Chapitre 8

Ils continuèrent à échanger leurs réflexions jusqu'à l'interruption de la femme de ménage qui frappa timidement à la porte.

« Entrez, dit Charles d'une voix forte. Bonjour mademoiselle. Asseyez-vous s'il vous plaît, et dites nous ce que vous avez fait ce matin.

La jeune fille, encore pâle, s'installa et déclara :

- Ce matin, quand je suis arrivée à six heures et demi, j'ai commencé par nettoyer le hall ; il est toujours sale, à croire que personne ne sait se servir d'un paillasson... Oh, pardon ! s'exclama-t-elle en s'apercevant qu'elle visait ainsi directement son interlocuteur et ses voisins.

Charles ne s'en formalisa pas et lui fit signe de continuer.

- Ensuite, reprit-elle, toujours avec un petit air d'excuse, j'ai lavé l'escalier en montant. J'avais à peine fait quelques marches que j'ai vu Mme de Froncendré descendre avec son petit chien. J'avais fait tout le ménage jusqu'au premier quand elle est remontée. Après je me suis souvenue que c'était aujourd'hui que je devais faire l'appartement de M. Marchand, alors j'ai ouvert la porte avec le trousseau de clefs de la loge, celui pour le personnel de service - elle parlait de plus en plus vite et saccadé - et je suis entrée ici.

Elle jeta un regard autour d'elle et frissonna. Comme malgré elle, ses yeux se dirigèrent vers le canapé où une demi-journée plus tôt se trouvait encore le corps du maître des lieux, et elle ne put dissimuler une certaine surprise quand elle s'aperçut qu'il n'y avait plus rien.

- Il était levé d'habitude, continua-t-elle néanmoins d'une voix blanche. Je ne comprenais pas. Et puis soudain j'ai vu cette forme humaine allongée là-bas - elle pointa le divan - sous le drap tâché de sang et je crois bien que j'ai hurlé. Après je ne me rappelle plus trop. Je me suis retrouvée dans le hall où tous les habitants attendaient qu'on leur dise quoi faire, et puis le concierge m'a demandé de monter vous voir.

Elle eut l'air inquiète.

- Est-ce que vous allez trouver qui a fait ça monsieur ?

- C'est pour ça que je suis là, mademoiselle, répondit Charles avec un mélange de gravité et de douceur.

Elle fondit en larmes.

- Allons, allons...

Charles se leva et contourna le secrétaire pour aller tapoter l'épaule de la jeune femme.

- Je n'ai pas de mouchoir à vous proposer, mentit-il - il était extrêmement prévenant et en avait toujours un dans sa poche - pour une raison connue de lui seul, mais essuyez donc ces larmes !

Elle obéit et se frotta les yeux et les joues.

- Pourrai-je voir vos mains ? bondit immédiatement le détective alors que Leonardo le regardait avec incompréhension.

Elle eut un mouvement de recul tant cette requête était étrange et lança un regard effarouché.

- Vos mains, ordonna Charles sans plus masquer son impatience.

Perplexe et plus du tout larmoyante, elle lui tendit ses paumes que l'enquêteur s'empressa d'examiner.

- Parfait, déclara-t-il en les lâchant quand il eut fini son inspection.

Leonardo dut se mordre la langue pour s'empêcher de demander à quoi tout cela rimait et qu'est-ce qui était parfait. Les théories les plus folles lui venaient à l'esprit mais un petit cri l'empêcha d'aboutir à une quelconque absurde conclusion. Il redressa la tête et vit Alice Delamare, mains plaquées sur sa bouche - de toute évidence c'était elle qui avait crié - et Charles rabattre sa manche sur sa main droite en lui lançant un petit regard inquiet.

- Du sang, glapit la jeune employée. Il a du sang sur les doigts !

Leonardo ne comprenait plus rien. Il avait passé la journée avec le détective et il n'avait remarqué aucune tache rouge sur ses mains... De son côté, Charles jubilait (mais se gardait bien de le montrer). Elle avait mordu à l'hameçon ; et il avait décelé l'éclair de compréhension qui avait traversé ses yeux quand elle avait remarqué ses doigts ensanglantés, prouvant ainsi qu'elle savait beaucoup de choses...

