Prologue
Décembre 2006, calendrier terrestre – (10 ans plus tôt).
La fillette courait le plus vite possible dans la forêt enneigée, glissait parfois sur des zones verglacées, évitait de justesse des racines qui sortaient du sol. Malgré son agilité, elle heurtait des branches camouflées sous un manteau blanc, se faisait alors griffer les joues et aveugler par des gerbes de flocons. Pourtant, elle devait accélérer encore, car son poursuivant gagnait du terrain. S'il parvenait à l'attraper, ce serait fini, les efforts fournis pour lui échapper n'auraient servi à rien.
Dans l'espoir de brouiller sa piste, elle bifurqua net, quitta le sentier et se dirigea vers le lac situé après les profondeurs du bois. Si elle y arrivait la première, elle gagnerait.
– Princesse Mélody, je vais vous avoir ! s'écria l'homme à la voix grave.
– Jamais ! hurla-t-elle sans ralentir.
Lorsqu'elle aperçut la surface miroitante du lac gelé au travers des arbres, un sourire se dessina sur son visage marqué par l'épuisement. Plus que quelques mètres avant la victoire. Son cœur battait la chamade, son souffle se raccourcissait de plus en plus, mais sa détermination supplantait sa fatigue et ses jambes douloureuses.
Elle touchait au but, lorsque deux bras musclés la ceinturèrent.
– Vous ne pensiez tout de même pas gagner, n'est-ce pas, princesse Mélody ?
– Lâche-moi ! C'est un ordre !
L'homme éclata de rire et cala le corps de l'enfant sur son épaule comme un sac de pommes de terre, avant de se diriger vers l'étendue d'eau.
Mélody tentait vainement de se débattre. Tout était perdu, par sa faute. Elle aurait dû être plus rapide, et surtout, elle n'aurait pas dû répondre à son poursuivant lorsqu'il lui avait parlé plus tôt, car il avait ainsi pu la localiser plus facilement.
Nullement ralenti par le poids de son fardeau, son ravisseur continua de marcher d'un pas rapide.
Une jolie jeune femme, âgée d'une trentaine d'années, les attendait sur la berge.
– Aurais-tu encore perdu, Mélody ? demanda-t-elle en essayant de cacher son sourire.
– Princesse Mélody ! la reprit la concernée, alors que l'homme la déposait délicatement au sol.
– Excusez-moi, Votre Altesse, je ne suis qu'une pauvre servante, fit son interlocutrice en exécutant une révérence pour appuyer ses propos.
– Tu n'en ferais pas un peu trop, Iris ?
– Dis-moi plutôt, Aaron, pourquoi ne pas avoir laissé Mélody remporter la partie, pour une fois ? rétorqua ladite Iris en lançant un regard désolé sur la petite qui boudait, assise dans la neige.
– Ah non ! s'écria celle-ci. Je vous interdis de me laisser gagner ! Un jour, je courrai plus vite que papa, et ce sera lui le perdant !
Aaron lui offrit un grand sourire, absolument pas convaincu par ses propos.
– Bien ! poursuivit la petite d'un ton hautain. Puis-je avoir mon royal goûter ?
Iris lui tendit le sac à dos qu'elles avaient préparé ensemble le matin, en prévision de leur sortie en famille. Mélody en sortit une boîte hermétique contenant les biscuits de Noël qu'elle avait confectionnés plus tôt dans la semaine, et une gourde isotherme pleine de chocolat chaud. Elle se dépêcha d'avaler cet en-cas, puis se précipita sur ses patins à glace. Iris l'aida à les enfiler puis à mettre ses moufles, avant de lui rappeler quelques règles de sécurité pour enfin la laisser aller sur le lac. La fillette savait que ses parents la rejoindraient bientôt, comme toujours.
Elle s'élança sur la patinoire naturelle, essayant sans grand succès d'exécuter des figures artistiques que son père et sa mère s'obstinaient pourtant à applaudir. Les adultes pouvaient vraiment se montrer idiots ! Même âgée de seulement six ans, elle savait que ses pirouettes étaient loin d'être remarquables.
Alors qu'elle s'essayait à un saut de biche, elle chuta lourdement. Elle grimaça sous le choc, mais ne ressentit pas de grosse douleur au sacrum. Elle s'apprêtait à se relever quand elle constata que la couche de glace, autour d'elle, se fissurait en étoile. Ne sachant que faire, elle jeta un regard paniqué vers ses parents qui se tenaient encore sur la berge de l'étang.
– Papa, maman !
Elle hurla quand la surface gelée se lézarda encore, dans un grondement sonore.
– Couche-toi sur le ventre et rampe lentement vers nous, j'arrive ! cria son père.
