Chapitre 2
L'air commençait à se rafraîchir depuis peu. Je ne me rendais pas compte que l'été laissait déjà place à l'automne.
Les arbres se couvraient de teintes chaleureuses et éblouissantes. En temps normal, il s'agissait de ma saison préférée, où citrouilles, champignons et nuances éclatantes se mêlaient, mais cette fois-ci, tout me semblait plus terne et moins accueillant.
J'avais enfilé une robe simple dans les tons pourpres et légèrement ample qui m'assurait un confort dans mes mouvements. Un gilet dont les couleurs ne fonctionnaient pas avec le reste de la tenue, venez me protéger du vent qui s'évertuait à refroidir l'atmosphère.
J'observais chacun des plans qui poussait sur les terres de Telthona et je me demandais à quoi pouvaient lui servir tant d'aromates et de plantes.
- Aerin ?
Le seigneur de la nuit interrompit mes pensées et posa sur moi un regard ambré.
- Je vais devoir m'absenter le temps de quelques jours.
Sa phrase me fit froncer les sourcils. Je m'étais habituée à sa présence et le voir déjà partir m'angoissait, car je savais que j'allais me retrouver seule avec mon esprit.
- Si je pouvais faire autrement, je le ferais, je vous assure, mais je ne peux rester plus longtemps. Sans Nwalcian, aucun dirigeant n'est là pour s'occuper du peuple des Iliths et même si je ne suis pas réellement un enfant de sang royal, je ne peux oublier les miens.
J'entendais son désarroi, mais je ne pouvais me résoudre à me retrouver seule. A contrecœur, j'hochais la tête, lui indiquant que je comprenais ce qu'il venait de m'annoncer.
Dans un silence morne, nous poursuivons notre promenade au milieu de chardons sauvages, de thym et de bruyères.
Chaque effluve était amplifié maintenant que je me trouvais à l'extérieur et ce côté-là de l'immortalité était le plus dur pour moi à supporter.
Autant je pouvais me boucher les oreilles lorsque les bruits étaient trop forts, mais les odeurs restaient entêtantes quoiqu'il arrivait. Même celles qui d'ordinaire sentaient bon me paraissaient désormais nauséabondes. Je me retenais de pincer mon nez, craignant de vexer le seigneur de la nuit, mais à proximité du compost de Telthona, la puanteur fut telle que je ne sus freiner mon bras.
Azaelias rit chaleureusement en voyant ma réaction.
- Ne vous en faites pas, on finit par s'y habituer.
Étant donné qu'il avait reçu ses pouvoirs très jeunes, j'imaginais qu'il était plus simple de s'y accommoder quand on avait vécu avec ce genre de facultés toute sa vie.
Malgré mon pincement de nez, l'odeur persistait et me donna presque des haut-le-cœur. Je n'arrivais pas à réfléchir à autre chose, rendant la puanteur encore plus tenace.
- Vous savez, quand j'étais enfant, l'odeur du chocolat me révulsait.
Je me raccrochais au son de sa voix pour tromper mon cerveau et me concentrer sur autre chose. Ses yeux dorés me regardaient avec une malice bien présente.
- Je vous assure, reprit-il. Pourtant j'adorais le goût, mais l'odeur... elle me créait des haut-le-cœur. Je me rappelle du jour où ma mère s'est moquée de moi en disant "un vrai guerrier surpasse ses peurs". J'avais été si touché dans mon égo qu'à la nuit tombée, je m'étais forcé à dévorer des tablettes de chocolat jusqu'à ce que mon ventre soit sur le point d'éclater. Bien entendu, elle m'a retrouvé le lendemain matin recouvert de cacao. Elle m'a tellement grondé ce jour-là, que j'ai cru qu'elle allait exploser. Sur l'instant, je ne comprenais pas sa réaction, car tout ce que je voyais, c'était que j'avais réussi. J'avais mangé sans vomir et par la suite l'odeur me révulsait beaucoup moins. C'était une victoire, mais ma mère ne voyait pas ça...elle avait simplement été inquiète pour moi, parce que je pouvais tomber malade et faire une indigestion.
