Chapitre 3, Adam
3Adam
« Flash Back »
Juillet 2011
Ce soir, comme tous les samedis, la bande et moi allons nous produire au Central, un club privé de Manhattan fréquenté essentiellement par les petits fils à papa du coin. Je n'apprécie guère cet endroit mais ce que je déteste par dessus tout, c'est de devoir me rabaisser à jouer notre musique pour des jeunes qui n'en n'ont rien à faire et qui sont uniquement là pour boire à en perdre raison. Cependant, en l'absence totale d'autres propositions, il faut bien vivre, nous n'avons pas le choix.
Louka, Nate, Mickael et moi attendons notre heure de passage, attablés dans la salle, à discuter et rire de tout et de rien. Comme chaque Samedi, une bouteille de champagne offerte par la maison nous attend, pour être honnête, on ne s'en prive jamais. Ca nous aide peut-être à avoir le courage dont on a besoin pour jouer ici.
Comme à mon habitude, je parcours la salle des yeux. Je scrute les gens, je les observe, désespéré intérieurement par tout ce que je vois. Des filles à peine habillées et complètement ivres à seulement 10h du soir, des garçons titubants, bouteille à la main essayant désespérément de trouver une fille à draguer. C'est exaspérant.
Mes yeux continuent de balayer la salle pour passer le temps, lorsque soudain, ils se posent sur elle.
Sans comprendre pourquoi, je n'arrive pas à détacher mon regard de cette fille, elle semble perdue dans ses pensées et dubitative, un peu comme moi. Elle aussi parcoure la salle des yeux en observant, interloquée, ce qui se passe ici. Les petites mimiques de son visage me font sourire, un sourire que je ne peux empêcher d'apparaître bêtement sur mes lèvres.
De longues minutes passent sans que je ne puisse cesser de l'observer, tantôt elle sourie, tantôt elle a le visage dur, un instant elle semble mal à l'aise puis le suivant elle se mêle aux autres telle un caméléon. Fascinante, pensais-je.
Cette fille dégage quelque chose que je ne saurai expliquer. Jamais je n'ai trouvé quelqu'un de si fascinant à observer. Pourtant, c'est ce que je fais à longueur de journée, observer les gens. Dans la rue, dans les discothèques, aux terrasses de cafés. J'adore scruter chaque personne que je croise et m'imaginer leurs vies, et ce, depuis tout petit.
Il faut que je lui parle, pensais-je.
- Adam ! Tu rêves ou quoi ? Il faut qu'on y aille, c'est notre tour ! Réveilles toi ou tu vas massacrer nos morceaux !
Louka me sort subitement de ma rêverie parallèle. Je me lève mécaniquement, encore perdu dans mes pensées. Je suis les garçons vers la scène, sur le chemin, je me tourne pour l'observer une dernière fois mais à ma grande surprise, elle n'est plus là.
Après cinq morceaux, nous descendons de scène pour regagner notre table. J'ai merdé, je me suis trompé dans les paroles, je n'étais pas du tout à ce que je faisais. Les garçons ont dû faire des pieds et des mains pour rattraper mes bêtises et essayer de me suivre malgré tout. Je n'ai pas pu m'empêcher de la chercher dans la salle. Après avoir scruté cette dernière de fond en comble sans la trouver, j'ai pensé qu'elle était partie. Finalement, je n'ai remarqué qu'a la dernière chanson qu'elle était juste sous mes yeux, sur la piste en train de danser avec une copine. Dés lors, mes yeux ne l'ont pas quitté. Elle semblerait différente de la jeune fille que j'ai observé tout à l'heure. Cette fois elle riait, elle dansait, elle semblait heureuse, tout simplement. Ce sourire, il m'a tout simplement donné l'impression d'être heureux moi aussi. Résultat, je n'ai pas réussi à me concentrer une seule seconde sur ce que je faisais. Moi qui suis d'habitude très perfectionniste, je m'en fiche complétement. De toutes façons, personne ne nous écoute vraiment, ils sont tous bien trop occupés à picoler.