Mélody obtempéra tandis qu'Aaron marchait avec précaution vers elle. Le corps de l'enfant tremblait de peur et son cœur battait à tout rompre. Elle hurla d'effroi lorsque la glace se rompit avec fracas sous son ventre, l'entraînant dans l'eau terriblement froide. Elle se débattit dans l'espoir de surnager, mais se sentit aspirée par le fond, lestée par le poids de ses patins et de ses vêtements. Ses poumons se remplirent de liquide alors qu'elle tentait d'appeler ses parents. Dans un dernier réflexe de survie, elle essaya de remonter à l'air libre, mais ses mains se heurtèrent à de la surface gelée. Terrifiée, elle comprit que le courant l'avait déportée et qu'elle était prisonnière du lac.
Maman ? Papa ? Aidez-moi, je vous en prie !
Les ténèbres l'entouraient, ses membres s'engourdissaient douloureusement sous l'effet du gel, ses larmes se mélangeaient à l'eau. Elle ne voulait pas mourir, elle aspirait encore à jouer à cache-cache avec son père, même s'il la laissait toujours gagner et qu'elle en râlait. Elle désirait encore écouter les histoires de sa mère avant d'aller dormir, souhaitait encore retourner à l'école, même si personne ne l'aimait là-bas.
Les yeux de la fillette se fermèrent. Sous ses paupières, le noir se fit plus dense, le froid lui parut plus intense, mais bizarrement, un doux sommeil l'emporta. Elle se laissa aller, pensant tendrement à ses parents restés en haut. C'était donc ça, mourir ?
Mélody tombait dans le vide. Elle essaya de s'accrocher à quelque chose, n'importe quoi, en vain. Elle chutait dans un trou noir infini. Terrorisée, assaillie par un mal de crâne dû au vertige, elle cacha son visage dans ses mains et se mit à pleurer.
– Tout va bien, ne t'en fais pas, murmura une voix chaleureuse à son oreille.
La fillette ouvrit les yeux. Elle se trouvait dans une chambre baignée par la lumière froide d'un soleil hivernal. Une jeune femme la tenait dans ses bras. Elle était très belle. De longs cheveux noirs, dans lesquels se mêlaient des mèches violettes, encadraient son visage fin. Ses iris possédaient une couleur indéfinissable, alternant entre le rouge, le rose et le mauve.
– Qui êtes-vous ? murmura l'enfant.
L'inconnue la déposa sur le matelas moelleux d'un lit avant de replonger ses yeux étranges dans les siens.
– Une amie, répondit-elle après une légère hésitation. Considère-moi comme une amie.
– D'accord. Moi, je suis...
– Tais-toi !
Au même moment, les yeux de l'inconnue se teintèrent de rouge sang et ses traits se durcirent. Mélody poussa un cri de frayeur, ce qui adoucit instantanément son interlocutrice qui se pencha vers elle et effleura gentiment sa joue de ses longs doigts.
– Désolée, je ne voulais pas te faire peur. Comprends juste que tu ne dois pas dévoiler ici ton vrai prénom, c'est dangereux. Ni le tien ni celui de tes proches. Beaucoup vont convoiter ton pouvoir...
– Mais de quoi parlez-vous ? couina l'enfant.
– Tu es trop jeune pour comprendre.
Mélody se renfrogna, mais se détendit vite lorsque la femme passa une main rassurante dans ses cheveux.
– Ce que je peux te dire maintenant, c'est que tu ne peux faire confiance à personne. Tu es différente, tu es spéciale, mais tu risques d'être très seule aussi. Ton don est rare...
– Quel don ? s'agaça Mélody.
– Celui des visions, celui qui va te montrer le passé, le présent et le futur de certaines personnes. Je...
Les yeux de l'adulte virèrent à nouveau au vermeil avant de reprendre une teinte plus claire. Soudain, ses traits se figèrent et elle sembla paniquée, ce qui inquiéta Mélody.
– Je dois y aller ou je vais te mettre en danger, je suis désolée.
– Mais...
– Ne t'en fais pas, nous nous reverrons. Souviens-toi de ce que je t'ai dit : ne révèle jamais ton identité lors de tes visions, ni même dans tes rêves.
– Promis ! répondit Mélody, déconcertée.
Les murs de la chambre dans laquelle elle se trouvait devinrent transparents, puis disparurent dans le néant. Mélody se trouva à nouveau dans le trou noir, à tomber dans le vide sans jamais toucher le sol.
La première chose qu'elle vit en ouvrant les yeux fut le plafond blanc et granuleux au-dessus d'elle. Elle battit des paupières un court instant, désorientée. Un bip strident et régulier résonnait dans la pièce et un brouhaha diffus lui parvenait de l'extérieur. L'enfant essaya de mobiliser ses membres engourdis.
– Mélody ! s'exclama une voix douce et familière.
Elle tourna la tête vers son père et sourit faiblement. Aaron se pencha sur elle et caressa sa joue, les yeux brillants de soulagement. Il appuya ensuite sur le petit bouton rouge d'une télécommande pour signaler aux infirmières que sa fille était réveillée.
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