Je le regardais avec curiosité, l'incitant à continuer cette anecdote. Un rictus illumina ses traits et son œillade en coin m'indiqua qu'il voyait qu'il avait réussi à attiser mon intérêt. Il poursuivit sur le même ton léger.
- Savez-vous quelle a été sa réaction par la suite ?
Je secouais la tête, bien trop absorbée par son récit.
- Elle a jeté tout le chocolat de la maison alors que c'était son péché mignon.
Il se mit à rire, ce qui emplit mon cœur d'un bonheur que je n'avais plus ressenti depuis longtemps.
- J'ai tellement culpabilisé de l'avoir privé de son chocolat que j'ai dévalisé un artisan pour lui en apporter, mais tout ce que j'ai récolté, c'est un deuxième sermon. Apparemment, ce n'est pas trop éthique de voler pour faire plaisir à sa mère.
Un léger ricanement inattendu m'échappa et cette réaction le surpris lui aussi, pour autant, il ne fit aucun commentaire et termina son histoire.
- J'ai dû m'excuser et pour me punir, j'ai dû travailler dans sa boutique avec cette fameuse odeur pendant plusieurs semaines.
Je reportais ma concentration sur le chemin caillouteux et me rendis compte que je ne prêtais plus attention à l'émanation du compost. Même s'il se trouvait plus loin de nous, son anecdote m'avait aidé à me focaliser sur autre chose.
La balade touchait à sa fin et arrivés à la porte qui donnait sur la cuisine, Azaelias se retourna, bloquant le passage.
Je le dévisageais, ne comprenant pas ce qu'il faisait.
- Je vais partir demain à l'aube. Je ne pourrais certainement pas vous dire au revoir à ce moment-là.
Son histoire ne m'avait pas seulement permis d'oublier l'odeur, mais aussi son départ. Ça m'était complètement sorti de la tête. La légèreté qu'avait retrouvait mon cœur grâce à son souvenir fut vite balayé par un sentiment oppressant.
- Je ne sais pas quand je pourrai vous rendre visite, mais je souhaite de tout cœur que vous vous rétablissiez. Je reviendrais dès que j'en aurais l'opportunité.
Je regardais mes pieds et triturais le tissu de ma jupe, ne sachant que faire face à lui et son annonce qui ne me plaisait guère.
Un court silence s'installa et il reprit.
- Rentrons, le temps se rafraîchit.
Il s'apprêta à passer le pas de la porte. Ma main, à son bon vouloir, attrapa sa chemise, le stoppant dans son élan. Mes yeux continuaient de fixer inlassablement mes bottines, mais je sentais qu'il s'était retourné.
- Emmenez-moi avec vous, dis-je dans un murmure.
Le silence qui suivit fut si pesant que je crus qu'il ne m'avait pas entendu.
Le courage me manquait pour reprononcer ces quelques mots, mais je pris quand même une bouffée d'air, prête à recommencer s'il le fallait.
- Vous en êtes certaine ?
Savoir qu'il m'avait compris me rassurait. Je hochais la tête hâtivement.
- Faisons ça dans ce cas. Je viendrais vous chercher au lever du soleil.
Cette nuit fut mouvementée. Je ne m'étais pas endormie en espérant la fatigue m'emporter comme chaque soir. Non, j'avais simplement attendu que mon esprit s'apaise, mais j'étais bien naïve. Chaque rêve avait été d'une cruelle violence. Si Lilith ne venait pas me hanter, c'était Nwalcian qui prenait la relève, me scrutant de ses pupilles rouge couleur sang. Bon nombre de fois, je m'étais réveillée en sursaut, baignant dans ma sueur, et ce fut sans surprise que je découvris des cernes creuser mes yeux. J'avais une mine affreuse.
