit, devant elle, un gigantesque loup au pelage d'un blanc immaculé aux iris bleu céleste. Elle sourit, heureuse. Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait plus vu la nocturnale ! L'adolescente se précipita au cou de la louve pour lui faire un câlin.

Je présume que tu ne m'en veux pas de t'avoir fait tomber la dernière fois... dit Talia, d'une toute petite voix, indiquant ses remords.

Mélody lui affirma avec vigueur qu'elle se fourvoyait complètement. Jamais elle n'avait même pensé à lui en vouloir ! Oramata lui avait déjà causé des blessures bien pires. Seul ce fichu don était responsable de sa chute, ce jour-là. Talia parut rassurée, elle le vit dans ses yeux et dans sa posture plus détendue.

Vint alors la question de pourquoi elle se trouvait à Lirn. Fatiguée de toujours devoir cacher une part de la vérité, l'adolescente déballa tout ce qu'elle avait vécu et appris ces derniers jours. Elle parla de sa vision où Sera demandait Noah en mariage et à quel point cela l'avait affecté, puis le sentiment totalement contradictoire qu'elle avait ressenti aujourd'hui en la voyant. Elle lui expliqua à quel point sa mère adoptive lui manquait, à quel point sa mère biologique l'avait déçue. Elle osa aussi survoler le sujet de la relation qu'entretenaient Daenerys et Regina. Ce que Seth lui avait fait ainsi qu'à sa propre femme, et cætera. Talia écouta attentivement. Elle se coucha sur le sol, à côté de Mélody qui avait trouvé un rocher seyant à son fessier. L'adolescente pouvait le voir, Talia ne portait aucun jugement sur ses paroles. Elle se contentait d'assimiler tout.

Le monologue de la semi-elfe finit par basculer vers Aelia et sa tendance à embrouiller Mélody. Aelia lui avait sauvé la vie, à son arrivée. Elle se montrait toujours irritable et presque même méchante, mais ses intentions étaient bonnes – pour la plupart. Elle lui avait fait des pancakes – ce qui n'était tout de même pas rien – elle l'avait embrassée, elle s'était débrouillée pour que Mélody puisse voir sa mère le jour de sa fête... Apparemment, Mélody l'avait connue, plus jeune. Elles avaient été amies.

— Tu connais bien Aelia ? s'enquit Mélody. Vous faites toutes deux partie de la résistance, non ?

« Bien » est un grand mot, railla Talia. Disons que cela fait trois ans que je la côtoie, mais elle n'aime pas vraiment exposer ses sentiments, ni parler d'elle, en y repensant. Elle ne fait confiance à personne ici, mis à part le commandant et Luna.

— A-t-elle déjà parlé de moi ?

Je n'ai jamais entendu ton nom sortir de sa bouche, mais elle disait souvent aux quelques suspicieux qu'elle agissait pour protéger une amie qui ne devrait pas tarder à arriver. Au vu de ce que tu m'as raconté, j'imagine qu'elle parlait de toi. Tu ne te souviens vraiment de rien ?

Mélody fit la moue. Peut-être qu'elle pourrait essayer de forcer ses visions, après tout. Néanmoins, une partie d'elle préférait ne pas savoir. Et si Aelia était partie en lui effaçant la mémoire parce qu'elle en avait assez ? Et si elle avait décidé de l'abandonner ? L'adolescente n'avait pas envie de sentir ce vide dans son cœur se creuser encore plus. Elle ne voulait pas se blesser, pas alors qu'elle vivait presque avec Aelia.

Le grondement du tonnerre retentit. Mélody sursauta. Contrairement à certaines personnes, sa peur des orages ne l'avait pas quitté en même temps que sa douce enfance. Elle eut d'autant plus peur lorsqu'elle vit Talia se redresser, aux aguets. La nocturnale jura dans son esprit.

Monte ! ordonna Talia. Lirn est souvent touché par la foudre, il faut nous éloigner au plus vite.

Mélody obtempéra sans réfléchir et grimpa sur le dos de son amie. Celle-ci se mit à courir à travers la plaine desséchée et contaminée par la mort. Au début, l'adolescente s'accrocha fort au pelage de la louve, apeurée. Jamais elle n'avait été aussi rapidement et cela l'effrayait légèrement. Au fur et à mesure, elle lâcha prise, profitant du vent frais sur son visage, oubliant peu à peu qu'elles fuyaient l'orage. Mélody comprenait tout à fait pourquoi Azylis aimait cette sensation libératrice.

Talia ne prit pas longtemps pour sortir de la plaine entourant Lirn. Elle ralentit le pas, pour reprendre son souffle. Le tonnerre retentit encore une fois. Un éclair apparut quelques secondes plus tard, au loin. La pluie, elle, ne vint pas. Des nuages grisâtres recouvraient le ciel, cachant le beau soleil qu'elle avait aperçu ce matin, mais pas une goutte ne s'en échappait. La couleur de la voûte céleste lui rappela les iris sombres de Luna, l'autre nocturnale. Cette dernière lui avait expliqué qu'elle avait choisi de vivre sous sa forme lupine que sa forme dryadalis. Elle lui avait aussi dit que si elle n'avait pas choisi, elle serait morte, mais que Talia refusait de n'être qu'un animal ou qu'une oblivienne – ou quoi qu'elle soit d'autre sous sa forme originelle.

— Pourquoi tu ne choisis pas ? demanda Mélody, se rendant compte par après que, sans son contexte, sa phrase ne voulait pas dire grand-chose. Entre le loup et ce que tu es sans cette fourrure, ajouta-t-elle.

Sans cette fourrure, je ne suis pas assez forte. Je ne suis pas comme Luna, Mélody, expliqua Talia à mi-voix, j'ai choisi de m'infecter avec du venin d'animilier. Consciemment. Grâce à ma particularité, je suis la meilleure carte de la résistance. Et puis, maintenant que j'ai goûté à la vie sauvage, je doute pouvoir vivre sans, mais si je fais le choix de rester ainsi, je finirai par perdre le peu d'humanité que j'ai et Dieu sait que ce serait dangereux ! Autant pour moi que pour le monde qui m'entoure.

Mélody ne savait pas quoi répondre à cette révélation. Talia venait de se livrer à elle, mais elle ne savait comment réagir. Elle se sentit attristée par la situation de son amie.

Seul un petit détail l'ennuyait. Elle avait l'impression d'avoir déjà entendu ces mots quelque part. Ces phrases lui semblaient familières. Pourquoi ?

Mélody se retrouva dans le noir complet. Sûrement une vision. Néanmoins, cette fois, les images ne semblaient pas vouloir venir. Le grand écran était cassé, mais apparemment pas le baffle ! Elle s'entendit elle-même, mais à une autre époque.

Pourquoi tu ne te défends pas ? s'enquit la Mélody d'un autre temps.

Je ne veux pas devenir comme eux, murmura une personne à la voix similaire à celle d'Aelia. Je ne veux pas devenir un monstre, moi aussi.

Mélody s'endormit.

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