Chapitre 5
S'il avait pu y rentrer tout entier, il l'aurait sans aucun doute fait. Il recula prudemment pour sortir de l'armoire, mais il ne se baissa pas assez et se cogna l'arrière du crâne avec un bruit sourd. Tout en pestant contre "ces portes de placards trop basses pour qu'on puisse y rentrer convenablement", il ressortit sa tête, fit trois pas en arrière en clignant des yeux d'un air étourdi puis brandit son poing en l'air, agitant un petit papier plié en quatre sous le nez de son compagnon.
« Ha ! répéta-t-il. Une poche ! Une que je n'avais pas vidée !
- Heu... Qu'est-ce qu'il y écrit dessus ? interrogea Leonardo, dubitatif.
- Aucune idée, lui répondit franchement Charles d'un ton guilleret. »
Il déplia alors le message et ses yeux coururent sur le papier. Petit à petit, muscle après muscle, son sourire se transformait en grimace tandis qu'il lisait. Après être resté le regard fixé sur le petit mot pendant quelque temps - bien assez pour l'avoir lu une bonne vingtaine de fois, estima Leonardo - il releva enfin la tête et se la secoua pour s'éclaircir les idées.
« Bon, dit-il d'une voix tendue en essayant un petit sourire crispé tout sauf convaincant. En fait, ça n'a rien à voir avec l'enquête.
Dans une pitoyable tentative de diversion, il demanda :
- Alors, quand arrive le médecin ?
- Dans les quinze prochaines minutes, répondit Leonardo qui fit mine de n'avoir rien remarqué.
- Parfait, murmura Charles, le regard dans le vague et l'esprit ailleurs. »
Ils s'installèrent chacun sur une chaise et le silence se fit. De temps en temps, Charles O'Kolmes ressortait le papier de sa poche et le relisait. Chaque mot, chaque lettre de ce message était pour lui comme autant de coups de couteau. Et pourtant... « Et pourtant, songeait-t-il, cela fait longtemps que je m'en doute. »
«Hector, disait le mot. Malheureusement, je crains que nos entrevues ne soient désormais impossible parce que trop risquées. Charles a deviné quelque chose, j'en suis persuadée, et je m'en voudrait de le faire souffrir. Je me souviendrais toujours de ces moments passés avec toi. Tendrement, Marie. »
Charles inspira un grand coup. Oui, c'est vrai, il avait deviné quelque chose. il n'était pas détective pour rien ! Mais ce message, outre de lui apporter des soupçons - qu'il avait d'ailleurs depuis longtemps - lui donnait des preuves. Et derrière les preuves se trouvaient les certitudes. Avec colère, il froissa le papier et le jeta dans la poubelle la plus proche, avant de se frotter les mains.
C'est à ce moment que la sonnette retentit, et il alla ouvrir au docteur Hippolyte Lupin.
« Vous êtes en retard, lui fit-il remarquer avec une pointe d'humeur après avoir lancé un coup d'œil à sa montre.
Ce simple et fatal événement parvenait à ôter toute considération de la part du détective pointilleux.
- Le corps est sur le canapé, ajouta-t-il.
Mais le docteur Lupin tint à leur expliquer en long en large et en travers les multiples raisons de son retard - au grand dam de Charles qui n'aimait rien tant que les explications brèves et claires - avant de daigner examiner le cadavre.
- Alors ? interrogea Leonardo. Verdict ?
- Cet homme a été poignardé d'un coup de couteau dans le ventre.
- C'est tout ce que vous avez à nous dire ? s'étonna le détective avec un haussement de sourcils sceptique.
Le médecin mit un point d'honneur à ne pas répondre.
- Vers quelle heure ? s'enquit Leonardo en essayant de ne pas perdre de vue leur objectif.
Charles esquissa un fin sourire. Ou il se trompait fort, ou ce garçon allait quitter son poste de stagiaire sous peu... Pour rentrer définitivement dans la police !
- Attendez, attendez, tempéra le docteur Lupin. Vous allez beaucoup trop vite ! Dans les livres, il faut souvent un petit moment pour en arriver à cette question ; vous ne m'avez même pas demandé quelle sorte de couteau a été utilisé !
- Il se trouve que nous le savons, rétorqua Leonardo avec une certaine froideur - il n'appréciait pas qu'un docteur lui apprenne à la place du détective comment procéder dans ce genre de situation - en désignant le long couteau de cuisine qui était resté sur la table.
- Et puis, si je puis me permettre, intervint l'enquêteur irlandais que l'inefficacité du médecin légiste commençait à mettre sur les nerfs, nous ne somme pas dans un roman policier ! Alors maintenant dites-nous à quelle heure est mort cet homme ! »
Le ton était monté tout seul. Charles n'avait que faire d'un docteur qui se croyait dans une fiction et celui-là l'avait particulièrement exaspéré, remplaçant ainsi sa bonhomie habituelle par le caractère emporté qu'il tenait de ses ancêtres du clan des O'Kolmes et qu'il croyait disparu depuis des générations.
Le docteur en question le fusilla du regard avec un air outré.
« Très bien, s'exclama-t-il avec un semblant de dignité. Puisqu'il en est ainsi, je m'incline devant tant de barbarisme et...
- A-quelle-heure-est-il-mort ? articula Charles en perdant toute patience.
- Ah c'est comme ça ? bondit Hippolyte Lupin. D'accord ! Parfait ! Il est mort autour de trois heures du matin, vous êtes content ?
Comme si ils avaient enfin vidé leur sac, les deux hommes restèrent là à s'observer. Ce fut Charles qui le premier reprit contenance.
- Vous ne pouvez pas être plus précis ? demanda-t-il avec une politesse feinte.
- Je l'aurai pu si vous m'aviez appelé plus tôt ! fit le médecin, fataliste, en leur lançant un regard de reproche.
- Rien à signaler à propos du coup de couteau ? enchaîna le détective en ignorant la dernière remarque du docteur.
- La main qui tenait l'arme était ferme, mais pas entraînée.
- Ah oui ? fit le détective, soudain intéressé.
- Tout à fait, se rengorgea Lupin. Voyez, le coup est profond, donc la main assurée, et pourtant l'arme n'a pas été plantée à l'endroit le plus mortel ce qui laisse supposer que ce monsieur a du agoniser une petite heure avant de rendre l'âme, ce qui est une erreur de la part de l'assassin.
Charles hocha la tête, perdu dans ses pensées. Il y eut un silence, rompu par Leonardo.
- Bon. On peut commencer les interrogatoires, maintenant ?
- Et comment ! s'enflamma une voix enjouée. Mon cher Watson...
Charles et Leonardo se retournèrent d'un bloc vers le docteur qui se tut brusquement.
- Euh... ce n'était pas à vous que je parlais, rectifia Leonardo. En plus, mon nom, c'est Bartuccio, pas Watson.
- Bon, bon, s'inclina le médecin en levant les mains en signe de reddition. J'ai compris, je suis de trop ici, je m'en vais !
- N'oubliez pas le cadavre, lança Charles. Examinez-le à la morgue et appelez nous si il y a quoi que ce soit d'étrange, mais ne prenez surtout pas la peine de vous déplacer ! Et puis, un petit conseil : arrêtez la médecine et mettez-vous au théâtre, vous avez un don pour les tirades dramatiques ! »
Quand la porte se referma en un claquement, les deux enquêteurs poussèrent un soupir de soulagement.
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