Chapitre 4, Aria

4

Aria




- Aria, tu peux m'en parler, tu sais?

- Parler de quoi ?

- Tes parents...

- Adam, je n'en parle jamais.

- Je sais, c'est pour ça que je te dis : Tu peux m'en parler.

- T'es chiant Adam, qu'est ce que tu veux savoir ?

- Ce n'est pas ce que je veux savoir Aria qui est important, c'est tout ce que tu as enfoui en toi et que tu ne laisses pas sortir.

- Tu ne peux pas comprendre.

- Je peux tout comprendre Aria, un jour tu t'en rendras compte. Un jour, tu auras suffisamment foi en moi pour partager tout ce que tu gardes en toi.



J'ouvre les yeux brusquement, le front en sueur. Je tourne la tête et fixe les nuages à travers le hublot, depuis que j'ai entendu sa voix à la radio ce matin, j'ai l'impression qu'il s'est passé une éternité. Les souvenirs ne cessent de revenir en moi, ils m'envahissent comme s'ils voulaient rattraper le temps où je les ai volontairement enfouis dans un coin de ma tête. Peu à peu, tous ces souvenirs laissent place à l'inquiétude. Que vais-je faire ? Où vais-je aller ? Est-il à New-York ? Par où commencer ? Il faut que je réfléchisse pour mettre mon plan en place.

Je vais profiter des 4 heures de vol restantes pour me renseigner et m'organiser. A l'aide de ma clef 3G je me connecte à internet sur mon nouvel ordinateur acheté en vitesse à l'Apple store de l'aéroport. Lorsque je tape son nom sur le clavier, c'est comme si un courant électrique parcourait mon corps, le traversant, le foudroyant.

Lorsque je le vois apparaître à l'écran, je sens à nouveau mon cœur battre comme s'il allait exploser. Il faut que je me calme, je dois avoir les idées claires. Je lis des dizaines d'articles, regarde des photos, puis une chose en entrainant une autre je tombe sur le lien de son Facebook officiel.

Je n'ai pas Facebook. Je décide donc d'en créer un, sans prendre la peine de mettre une photo ou quoi que ce soit d'autre.

Je déteste les réseaux sociaux, les gens de nos jours sont tellement curieux, tellement vicieux. J'en ai eu un il y a un an, je l'ai gardé une semaine. Ça m'a vraiment sidéré de voir que des personnes qui étaient avec moi a l'école primaire, passaient leur temps sur mon Facebook à essayer sans cesse de me rajouter à leurs listes d'amis après que je les ai supprimé, alors qu'a l'époque où nous nous côtoyons dans la réalité, ils ne m'avaient jamais adressé la parole.

Ce genre de site ne sert qu'a alimenter le voyeurisme des gens qui n'ont rien d'autre d'intéressant dans leur vie que de s'informer sur celles des autres. Mais peu importe, car à cet instant précis,  Facebook va m'être d'une grande utilité. En parcourant sa page je tombe sur une liste des dates et lieux de ses concerts et je m'aperçois que demain soir, ils se produiront à New-York.

Mais, comment vais-je arriver jusqu'à lui ? Qu'est-ce que je vais lui dire ? Pourquoi vais-je à New-York ? Qu'est-ce que j'attends exactement ?

Une fois de plus des dizaines de questions m'assaillirent l'esprit et je n'ai pu empêcher la panique de s'emparer de moi. Comme tout ce qui le concerne, j'ai agi impulsivement, sans réfléchir, et maintenant, je ne sais plus quoi faire.

Ma raison tente de me convaincre de retourner à Paris, mais mes instincts les plus profonds m'incitent à aller le voir. Ce duel incessant me donne la nausée, je ne le connais que trop bien. Je ferme l'ordinateur, incapable de regarder son visage plus longtemps, je ferme les yeux et tente de reprendre le contrôle de ma respiration.

Je parcours la playlist musicale de l'écran se trouvant sur le siège juste devant moi, ma recherche n'est pas hasardeuse, je sais ce que je veux trouver. Je veux trouver ses chansons, je veux entendre ses mots, je veux vivre ses maux. J'ai besoin de savoir, savoir qui il est aujourd'hui, savoir ce qu'il y a au plus profond de ses entrailles, et je sais qu'il n'y a qu'une seule façon de le savoir, l'écouter. Je découvre qu'il a déjà sorti trois albums avec son groupe, toujours le même qu'il y a deux ans. Je lance le premier morceau, ferme les yeux et me plonge dans son monde, comme avant...



« Perdu dans les moments du passé,
Perdu dans le futur que nous aurions eu,
Cet amour ne peut cesser,
Je refuse de croire que tout est perdu. »


« Comment as-tu pu fermer la porte en balançant les clefs,
Comment as-tu pu partir sans jamais te retourner,
Comment as-tu pu abandonner ? »

« Au-delà de tout,
Au-delà de nous,
Ces instants couleront dans mes veines,
Au-delà la peine,
Au-delà la haine,
Je ne cesserai jamais de croire en elle. »

C'est trop, trop pour moi, trop d'un coup. Je coupe  brusquement la musique.

Le regard perdu dans le vide, je songe à moi, pour la première fois depuis bien longtemps, refusant sans cesse de m'accorder le temps de ce risque. Je suis à la fois reconnaissante de ce que la vie m'a donné et horrifiée de ce qu'elle m'a retiré. J'ai tant de colère en moi, tant de sentiments contradictoires, j'ai l'impression de ne pas savoir qui je suis, perdue entre qui je suis réellement, qui j'aimerais être et qui je devrais être.

