Chapitre II - Académia

Mélody sentit ses joues chauffer en voyant Aelia. Le souvenir encore frais de leur baiser lui revint en mémoire, en même temps que cet arrière-goût de chocolat. Adriel la poussa gentiment en avant, pour lui signaler qu'il fallait avancer un peu.

— Vous en avez pris, du temps ! rouspéta Aelia. On m'avait pourtant informée que vous arriveriez à vingt-quatre heures tapantes. Il est presque vingt-cinq heures !

— Il a d'abord fallu que nous nous arrêtions à Centrale, pour l'identification, expliqua Adriel en allant embrasser sa sœur. Mélody n'avait pas encore d'identifiant, donc les démarches ont pris plus de temps que prévu. En plus, on est tombé sur un escargot !

Aelia opina, signe qu'elle leur pardonnait ce léger contre-temps. Sans un regard pour Mélody, elle alla saluer Ali d'un chaste baiser. Ce dernier parut affreusement gêné lorsqu'elle posa ses lèvres contre les siennes sous le regard désapprobateur d'Adriel.

Tous se suivirent ensuite dans la tour, Aelia menant la marche. Mélody la suivait de près, mais n'osa pas parler. Pourquoi se sentait-elle si embarrassée, alors qu'il n'y avait rien entre elle et l'aveugle ? Qu'est-ce que cela voulait dire ? À la traîne, marchaient Ali et Adriel. Mélody entendit distraitement des bribes de leur discussion aux apparences assez tendues.

— Devant moi ? s'indigna Adriel.

Mélody prêta une oreille attentive à leur discussion, intriguée. Que dirait Adriel s'il apprenait qu'Aelia l'avait embrassée la veille ?

— Oh, je t'en prie, Adri. On est encore assez grand que pour faire ce qu'on veut, rouspéta Ali.

— Tu m'as dit toi-même que tu ne l'aimais pas !

— Et après ? renchérit le brun. Si on a juste envie de prendre du bon temps ensemble pour oublier nos vies merdiques ?

Adriel se stoppa net. Mélody s'arrêta aussi, pour regarder les deux jeunes hommes. Si les regards pouvaient tuer, Adriel aurait assassiné Ali depuis belle lurette. La tension ne cessait d'augmenter.

— Bon, les gamins, j'ai déjà assez perdu de temps comme ceci pour que vous en rajoutiez ! Adriel, je fais encore ce que je veux, je suis majeure. Si tu veux tout savoir, Ali n'est pas mon seul passe temps. J'ai même embrassé Mélody l'autre jour, asséna-t-elle nonchalamment.

Mélody vira au cramoisi en l'espace d'une demi-seconde. Le regard surpris d'Adriel se posa sur elle, puis sur sa sœur. L'adolescente aurait tellement voulu être capable de disparaître ! Malheureusement, ce pouvoir ne faisait pas partie des siens.

— Mais, elle est encore un peu trop jeune pour moi et risque de se marier sous peu, continua Aelia. Maintenant, soit vous avancez sans un mot, soit vous sortez et je conduis la princesse à sa chambre sans vous. Je doute que votre présence soit essentielle.

— Tu... que... quoi ? bégaya Adriel, abasourdi.

— Oh, je t'en prie, Adriel ! J'ai vingt-et-un ans, mes déboires ne te regardent pas. J'ai encore ma mère pour ça et notre père quand il est d'humeur à se rappeler qu'il a des enfants.

Sur ce, Aelia se remit en marche. Mélody la suivit, embarrassée. Rien de tout cela ne la regardait. Et la partie à son propos n'aurait vraiment pas dû être dévoilée. Ce baiser n'avait rien de... Il n'était rien. Pour elle, en tout cas. Aelia l'avait juste aidée à calmer son chagrin, c'était tout. Ali et Adriel continuèrent de les suivre, en silence.

Ils montèrent plusieurs étages. Les escaliers semblaient infinis et Mélody commençait à désespérer d'enfin arriver à son étage. L'intérieur de la tour était plutôt sobre. Les murs étaient d'un blanc immaculé, ornés de dorures par endroits. Ils finirent par arriver au bon étage, pour le plus grand plaisir de Mélody. Aelia emprunta encore quelques couloirs, puis s'arrêta pour de bon. L'adolescente s'appuya contre le mur, essoufflée. Personne ne fit de commentaire sur son état, bien trop choqué par la discussion qui avait eu lieu en bas.

— Bien, voici ta chambre. Même si tu arrives en fin d'année seulement, vu que Seth se sentait d'humeur généreuse envers toi, tu n'auras pas de colocatrice, déclara Aelia.

Mélody acquiesça, toujours à bout de souffle.

— Voici un plan de l'académie et ton horaire, expliqua Aelia en lui tendant une carte jaunie par le temps et une grille horaire similaire à celle que l'on recevait en début d'année à l'école des humains. Demain matin, tu commences avec Daenerys. Ne sois pas en retard, elle déteste cela. Par après, tu auras droit à quelques séances avec Celicia... continua-t-elle avant d'être coupée par Adriel.

— Maman travaille encore ici ? s'étonna Adriel. Je pensais qu'elle avait déjà presté ses vingt ans et pouvait s'en aller.

Mélody prit un moment avant de percuter. La mère d'Adriel travaillait ici. Par élimination, elle savait qu'il s'agissait de cette Celicia. Quel nom étrange. Elle avait déjà rencontré des Cécilia, mais jamais de Celicia. Enfin, c'était un monde où les licornes existaient, donc plus rien ne semblait si étonnant.

— Encore trois. Elle doit encore rester avec les petits morveux trois ans, pour son plus grand désarroi. En plus, il y a de plus en plus de fées ici, et Dieu sait comme elle est allergique à la poudre qu'émettent leurs ailes. On l'entend souvent crier à travers toutes l'Académie !

— Malefic ! Arrête de jurer par le dieu humain, il n'est pas réel Lia, la reprit Ali.

— Oh, parce que les vôtres le sont ? s'insurgea Aelia. Je t'en prie, cette histoire de Chaos et de Magie est totalement idiote. On croirait entendre les Grecs ou les Romains parler de leurs anciennes croyances. Zeus, Pluton, Gaïa, Malefic, Gi... Ce sont des contes de fée, voilà tout !

L'air offusqué d'Ali et d'Adriel fit ricaner Aelia. Mélody les regarda, hésitante. Iris lui avait parlé des croyances ednomienne, mais elle ne savait pas trop si elle devait y croire. Sur Terre, elle était athée. Ici, elle ne savait pas. Sa mère avait vaguement survolé le thème, mais ne l'avait obligée à rien. Clairement, la religion était une part importante de la vie de tous, sur Ednom, et il semblait n'y en avoir qu'une. Parmi les humains, il y en avait plusieurs : religion catholique, islamique, protestante... Elles avaient d'ailleurs causé des guerres, au fil du temps. Des croisades. Chacun voulait imposer sa religion aux autres – ou supprimer ceux qui avaient d'autres croyances. Au moins, cette religion universelle donnait des raisons de guerre en moins à cet univers !

*

Aelia, son frère et Ali finirent par laisser Mélody s'installer, écourtant leur interminable débat sur la religion et les superstitions. L'adolescente les salua une dernière fois, heureuse de finalement pouvoir souffler. Elle visita rapidement son appartement. Celui-ci était composé d'une salle de douche, d'une chambre et d'une cuisine ouverte sur un salon-bureau. Rien de bien exceptionnel, mais assez chaleureux. Elle se sentit rapidement chez elle. Fatiguée, Mélody décida qu'il était temps pour elle d'aller dormir.

Elle n'eut pas le temps de gagner sa chambre, que Mélody plongea à nouveau dans le monde des visions. Cela ne l'intéressait pas, elle voulait juste aller dormir. Elle tenta de repousser la vision et y arriva, jusqu'à ce qu'elle aperçoive la bibliothèque d'Oblivion. À chaque fois qu'elle y avait atterri, pour l'instant en tout cas, sa vision tournait autour d'un événement lié à Regina et cela l'intéressait. La vision se fit alors plus claire, laissant Mélody observer la scène.

Regina était assise sur le grand fauteuil, près de la fenêtre, les jambes également allongées dessus. Il faisait nuit, si Mélody en croyait la pleine lune qui éclairait mal le ciel couvert de nuages gris. Un livre d'une taille plus que raisonnable reposait sur elle. L'adolescente remarqua alors que la souveraine semblait endormie. Sa tête était appuyée contre le dossier du siège et ses yeux étaient clos. À moins qu'il ne s'agisse d'une simple vision ! De fines traces grisâtres le long de ses joues marquaient le passage de quelques larmes.

Des bruits de talons hauts claquant sur le sol résonnèrent dans la bibliothèque à l'apparence vide. Lorsque la personne arriva au niveau de Mélody, cette dernière put l'observer pour voir de qui il s'agissait. Daenerys. Elle se tenait toujours droite, gardant la tête haute. Ses vêtements étaient impeccables, pas un grain de poussière, pas une tâche, ni même un pli de travers dans son tailleur jupe ne venait contester cette allure royale que Daenerys avait. La future professeure de Mélody paraissait inquiète. Elle s'assit sur le bord du fauteuil, près de la reine. Elle la réveilla avec douceur, murmurant son nom, tout en glissant sa main dans la sienne, entremêlant leurs doigts. Malgré tout, Regina se réveilla en sursaut. Elle eut un mouvement de recul, avant de s'apercevoir qu'il ne s'agissait que de sa sharihay.

Tout va bien, ce n'est que moi, la rassura Daenerys, l'air triste.

Regina détourna rapidement les yeux, sous le regard inquiet de Daenerys. Elle paraissait malade et morte de fatigue.

Comment s'est passé ton rendez-vous chez la shaman ? s'enquit timidement Daenerys en empêchant Regina de retirer ses mains des siennes.

La reine ne répondit pas, mais les larmes qui coulaient le long de ses joues en disaient long. Mélody se demandait pourquoi Regina avait été chez un docteur magique. Sa sharihay était une métamorphis après tout. Effectuer le déplacement alors que son amie pouvait juste l'ausculter était idiot. À moins que ce ne soit plus grave.

Reg'... murmura Daenerys.

Aucune, souffla la reine. C'est ce qu'elle m'a répondu. Je n'ai aucune chance de devenir mère un jour, sanglota-t-elle.

Mélody porta une main à sa bouche, sous le choc de la révélation. Daenerys posa son front contre celui de son amie, dans un geste se voulant apaisant.

Est-ce que Seth... commença-t-elle d'une toute petite voix.

Il ne rentre que demain, pleura Regina. Il va... il va...

La reine n'arrivait plus à aligner deux mots. Elle tremblait comme une feuille, alors que des torrents de larmes dévalaient ses joues d'une pâleur inquiétante. Daenerys la pria de se calmer, la berçant doucement. Mélody recula de quelques pas, horrifiée. Si Seth se montrait aussi attentionné avec sa femme qu'il l'avait été avec sa nièce, nul doute qu'il l'obligeait à exécuter son devoir conjugal jusqu'à la naissance de leur héritier.

Plus elle apprenait à la connaitre, plus Mélody se rendait compte que Regina n'avait rien d'un monstre. Sa tante était juste la figure connue de tous et celle à laquelle on donnait la responsabilité de tous les maux. Elle était pourtant gentille et attentionnée. Elle faisait chambre à part de son mari et n'avait d'autre choix que de se tenir à ses côtés.

Reg' ! Regarde-moi ! ordonna Daenerys. Tu ne lui diras rien, tu m'entends ? Rien !

Mais...

Je trouverai une solution, je te le promets. Laisse-moi juste un jour ou deux pour fouiller dans des anciens grimoires de métamorphis. Ne lui dit rien, je trouverai une solution, répéta Daenerys, plus pour se convaincre elle-même que sa reine.

Des coups frappés à la porte d'entrée de sa chambre la sortirent malgré-elle de sa vision. Mélody prit une minute pour se resituer, déstabilisée. Toujours pas familiarisée avec les heures et le temps dans ce monde, Mélody ne savait s'il s'agissait du gardien dont Ariana lui avait parlé quelques jours plus tôt, qui venait parce que le couvre-feu était passé ou si c'était autre chose. Elle alla ouvrir. Devant elle se tenaient Ali et Adriel. Ils étaient essoufflés, comme s'ils avaient juste couru un marathon.

— Salut ! s'exclama Adriel, toujours en train d'essayer de reprendre son souffle.

— Bonsoir... commença Mélody, dubitative. N'est-il pas un peu tard ? railla-t-elle.

Ali lui tendit un sac qu'elle reconnut immédiatement. Il s'agissait de celui qu'elle avait préparé avant de venir. Il avait gentiment proposé de le porter, lorsqu'il était venu la chercher, mais devait avoir oublié de lui rendre. D'où la raison de leur présence. Mélody se saisit de son unique bagage et le remercia, gênée.

Elle ne savait absolument plus comment se comporter avec Ali. Il semblait vouloir faire amende honorable, depuis qu'il l'avait enlevée. Mélody hésitait. Devait-elle accepter qu'il ait été contrôlé par Seth, raison pour laquelle il avait failli tuer Noah ? Ou au contraire, tenter de se venger pour cela ?

— J'ai eu une vision ! déclara précipitamment Mélody, alors que les deux garçons partaient déjà.

Ali fit volte-face immédiatement, alerte. Ses yeux brillaient d'espoir. Il n'avait donc pas eu de réponse. Mélody s'était imaginée que, peut-être, il avait trouvé un moyen d'avoir des informations sur Latsyrc et ce qui s'y passait. Ou qu'Aelia le lui avait dit – l'information lui ayant échappé lorsqu'elle avait parlé de Daenerys. Adriel aussi paraissait aux aguets.

— Elle est vivante, lâcha Mélody, brisant le silence tendu qui pesait sur eux trois. Je l'ai vue, Noah...

Ali se contenta d'un hochement de tête plein de gratitude. Ses yeux, baignés de larmes, étincelaient de joie. Adriel se contenta d'un grand sourire triomphant, comme s'il avait parié avec quelqu'un sur la survie de son amie – chose qui n'aurait qu'à moitié étonné Mélody. L'adolescente ne put cacher un bâillement de fatigue. Les garçons durent comprendre qu'il était temps de la laisser et de partir. Mélody retourna dans ses appartements et alla directement se coucher, vidée de toute énergie. Elle ne prit même pas la peine d'installer ses affaires dans l'armoire mise à sa disposition. Épuisée, elle se contenta d'aller dormir.

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