Ce reflet peu flatteur me poussa à le fuir et à retourner dans mes appartements pour enfiler un gros pull en laine beige et un pantalon noir. J'appréciais de plus en plus de ne plus porter que des robes et la matière de ce bas était parfaite pour faire des mouvements amples.
Trois coups résonnèrent dans la pièce et par automatisme, je répondis :
- Oui ?
Le son de ma voix était rauque et me paraissait légèrement étrangère, mais j'étais malgré tout heureuse de redécouvrir ses tonalités.
- Êtes-vous prête ?
Le seigneur de la nuit resta à la lisière qui séparait ma chambre du couloir. En tenue officielle d'or et de noir, il paraissait moins chaleureux et plus intimidant. J'avais l'impression que ses traits étaient plus sérieux et que revêtir son costume le poussait à entrer dans un rôle de roi.
Je hochais la tête en portant à mes épaules un modeste sac contenant un change seulement.
- Est-ce là tout ce que vous emportez ?
Je ne répondis rien, car en réalité c'était là tout ce que j'osais prendre. Les tenues qui étaient dans cette armoire ne m'appartenaient pas. Je supposais qu'elles avaient appartenu à Telthona, mais j'avais trouvé aussi étrange que cette immortelle eût un jour enfilé de tels habits.
Je quittais cette chambre qui m'avait accueilli et protégé et passais devant le roi de la nuit.
Sans un mot, il me suivit telle une ombre en direction de la porte d'entrée.
Telthona se trouvait là. De sa hauteur, elle me scrutait avec mépris, mais lorsque son regard se posa sur son seigneur, il s'adoucit. Elle ne m'aimait clairement pas et je ne comprenais toujours pas pourquoi. Elle avait accepté de me soigner sous la demande d'Azaelias.
- J'ai mis dans votre sac quelques potions pour la route et pour elle, expliqua la guérisseuse.
Le "pour elle" avait été si piquant qu'il me provoqua un frisson.
- Merci, Telthona, répondit-il sans relever.
Sur ces quelques mots, elle ouvrit la porte qui se trouvait en face de moi. Le son du monde emplit mes oreilles d'immortelles et les odeurs inondèrent mes sens. Mon cœur s'emballa et instinctivement je fis un pas en arrière.
Mon dos heurta le torse puissant d'Azaelias et son souffle effleura mes cheveux. Sa présence me rassurait tandis que l'extérieur me terrorisait.
- Vous êtes sûr de vouloir l'emmener avec vous ? Elle sera un poids mort plus qu'autre chose, intervint la guérisseuse.
- Telthona !
La voix sèche du seigneur l'avait poussée à se taire, pour autant son regard était toujours aussi dur et un rictus moqueur s'affichait sur ses lèvres.
Sous mes pieds, les ombres du monarque commençaient à remonter le long de mes jambes. Leur contact transformait chaque partie de mon corps en une illusion parfaite d'une démone que je n'étais qu'à moitié.
- Simple précaution, précisa-t-il.
Cette carapace était idéale et me donna le courage nécessaire pour franchir le seuil de la porte. En traversant, je vis dans le miroir de l'entrée mon reflet dont l'illusion était bien plus qualitative que celle de Lilith et Sira.
Le seigneur avait une magie hors du commun et c'était certain qu'avec cette apparence, je pourrais passer inaperçu dans ce monde, même à visage découvert.
J'avais réussi à avancer et un sentiment de fierté gonfla mon cœur. Azaelias suivit aisément. Il me devança et fit un dernier signe à Telthona qui referma la lourde porte sans demander son reste.
- Allons-y.
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Je pense faire une pause sur ce livre, car je sens l'inspiration me manquer ces temps-ci. Le syndrome de la page blanche ^^'
Mais heureusement, une nouvelle histoire me motive et le premier chapitre va apparaître dans la semaine.
Un mélange de romance, de fantasy et désir de liberté !
J'espère que vous ne m'en voudrez pas, et j'espère revenir bientôt pour vous racontez la suite de nos héros ^^
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