Nous étions au milieu de la piste en train de jouer des coudes pour la traverser lorsque Louka se tourne vers moi, en colère.
- Sérieux Adam, c'était quoi ce bordel ? Dit-il sèchement.
- Je ne sais pas Louka, mentais-je. J'ai merdé c'est tout, ça arrive à tout le monde. Je suis désolé, mais ce n'est pas la fin du monde.
- Ce n'est pas la fin du monde ? Tu imagines s'il y avait eu un producteur à cette soirée ? Je sais que ce n'est pas l'idéal mais ils paient bien et on ne sait jamais, parmi tous ces fils à papa, peut-être que l'un d'eux travaille dans une maison de disque. Baisse pas les bras, dit-il en me mettant une petite tape sur l'épaule pour m'encourager.
- Je sais Louka, je ne baisse pas les bras, j'étais juste un peu ailleurs, c'est tout, finis-je par confesser.
- Comment ça, ailleurs ? Demande t'il surpris.
Nous étions presque arrivés à notre table lorsqu'en me tournant pour lui répondre, prêt à lui expliquer pourquoi j'ai autant merdé, mon épaule percute violemment quelqu'un. Je fais immédiatement volte face et m'aperçois que j'ai fais tomber quelqu'un. Instantanément, je présente ma main pour aider cette personne à se relever. Mon regard croise le sien, ses yeux couleur saphir transpercent les miens. C'est elle. Le souffle coupé, je reste quelques secondes ainsi, comme paralysé par l'intensité de son regard plongé dans le miens. Je ne peux expliquer ce que je ressens à cet instant mais bon sang, que se cache t'il derrière ces yeux enivrants aux multiples facettes ? Je dois le découvrir.
Sentant que le moment commence à s'éterniser et à devenir gênant, Louka me met un petit coup de coude discret qui me fait immédiatement revenir à la réalité. Gêné, je réussis à bafouiller quelques mots tant bien que mal.
- Je suis désolé, je ne t'avais pas vu, j'espère que je ne t'ai pas fait mal ?
- Non ça va, merci, dit-elle sèchement.
- Je t'invite à boire quelque chose pour me faire pardonner ? Tentais-je maladroitement.
- Non merci.
Son regard soutenant le miens avec fermeté, elle me répond avec une froideur qui me glace les os. En un rien de temps, elle tourne les talons et se met à marcher en direction de ses amis pour reprendre place à sa table tandis que je reste planté là, comme un abrutit. Je l'observe encore quelques minutes, espérant qu'elle tourne les yeux vers moi. Elle ne le fit pas.
- Adam, ça devient gênant là, tu comptes rester planté là où on peut retourner s'asseoir ? Me demande Louka.
- Mais c'est qui cette fille ? Tu as vu son regard ? Dis-je encore abasourdi.
- Oui, elle est canon, tu vas t'en remettre ou pas ? répond t'il en riant.
- Mais non, c'est pas ça ! Enfin si, elle est canon, je ne dis pas le contraire, mais il y a autre chose ! Dis-je pour me justifier.
- Mais il t'arrive quoi ? Tu as un peu trop forcé sur le champagne à mon avis ! dit-il en me regardant avec insistance.
- Mais n'importe quoi ! Tu comprends rien ! Je sors fumer, dis-je en partant vers la porte.
Encore sonné de ce moment si particulier, je m'assois sur le petit muret devant le club. Fumant cigarette sur cigarette je me repasse en boucle cette soirée afin d'y voir plus clair, sans succès. Plus j'essaie de réfléchir et plus je m'embrouille l'esprit. Le temps passe et je ne saurai dire depuis combien de temps je suis assis là, mais je suppose que ça fait un bon bout de temps au vu du monde qui a déjà quitté les lieux. A présent, la rue est presque déserte. Les yeux perdus dans le vide, je tente de me motiver à me lever pour retrouver les gars et rentrer à la maison, j'ai une flemme internationale.
