Chapitre 1, Aria
1
Aria
Juillet 2013
Enroulée dans mes draps, je profite de ce moment précieux où le terrible bruit de mon réveil ne surgit pas de nulle part pour m'extirper de mon sommeil bien-aimé ainsi que de mes inlassables rêveries. Lorsque je suis réveillée, j'aime passer quelques minutes dans mon lit avant de me lever. Les yeux clos, je me perds dans mes songes et je me prends souvent à rêvasser de ce que je souhaiterai faire, de qui je souhaiterai être. L'espace d'un instant, je suis loin de la vie réelle et ça fait un bien fou.
Aujourd'hui, c'est mon premier jour de vacances, je compte bien en profiter comme il se doit. Programme de la journée : Flâner au lit, lire un livre, regarder un film. Les vacances, tout simplement.
- ARIA !
La voix d'Elisabeth hurlant mon prénom de bon matin depuis la cuisine est finalement bien pire que le terrible bruit de mon réveil, pensais-je
Moi qui rêvais de traîner au lit encore un bon moment, il faut croire que ça sera pour un autre jour.
- ARIA ! Lève-toi !
Et moi qui pensais être en vacances.
- J'arrive, répondis-je d'un ton agacé.
Soudain de mauvaise humeur, je finis par me lever afin de rejoindre Elisabeth dans la cuisine. En trainant des pieds, je parcours le couloir et descends les escaliers, me demandant pourquoi est-elle encore d'humeur tyrannique le premier samedi de nos vacances.
- Je peux savoir pourquoi tu m'appelles en hurlant à 8h du matin le premier jour des vacances ? Lui dis-je agacée.
- Dépêche-toi de te préparer Aria, j'ai réussi à t'obtenir un cours particulier à 9h30 avec le répétiteur de la meilleure compagnie de danse de Russie
-Pardon ? Tu as fait quoi ? Je te rappelle que nous sommes en vacances, et toi, tu m'organises déjà un cours particulier alors que je suis en vacances depuis quoi, même pas 24h?
- Aria, arrête de faire ton enfant, c'est un honneur qu'il te fait, tu n'imagines même pas ce que j'ai dû faire pour t'obtenir ce cours, alors arrête de râler pour ces "vacances", tu sais très bien qu'une vraie danseuse doit s'entraîner sans répit.
- Jusqu'à ce que mort s'en suive pendant que t'y es ! Je ne fais que ça Elisabeth, je n'ai pas pris un seul jour de repos cette année. Quand je ne prenais pas les cours de l'école, c'était des stages les weekends, pendant les vacances scolaires et des cours particuliers le soir. Tu étais d'accord que si je suivais à la lettre toutes tes recommandations, cet été, je pourrai faire ce que moi j'avais envie de faire.
- Et alors ? C'est ton rêve Aria et si tu veux devenir la plus jeune danseuse étoile, tu dois continuer dans cette voix. Tu ne dois surtout pas relâcher la pression pour faire des activités d'ados immatures et sans ambitions sans aucun intérêt pendant l'été.
- On parle de mon rêve ou du tiens là ?
- Ça suffit Aria ! Tu vas te préparer un point c'est tout ! Tu te rends compte de tout ce que je fais pour toi ? Et c'est de cette façon dont tu me remercies ? Où serais-tu sans moi ? Dans une médiocre famille d'accueil qui ne t'aurait même pas laissée poursuivre tes rêves ! Voilà où tu serais ! Alors maintenant, tu files à la salle de bains te préparer comme il se doit et je ne veux plus entendre un mot.
Ses mots résonnent instantanément en moi. Elisabeth n'a pas pour habitude de me balancer mon passé au visage mais lorsqu'elle le fait, c'est en sachant pertinemment à quel point ça me blesse. Chaque nouvelle fois est une fois de trop. Une fois de plus où je songe à ce que je n'ai pas et à ce que je souhaiterai le plus au monde, que mon père et ma mère soit ici, prés de moi, tout simplement.
Sur ces paroles blessantes, je me tourne sans un mot et pars en direction de la salle de bain. Au fond de moi, je sais qu'Elisabeth à raison, je sais qu'elle fait énormément de choses pour moi et que si elle n'avait pas été là, je serais en famille d'accueil.
Mes parents sont décédés dans un accident de voiture lorsque j'avais 9 ans.
Comme ça, du jour au lendemain, ils m'embrassèrent le matin me souhaitant une bonne journée et ne revenir jamais. Je crois que personne ne peut imaginer ce que peut ressentir une enfant de neuf ans au moment où on lui apprend qu'elle ne reverra plus jamais ses parents. Ce petit cœur frêle et à peine formé qui se brise en un milliard de morceaux. Ce jour-là, j'avais perdu une maman, un papa, mais pas seulement, je venais de perdre ma vie, mon avenir, mes rêves et surtout, tous mes repères. Depuis ce jour, j'ai grandi, mais je n'ai jamais réussi à trouver ma place dans ce monde. