Chapitre 10

Au matin, quand les aiguilles de l'horloge du salon atteignirent sept heures et demie, Charles se réveilla. Vingt minutes plus tard - et pas une de moins ! -, il était dans l'appartement d'Hector.

- Ah, Leonardo ! s'exclama-t-il lorsque celui-ci arriva. Le concierge n'a fait sortir personne ?

- Non, il a tout fait comme tu avais demandé.

- Parfait. Leonardo, peux-tu me dire par quelle personne il serait le plus judicieux de commencer, maintenant ?

- Le colonel, répondit le jeune policier du tac au tac. Il est au même étage, si quelqu'un a entendu, c'est bien lui !

- Leonardo, fait venir le colonel Merlot, se contenta de décréter Charles, très satisfait.

Décidément, le jeune homme lui plaisait de plus en plus ! Cinq minutes plus tard, il se trouvait face au colonel, un grand homme à la carrure imposante, aux cheveux grisonnants et à la barbe bien taillé, à qui on attribuait immédiatement des adjectifs tels que taciturne ou revêche.

- Colonel, qu'avez-vous fait hier soir ? commença le détective.

Pas de réponse. Devant le manque de réaction de l'intéressé, qui se contentait de le fixer d'un œil sombre, il s'éclaircit la gorge puis insista :

- Colonel ? Colonel, s'il vous plaît...

- Je savais bien qu'on n'était pas à l'abris, ici, grogna-t-il enfin d'une voix sourde et rocailleuse. Je le leur avait bien dit, mais il ne m'ont pas écouté. Ils pensent tous que je suis fou. Et pourtant regardez ce qui est arrivé ! Fou, pff. (Il esquissa une moue dédaigneuse.) Juste prudent ! On n'est à l'abris nulle part ! s'écria-t-il soudain plus fort en frappant violemment la table de son gros poing.

La surprise de Leonardo fut telle que sa casquette de police - qui avait déjà bien du mal à rester sur sa tête compte tenu de sa masse impressionnante de cheveux - tomba par terre. 

- On n'est à l'abri nulle part, répéta le colonel plus calmement. Hector Marchand en est la preuve ! Il y a un meurtrier dans l'immeuble et le prochain sur la liste, c'est moi ! 

- Comment... ?

- Si, si, je vous l'assure, ce n'est plus qu'une question de jours avant qu'on ne retrouve mon corps dans le même état que celui de mon voisin !

- Excusez-moi, colonel, mais qu'est-ce qui vous fait croire qu'on cherche à vous éliminer ?

- Jeune homme, tonna Merlot en se dressant de toute la hauteur de sa stature, si vous saviez le nombre de fois où on a tenté d'attenter à ma vie, vous comprendriez que cette question est toute à fait ridicule ! De toute évidence l'assassin s'est trompé d'appartement et...

Le colonel poursuivit sur sa tirade, enchaînant théorie sur théorie, tandis que Charles O'Kolmes haussait un sourcil, à la fois étonné de se voir désigner comme "jeune homme" par quelqu'un qui avait à peine dix ans de plus que lui et sceptique quant aux prétendues tentatives d'assassinat auxquelles le colonel aurait échappé. Il échangea un bref regard avec Leonardo et déduit à son expression que lui non plus n'y croyait pas vraiment.

- Colonel, voulez-vous bien répondre à nos petites questions ? 

L'intéressé grogna, ce que Charles prit pour un signe d'assentiment.

- Avez-vous bien dormi, la nuit du meurtre ? Avez-vous entendu un ou plusieurs bruits ?

- Je n'ai rien entendu, déclara fermement le colonel, à part la petite Lucie se réveiller en pleurant à 2h47.

- Précises ? demanda Charles.

- Oui. Ça m'a réveillé et mon premier réflexe a été de regarder l'heure. Je n'ai pas pu me rendormir jusqu'à ce que Ma...dame Durand cesse d'arpenter la pièce et réussisse à calmer la petite, plus d'une demi-heure après.

- C'est tout ? 

- Oui, répondit imperturbablement Arthur Merlot en clignant des yeux.

- Prenez-vous des somnifères pour vous endormir ?

- Des somnifères ? rugit le colonel en bondissant sur ses pieds, prenant par surprise ses deux interrogateurs. 