Des bruits de talons me font lever la tête. Même de profil, je la reconnais instantanément.
Sans même me remarquer, elle se précipite au bord de l'avenue. Je la vois s'agacer devant le nombre incalculable de taxis qui passent devant elle sans s'arrêter. La moue qui apparaît sur son visage me fait sourire. Bon d'accord, elle me fait fondre, je l'admets. Soudain pris d'un réalisme fou, je bondis sur mes pieds. Si je la laisse partir maintenant, je ne la reverrai jamais, pensais-je. Elle marche en direction de Park avenue, surement pour trouver un taxi, pensais-je. Pris d'un sentiment de panique incompréhensible, j'arrive à côté d'elle en trois grandes enjambées.
- Tu pars déjà ? Dis-je bêtement.
J'aurai quand même trouver mieux.
Prise d'un sursaut, elle se tourne brusquement pour me faire face.
- Ça ne se voit pas ? Répond t'elle aussi froidement que tout à l'heure.
- Qu'est-ce que tu es agressive ! Tu as passé une mauvaise soirée ? Demandais-je en ignorant sa mauvaise humeur.
- On peut dire ça, finit-elle par me dire plus gentiment.
- J'espère que ce n'est pas à cause moi tout de même ? Dis-je pour tenter de détendre l'atmosphère.
Elle rigole nerveusement.
- Je vais peut-être t'apprendre quelque chose, mais tu n'es pas le seul être humain sur cette terre, par conséquent, elle ne tourne pas uniquement autour de toi. J'en suis désolée.
- Ah mais c'est que tu as quand même de l'humour, dis-je accompagné d'un petit sourire en coin, fière d'avoir réussi à la détendre un peu.
Sans me répondre, elle se met à marcher.
- Mais attend, c'est bon, ne fais pas la tête, je rigolais ! Dis-je en la rattrapant.
- Je ne fais pas la tête, Je reprends juste là où je m'étais arrêtée par ta faute.
- Bon, et tu vas où comme ça ? Demandais-je pour changer de sujet.
- Ah d'accord, t'es un lourd en fait ? Répond t'elle sérieusement.
Quoi ? C'est vraiment ce qu'elle pense ? Pensais-je interloqué.
- Pas du tout ! M'offusquais-je. Je voulais juste être sympa, t'avais l'air d'avoir passé une mauvaise soirée et je me suis dis que je pouvais peut-être la rendre un peu meilleure. C'est comme ça que ça fonctionne ici, je ne sais pas d'où tu viens, mais je parierai bien sur un pays de l'est, où il fait froid et où les gens sont le reflet du climat tiens, la Russie peut-être ? Dis-je agacé.
- Très drôle ! T'as fait l'école du rire ou quoi ? Dit-elle, visiblement vexée.
- Non je suis très sérieux, alors, tu viens d'où ? Demandais-je à nouveau, on ne peut plus sérieux. Je suis bien curieux de savoir d'où provient cet accent
- Je suis Française, dit-elle après quelques secondes d'hésitations.
- J'étais pas si loin que ça, dis-je en riant. A mon grand étonnement, je réussis enfin à lui décrocher un sourire.
Première victoire, pensais-je.
J'ai à peine eu le temps de savourer intérieurement cette petite victoire qu'un taxi s'est garé à côté de nous sans que je ne le remarque. Je n'ai même pas eu le temps de réaliser qu'elle était déjà en train de monter à l'arrière.
Je croise furtivement son regard.
- Mais Attend ! Je...
Elle est déjà partie.
« Fin du Flash Back »
Juillet 2013
« - Il est déjà 14h30 Louka, ça fait deux heures et demi qu'elle devrait être là, même avec de la circulation et un contretemps, ça commence à faire long, dis-je agacé.
- Tu as peur de quoi au juste ?
