Chapitre V - La grâce d'un éléphant handicappé
Mélody courait à en perdre haleine à travers les couloirs de l'Académie. Il avait fallu qu'après la pause de mesiméri, Mélody arrive essoufflée dans la classe de Daenerys pour se rendre compte au vu de son air mécontent qu'elle avait cours autre part avec une nouvelle professeure. Une certaine Celicia. Si elle se souvenait bien de ce qu'Adriel avait dit lorsqu'elle était arrivée sur cette île, cette Celicia était sa mère. Avec un peu de chance, elle serait aussi gentille que son fils.
Mélody finit par arriver à destination. La classe de Celicia se trouvait au cinquième étage, dans l'aile est – à l'opposé total de celle de Daenerys, dans tous les sens du terme. Essoufflée, l'adolescente prit une minute pour se reprendre, avant de frapper quelques coups aux doubles portes massives qui lui faisaient face. Une grande dame très mince et à l'air encore plus strict que Daenerys vint lui ouvrir. Au vu de son expression fâchée, elle ne comptait pas se montrer plus indulgente parce que l'adolescente était l'amie de son fils.
— Vous êtes en retard ! Très en retard, Miss Basilias ! lui reprocha Celicia avec un regard mauvais.
Elle devait faire approximativement deux têtes de plus que Mélody. Elle avait la peau sur les os, ses joues étaient creuses et ses doigts longs et très fins. Elle portait des vêtements noirs, contrastant énormément avec son teint laiteux. Son tailleur-jupe était parfaitement repassé. Pas un pli, ni aucune tâche ne venait souiller ce chef d'œuvre. Elle portait des talons aiguilles ébène. Ses courts cheveux blancs avaient été tirés en arrière et attachés en un chignon serré par une baguette chinoise noire. Clairement, la vie ne devait pas lui sourire pour qu'elle ne s'habille que de cette couleur. Ses yeux en amande d'un joli vert pâle avaient été soulignés par un peu de maquillage.
— Excusez-moi, la pria Mélody. Je me suis trompée de classe en arrivant...
— Vous ai-je demandé de me répondre ? attaqua Celicia, de sa voix étonnamment grave pour une femme.
— Non, mais je...
— Il n'y a pas de mais qui tienne ! la rabroua la professeure. Où, Malefic, avez-vous été éduquée ? Je n'ai jamais, de toute ma carrière, vu un tel torchon sur le pas de ma salle de classe ! Vous vous tenez comme une bossue, parlez comme une paysanne d'Esia et avez la grâce d'un éléphant handicapé. Vos vêtements sont chiffonnés et sale, et votre coiffure ne ressemble à rien de plus qu'un gros nœud !
Mélody regardait Celicia, tétanisée. Elle ne savait que dire. Elle avait pourtant l'habitude de se faire rabaisser par les autres, mais jamais les paroles de ses persécuteurs n'avaient sonné si juste. Le regard froid de l'adulte semblait la transpercer de part en part.
La professeure finit par la laisser entrer dans sa classe, l'air désespérée, marmonnant qu'elle avait un long chemin à faire. Mélody n'osa piper mot, de peur d'être disputée une nouvelle fois. Un froid intense se dégageait de Celicia. Cette même aura glaçante que Willy avait. Elle retrouva William dans ce qui semblait être une immense salle de bal. Elle le salua d'un signe timide de la main. Il ne lui répondit pas. Il se tenait droit comme un piquet et portait toujours ses lunettes aux verres teintés.
— Bien, William, trouvez de quoi vous occuper pour aujourd'hui ! déclara Celicia. Je vais voir ce que je peux faire de ça, ajouta-t-elle avec dégoût.
Mélody lui rendit sa grimace lorsque Celicia se détourna pour aller à son bureau, de manière à ce que cette dernière ne la voie pas. William esquissa un petit sourire amusé, avant de disparaître une nouvelle fois.
— Monsieur Rhan ! s'agaça Celicia sans raison apparente. J'ai dit : trouvez de quoi vous occuper, pas miniaturisez-vous pour partir incognito et ne revenir que deux minutes avant la fin du cours ! De plus, vous savez très bien que...
Celicia se mit à éternuer, s'interrompant une demi-seconde, avant de hurler de plus belle dans le vide sur un William invisible.
— Reprenez immédiatement votre forme et rangez-moi ces ailes ou je vous les coupe !