 Leonardo sursauta et sa casquette qu'il avait tant bien que mal vissé sur ses cheveux ébouriffés retomba par terre.

- Vous me prenez pour un fou ? Des somnifères ! C'est la chose la plus absurde que j'ai jamais entendu ! Mais monsieur, prendre un somnifère, c'est signer mon arrêt de mort ! Enfin ! Un somnifère ! Croyez-vous qu'Hector serait mort s'il s'était réveillé alors que l'assassin était dans la pièce ? Hein ? Deux chances sur trois que non ! Car soit le tueur aurait fui, soit il aurait tenté de le tuer quand même et alors, Hector réveillé aurait pu esquiver !

- D'accord, d'accord, d'accord ! s'empressa de répondre Charles tout en essayant de calmer le colonel et de le faire asseoir. D'accord, d'accord, pas de somnifère. Une dernière question : quelle est votre pointure ?

-Je chausse du 44, mais cela fait longtemps que mes bottes de colonel n'ont plus vu le ciel : je reste chez moi et je serais mort tué par des terroristes si je ne faisait pas autrement. Au revoir messieurs.

Le colonel marcha jusqu'à la porte, fit demi-tour et exécuta un parfait salut militaire en direction des deux enquêteurs. Alors qu'il s'apprêtait à tourner les talons, Charles le retint.

- Colonel ! Encore une dernière chose, s'il vous plaît : ne vous manquerait-il pas un couteau, par hasard ?

L'interpellé fronça les sourcils.

- Je le saurais ! je connais chacun de mes couteaux, de son histoire jusqu'à sa taille et chaque matin je fais le tour de ma collection. Pourquoi ? Vous me pensez négligeant ?

Charles éluda la question :

- Vous n'avez jamais vu ce couteau-là ?

Il sortit l'arme tranchante du tiroir du secrétaire et la brandit face au colonel, lequel s'approcha pour l'examiner.

- Comment osez-vous... ? s'insurgea-t-il. Ce vulgaire couteau de cuisine, faire partie de ma collection ? Je vous aurais pensé plus malin, monsieur.

- C'est avec ce "vulgaire couteau" qu'on a assassiné votre voisin, rétorqua le détective, piqué à vif, sans perdre sa gravité.

- Comment... que voulez-vous... le couteau... vous insinuez que je le connais... Ah ! Ça ! explosa-t-il, et Leonardo se félicita de ne pas avoir remis sa casquette sur ses cheveux. C'est une machination, messieurs ! Un complot pour me faire accuser ! Mais je ne marcherais pas, ça non ! Ah, messieurs, je m'en vais !

Il fit demi-tour et sortit d'un pas qui aurait été digne du meilleur soldat si les années de retraites n'avaient pas rouillé ses muscles et ainsi rendu sa démarche semblable à celle d'un pingouin.

Après qu'il eut claqué la porte, Charles fit mine de s'éponger le front.

- Un drôle de bonhomme, celui-là, y a pas à dire, commenta Leonardo en enfonçant sa casquette sur sa tête avec des grognements d'exaspération.

- Je partage ton avis, confia le détective. Qu'en as-tu pensé d'autre ?

- Je ne le crois pas coupable. C'est...

- ...Un drôle de type mais tu ne le penses pas coupable, je sais, compléta Charles O'Kolmes. Ah, et au sujet de ta casquette, ajouta-t-il en voyant le stagiaire italien batailler pour la visser sur sa tête mal coiffée. Tu devrais te couper les cheveux.

C'était juste un avis de la part de Charles - il avait beau apprécier énormément le jeune homme, il restait assez maniaque pour réprouver les cheveux éternellement décoiffés de son compagnon - mais Leonardo réagit au quart de tour.

- Qu'est-ce qu'ils ont, mes cheveux ? s'exclama-t-il. Ils sont perfetto, mes cheveux !

- Simple suggestion. Qui est la personne suivante ?

Il regarda sur la feuille qui lui servait finalement presque plus qu'à Leonardo.

- Ah, Richard !

- Tu le connais bien ?

- Mmm, c'est un brave gars, dit Charles distraitement sans lever les yeux de sa liste. Une toile de possibilités commençait à se former dès qu'il fermait les yeux. Mais dans cet écheveau de probabilités, quel fil devait-il suivre ?


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