- A ton avis ! Qu'il lui soit arrivé quelque chose ! Je ne sais pas moi, le taxi à pu avoir un accident par exemple ! Répondis-je en haussant le ton.
- Calmes toi Adam, tu imagines tout de suite le pire, on va attendre encore un peu et si dans une heure elle n'est pas là on agira, ça te va ?
- D'accord, dis-je en me laissant tomber sur le canapé. »
Je me redresse brusquement, essoufflé et en sueur. Un regard furtif autour de moi, je suis bien chez moi, tout va bien. Ce n'était qu'un cauchemar, encore. Il me faut quelques instants pour reprendre mes esprits et réussir à respirer de nouveau correctement. Mes nuits se ressemblent toutes, je suis épuisé de ne pas réussir à avoir ne serait-ce qu'une nuit paisible, je suis fatigué.
Comme chaque fois, je me lève de mon lit et me dirige vers la cuisine pour me servir un verre d'eau fraîche. Une fois mon souffle retrouvé, je m'assois au bar de la cuisine, saisis le bloc note qui s'y trouve et commence à y griffonner toutes les pensées qui me traversent, des mots, des phrases, des vers, des paroles...
Il n'y a que ça qui m'inspire, ces sentiments qui me traversent de pars en pars, me foudroyant au passage avant d'atterrir sur le papier. Chaque fois c'est la même chose, depuis deux ans maintenant.
Toutes mes chansons ne parlent que de ça. Les années, la notoriété, la consécration de mon rêve, le nombre incalculable de rencontres que j'ai pu faire, tout ça n'y a rien changé. Même l'alcool et tous les autres paradis artificiels n'ont rien pu y faire.
Je ne suis inspiré que par elle.
« Un océan nous sépare, jour après jour, je deviens fou.
Peu importe où tu es, peu importe ce que tu fais,
Je t'attends.
Peu importe ce qu'il m'en coutera ou comment mon cœur se brisera encore une fois,
Je t'attends. »
Je pose mon stylo, épuisé par ces quelques mots griffonnés sur le papier, ce papier qui n'en ai qu'un parmi des centaines d'autres. Ecrire, c'est brûler en silence.
J'ouvre le placard du salon, prends une bouteille de scotch et me sert un verre. Un deuxième. Un troisième. Un quatrième. Un cinquième. Un cachet.
Je sais que je ne devrai pas, mais je n'arrive pas à m'en empêcher.
Ça y est, Je l'a vois enfin, je vois ses yeux plongés dans les miens, je vois ses cheveux volés au vent, je vois sa bouche formé ce sourire que j'aime tant, j'entends son rire raisonner dans mes oreilles, je sens l'odeur de son parfum m'enivrer comme si elle était vraiment là.
La bouteille se fracasse contre le mur, la télécommande, le vase, le cadre.
Prisonnier de cette rage qui m'envahit depuis des mois, je ne peux m'empêcher de broyer tout ce qui se trouve sur mon chemin, je ne peux plus, je n'y arrive plus. J'ai mal, mal au thorax, mal au ventre, mal au cœur. J'ai mal partout, une douleur diffuse, une douleur pétrifiante, ravageuse. Sans pouvoir me contrôler, un son roque sort de ma gorge, un cri, puissant, fort, je hurle de toutes mes forces. A bout de souffle, je tombe à genoux, les larmes perlent mes joues. Epuisé, je m'écroule ainsi, au milieu du salon. Recroquevillé, j'essaie de respirer, j'essaie de me ressaisir, j'essaie de me relever, en vain. J'ai l'impression de revivre cette scène sans cesse depuis un temps que je ne saurai plus définir, j'ai l'impression que chaque fois, j'appuie sur « repeat », revivant ainsi toujours le même moment. Le visage enfouie dans mes mains, je réussis peu à peu à respirer normalement. Sans aucune force, démuni de toute forme d'énergie, je m'endors ainsi, comme hier, comme avant-hier, comme souvent, trop souvent.
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