Entre actes


Il y a peu d'endroits dans lesquels je me sens aussi bien que dans une bibliothèque. Seule ma chambre peut rivaliser, et encore, uniquement lorsque ma famille n'est pas dans les parages à faire du tapage. Aujourd'hui, elle a décidé que faire la cuisine ensemble était une bonne idée. A la troisième assiette jetée sur le sol de colère, j'ai enfilé un blouson et me suis enfuie, préservant ainsi la pureté de mes oreilles.

L'air frais de cette fin d'automne caresse mon visage, je referme quelques boutons. Je me dirige vers la bibliothèque à grands pas enthousiastes. Laissant mes jambes s'occuper du trajet, je réfléchis au rayon que j'allai fouiller. Théâtre ? Romans en T ? Et quel fauteuil testerai-je ? Le petit vert ou plutôt le large rouge ?

J'arrive à mon endroit préféré du trajet : le croisement. La bibliothèque est toute proche, mais encore invisible. Je peux presque sentir l'odeur du papier, odeur bénie ! Je tourne en fermant les yeux ; un sourire quasi extatique commence à se dessiner sur mon visage. Lorsque je rouvre les yeux, elle est là, devant moi, trônant sur sa place aux multiples fontaines, en cette saison arrêtées. Mon cœur bat à cent à l'heure dans ma poitrine. Ma joie face à la baie vitrée couverte d'affiches, qui cache impudiquement les rayonnages devient un oiseau dans la cage blanche de mon abdomen, qui ne demande qu'à s'envoler et parcourir les allées. C'est presque en courant que je passe les portes automatiques, dont le léger chuintement semble être un bonjour. J'adresse un léger signe de tête au bibliothécaire, Romain. On se connaissait bien, il savait que j'avais besoin de changer de monde. Nous discuterons plus tard.

Je fouille les étagères, mes yeux sautant d'un titre à l'autre, dans une sorte de danse rapide, presque frénétique. Soudain, mes yeux s'arrêtent sur une tranche. Mon attention a été captée. Je sors précautionneusement le livre. ''La Horde du Poussvent'', d'un certain Alain Damassé. Un volume assez épais, une couverture aux couleurs tranchées, entre blanc, rouge et bleu glace. Une histoire de marche, dans un monde balayé par le vent. Ça fera parfaitement l'affaire. Je m'installe dans le pouf violet, confortable et chaud. La première page s'ouvre devant mes yeux ; le temps s'accélère, fonds dans une bouillie indistincte.

Des cris me sortent de ma torpeur. Ma tête est toute cotonneuse, les bruits me parviennent à travers un filtre. Je me relève en titubant légèrement. Cligne des yeux. Que se passe-t-il ? Une explosion sonore, un hurlement. Je secoue la tête, la peur commençant à poindre au creux de mon ventre. Je marche précautionneusement jusqu'à voir l'entrée.

Je ne pus retenir un cri d'horreur. Une femme se tient devant les portes, bien campée sur ses deux jambes, qui dépasse de sa jupe noir stricte. Elle porte une chemise blanche maculée de quelques points rouges, formant une sorte de constellation sur son haut. Elle est un peu maquillée, du rouge à lèvres, du mascara qui souligne ses yeux bleus. Détermination et désespoir. L'arme est sombre et brille un peu, comme ses boucles d'oreilles. Une deuxième détonation, un petit jet carmin, quelques gouttes sur ses jambes, un hurlement. Romain est allongé sur le sol, pâle et écarlate.

Tout est flou, je cherche une sortie, mais il n'y en a pas, je le sais. Se cacher ? Mais où ? Aller se faire cueillir ? Mourir, si jeune ? Ma vie n'aurait alors été qu'une nouvelle. Non, tenter de s'enfuir, par chance ou miséricorde. Je parcoure les allées, restant hors de vue, le cœur battant à grands coups. L'odeur du papier, du sang. La lumière vide des néons. Je fonce droit vers elle et la sortie.

J'ai le temps de relever les yeux, de croiser son regard, d'y lire son hésitation, l'implacable volonté. Je ferme les yeux. J'ai atteint la porte lorsque mon corps choit, transpercé.

*****

Le corps de Lili s'effondra par terre, avec un bruit mat. Marion ne le regardait déjà plus. Derrière elle, les sirènes de la police résonnaient. Sa délivrance arrivait. Jaques la regardait, fixement. Il vérifia que le cran de sûreté était bien enlevé. Elle ne semblait pas se préparer à se défendre, bien qu'elle ait arrêté de tirer. Alexandre leur fit signe. Les policiers avancèrent, à l'abri derrière les boucliers. Elle ne se retournait pas. Ce n'était pas normal. Elle avait tué une jeune fille et deux adultes, elle était donc prête à tout.

Il était tendu, prêt à craquer. ''Rendez-vous !'', hurla Gérard. Elle se tourna, tira, en l'air. Jacques réagit au quart de tour et pressa la détente. Un éclair. La balle fila, se logea dans sa poitrine. Elle s'écroula. Il crut avoir vu un sourire sur son visage.

Pourquoi ? Il y avait bien une raison. Pour pouvoir... faire ça. Il savait qu'il ne pourrait oublier. Que cette question le poursuivrait. Il se pencha, avança la main, s'empêcha de fermer les yeux de la petite. Se redressa, presque difficilement, vieilli, et partit, les yeux dans le vague.

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