- Mademoiselle Delamare, l'interpelle-t-il d'une voix douce. Je sais que vous me croyez coupable - bien injustement - depuis l'instant où vous avez remarqué ce sang. Pourquoi ? Que savez-vous, ou que croyez-vous savoir ?

Elle se leva précipitamment et recula de plusieurs pas.

- Ne m'approchez pas ! cracha-t-elle, mais sa voix était trop stridente pour être prise comme un avertissement sérieux.

- Je ne suis pas plus coupable que vous, gronda Charles en perdant son ton paternel, impressionnant avec son regard aussi sombre qu'un ciel d'orage. En revanche j'ai besoin de savoir pour quelle raison vous me soupçonnez.

Elle déglutit.

- Votre femme, dit-elle d'un ton rauque. Et M. Marchand. Vous vous êtes vengé, je suis sûre que vous vous êtes vengé de lui ! 

Sa voix était une fois de plus partie dans les aigus.

- Depuis combien de temps êtes vous au courant pour Marie ?

- Quelques mois, répondit la femme de ménage très bas.

- Et comment savez vous ?

- Des rumeurs, murmura-t-elle. 

«Tout le monde dans l'immeuble est donc au courant » déduit Charles avec amertume.

- Moi je ne savais pas jusqu'à ce matin, déclara-t-il avec honnêteté. Et vous devez me croire. Est-ce le cas ?

- Je...

Elle finit sans doute par être convaincue de la sincérité du détective car elle répondit après une longue hésitation.

- Ou-oui.

- Bien. 

Il la regarda sévèrement.

- Alors n'allez pas crier sur les toits que je suis un assassin, parce que c'est faux.

- Ou-oui, répéta-t-elle en hochant vigoureusement la tête.

- Vous pouvez y aller.

Elle ne se le fit pas dire deux fois et c'est à peine si elle ne courut pas hors de la pièce. Lorsque la porte se fut fermée, Leonardo s'empressa de demander :

- Vas-tu enfin m'expliquer... Tout ça ?

- Dès le départ, raconta l'enquêteur, il m'est tout de suite apparu qu'elle est le genre de fille spontanée, parfois impulsive et un peu naïve.

Leonardo approuva fermement, encourageant Charles à poursuivre au plus vite.

- Le genre à écouter potins et commérages, aussi. Elle savait - comme tu le sais maintenant également - que Marie O'Kolmes ne m'a pas toujours été très fidèle.

Leonardo détourna pudiquement le regard, faisant preuve d'un tact et d'une sensibilité jusque là peu démontrée.

- Mlle Delamare, continua Charles, aurait pu être coupable dans le cas, et seulement dans le cas où elle aussi avait eu une relation avec Hector Marchand - dans sa bouche, le nom sonnait comme une insulte - et qu'elle avait découvert son aventure avec ma femme.

Sa voix trembla légèrement. Colère ou tristesse ? Lui-même n'aurait pas su le dire. 

- Mais, reprit-il, il aurait fallu qu'elle simule non seulement son malaise (ce qui n'était pas difficile) mais aussi sa pâleur, et je me suis assuré qu'elle n'avait pas de poudre sur ses joues.

- C'était donc ça ! comprit le stagiaire avec un sourire admiratif que Charles feignit d'ignorer. Mais et le sang sur tes doigts ?

- Je voulais m'assurer qu'elle était vraiment au courant, expliqua-t-il, alors j'ai frotté le mouchoir taché sur mes mains pour avoir du rouge sur les mains, et j'ai fait semblant d'être inquiet que tu ne t'en aperçoives. Si elle pensait que j'étais le meurtrier, c'est qu'elle savait et comme nous sommes maintenant sûrs qu'elle sait, nous pouvons sans crainte avancer que le tueur, qui est je le rappelle un habitant, est aussi informé de cette rumeur. A quoi cela nous avance-t-il ? Je n'en ai pas la moindre idée mais peut-être cela nous aidera-t-il ? Bon, à présent...

Machinalement, il regarda sa montre.

- Mon dieu ! s'exclama-t-il. Il est déjà 20h30 ! Rentre chez toi, Leonardo, et dit en passant au concierge de ne laisser sortir personne !

- D'accord !

- Et n'oublie pas : demain, ici, huit heures trente, sans faute !

- J'y serai, assura le jeune homme avec bonne humeur en prenant congé. »

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