La situation aurait été vraiment hilarante, si Celicia ne paraissait pas aussi terrifiante. Elle ne cessait d'éternuer, l'air furieuse. Mélody ne voyait pas de quelles ailes sa nouvelle professeure parlait. William n'en possédait pourtant pas, qu'elle sache ! Elle n'avait jamais vu de plumes dans son dos et il ne ressemblait en rien aux dryadalis ou aux astroriens qu'elle avait déjà rencontrés. Il n'avait ni ce côté chaleureux et rassurant qu'Elya avait, ni cette aura froide que la conseillère Violette dégageait.
Le seul peuple volant qui restait et qu'elle n'avait pas encore réellement rencontré était celui des fées ! William ne ressemblait pourtant pas à Clochette. Les fées dans les livres pour enfants semblaient bien plus enchanteresses que lui. À moins qu'il ne soit comme Daenerys : en partie fée. Les ailes seraient donc la seule partie qu'il ait en commun avec cette espèce. Enfin, cela expliquerait la réaction excessive de Celicia.
La température chutait drastiquement. Mélody commençait à grelotter. William finit par apparaître à l'autre bout de la pièce, les mains en l'air en signe de reddition, un sourire mesquin aux coins des lèvres. Il l'avait fait exprès. Il paraissait fier de lui. Le froid se faisait de plus en plus intense, comme le jour où Aelia avait gelé l'ancienne chambre de Sera pour détruire toutes les particules de cannelle. Pourtant, Celicia et Aelia n'étaient pas liées par le sang, bien qu'elles fussent en quelque sorte de la même famille. Elles avaient les mêmes dons magiques, apparemment.
— Dame Aplistia, si vous n'arrêtez pas votre sort de krionephiri, je crois que Mélody ne survivra pas, déclara William, l'air à la fois inquiet et taquin.
Comme pour illustrer ses propos, les jambes de Mélody la lâchèrent et elle tomba sur le sol, tremblant comme une feuille. Elle se frictionna les bras dans l'espoir de se réchauffer. Le froid polaire présent dans la pièce se faisait de plus en plus dense. Ses dents s'entrechoquaient sur un rythme irrégulier. Ses paupières devenaient de plus en plus lourdes. L'adolescente eut beau résister, elle était trop faible. La température ne cessait de chuter. Elle ne sentait plus ses extrémités et peinait à ne pas succomber.
Alors que Mélody n'était plus qu'à demi-consciente, elle sentit la température se réchauffer légèrement. Plusieurs éclats de voix l'interpellèrent. Elle ne comprit que quelques bribes. Celicia hurla de douleur. Une personne inconnue cria après Aelia. William s'inquiétait. D'autres personnes entrèrent dans la pièce. Elles arrivaient trop tard. L'adolescente laissa les ténèbres l'envelopper, exténuée. Celles-ci paraissaient plus accueillantes et chaudes que l'endroit qu'elle venait de quitter.
Mélody se trouvait à nouveau dans un long couloir. Le même que celui de sa vision de la porte rouge. Les murs en pierre grise semblaient s'effriter sous ses doigts. Le sol était fait d'un vieux plancher en bois, craquant sous chacun de ses pas. Il y faisait sombre. Un courant d'air frais la fit frissonner. Pas un bruit ne parvenait jusqu'à ses oreilles. Un silence de mort régnait dans ce hall lugubre.
Elle se mit à courir. La dernière fois, elle avait pris trop longtemps à réagir et n'avait rien su voir. Cette fois, elle devait se dépêcher. Elle finit par arriver devant une grande porte en bois rouge aux imposantes charnières noires légèrement rouillées. Celle-ci avait toujours cette même touche de mystère que lors de sa dernière vision.
Mélody n'hésita pas, cette fois. Elle entra directement. Elle devait savoir. Tous ses sens étaient en alerte. La jeune fille sentait que la pièce était importante. Son instinct le lui affirmait.
Un immense loup blanc jahit de la salle vide. L'adolescente eut un mouvement de recul, effrayée. Alors que l'animal fonçait sur elle, il se transforma. Ses poils blancs se fondirent dans une chevelure neige. Ses iris célestes gelèrent. Son museau devint une bouches aux lèvres rosées qu'elle posa sur celles de Mélody. Cette dernière écarquilla les yeux. Jamais ses visions ne lui avaient montré une chose pareille !
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