Quand ce sont vos parents qui vous élèvent, c'est tout ce qu'il y a de plus normal et quelque part, on ne doit jamais leur rendre la pareille. Ils ont cette dévotion, cet instinct envers leurs enfants qui coulent dans leurs veines, tout ce qu'ils font, y compris leurs erreurs provient d'un seul sentiment : L'amour, d'une seule volonté : Vous voir être heureux. Quand d'autres personnes prennent soin de vous, c'est différent, vous vous sentez redevable, car ce n'était pas leur rôle.

C'est ce que je ressens vis-à-vis d'Elisabeth, je ne l'a remercierai jamais assez pour ce qu'elle a fait pour moi. Elle m'a permit de pouvoir rentrer le soir en étant sûr de toujours pouvoir me coucher dans le même lit, avec la sécurité de sa présence qui serait sans failles. Elle m'a permis de ne pas perdre la dernière chose qu'il me restait, la danse. Mais elle n'a jamais été tendre avec moi, douce et câline, comme une mère. Elle a toujours mis beaucoup de pression sur mes épaules, je sais que c'est sa façon à elle de me montrer qu'elle tient à moi, mais elle ne m'a jamais laissé avoir ma voix dans tout ça. Je veux danser, mais je ne veux pas forcément danser à l'opéra de Paris ou comme elle, elle m'imagine danser. Je veux être libre, parce que c'est ce que m'inspire la danse, la liberté, j'ai envie de danser partout et n'importe où, là où le vent me guidera. Mais je sais que ça lui ferait énormément de peine. Ainsi est ma vie, un combat intérieur qui ne cesse guère entre l'envie de vivre ma vie et d'être moi-même et ce sentiment d'être redevable à Elisabeth.

Quand je ne sais que faire, je songe à ma mère, j'aimerai tant qu'elle soit là, qu'elle me conseille, qu'elle me guide et qu'elle me prenne dans ses bras, tout simplement. Je n'ai jamais pu me confier à Elisabeth, c'est une femme qui ne parle guère de ses sentiments, de ses émotions. Elle est froide et extrêmement pudique m'empêchant ainsi d'exprimer mes maux les plus profonds. Je n'ai jamais pu parler avec elle de la mort de mes parents. La solitude, c'est cette sensation que l'on ressent au plus profond de ses entrailles, cette sensation qui nous brûle de l'intérieur nous consumant peu à peu. Mis à part Elisabeth, je n'ai personne, mon frère m'a lui aussi abandonnée, âgé pourtant de 19 ans lors de l'accident de mes parents, il vivait aux Etats-Unis oú il travaillait dans la holding de mon père, et il y est resté. Aucun appel, aucune visite, aucun joyeux anniversaire, comme si moi aussi j'étais partie dans cet accident.

Elisabeth m'a dit un jour que chacun faisait son deuil à sa manière, mais je ne pourrai jamais comprendre ça, lui aussi a perdu ses parents, pourquoi perdre aussi sa petite sœur ? Dans ces moments difficiles de ma vie, lorsque je dois prendre une décision, lorsque je ne sais quelle voie choisir, comme à cet instant présent, je pense à eux, et j'aimerai tant qu'ils soient là. Adam est la seule personne à qui, l'espace d'un instant, j'ai pu me raccrocher.

Au fond, je ne sais pas pourquoi je suis dans cet avion, je ne le sais pas, mais je le sens. Je sens qu'il devait en être ainsi, je sens que je ne pouvais faire autrement. Pourtant j'ai peur, tellement peur. J'ai peur de voir à nouveau ses yeux noirs posés sur moi, j'ai peur de ce que je vais ressentir, j'ai peur de ses mots. J'ai surtout peur de moi-même. Avons-nous changé en deux ans ? Avons-nous grandi ? Est ce que nous sommes différents ?

J'ai peur de me perdre à nouveau. J'ai peur de moi, j'ai peur de lui, j'ai peur de nous.Ce "nous" qui fut autrefois une fusion de deux âmes déchirées par la férocité de leurs sentiments. Ce nous qui aujourd'hui, n'en est plus un.

Brusquement la voix de l'hôtesse de l'air me fait sortir de mes songes.

- Mademoiselle, veuillez ranger votre ordinateur et remonter votre tablette, nous allons atterrir.


Déboussolée par tous ces souvenirs, par mes songes si déstabilisants, par cette situation qui m'effraie au plus profond de moi, je m'exécute maladroitement.

Nous allons atterrir. J'y suis presque, et je ne sais toujours pas quoi faire. L'idée même d'être face à lui fait tressaillir mon corps jusqu'au plus profond de mon âme. Je sens en moi cette adrénaline, ce sentiment de puissance, ce sentiment de liberté que je n'avais plus ressenti depuis deux ans. Toutes ces émotions, toutes ces sensations enfouies en moi depuis tout ce temps ressurgissent en moi telle une tornade ravageant tout sur son passage, emportant avec elle la Aria raisonnable, la Aria d'Elisabeth, emportant cette mascarade. Je ferme les yeux et prends une grande inspiration, le sourire aux lèvres, la peur au ventre, le cœur battant à son apogé, la sensation de mon sang se déchargeant dans mes veines.

Ca y est, je le sens à nouveau.

A nouveau, je me sens vivante, plus vivante que jamais.

- Mesdames et Messieurs veuillez boucler vos ceintures, nous entamons l'atterrissage.

D'un geste presque brutal je boucle ma ceinture, me redresse dans mon siège, déterminée.

Je ne sais peut-être pas ce que je vais faire, mais il y a une chose dont je sois sûre. Demain, quoi qu'il arrive, nos regards vont se croiser. Demain, ses yeux noirs perceront les miens de nouveau atteignant à vive allure le chemin de mon âme. Demain, on se regardera, on se défiera. Demain, il sera à moi.

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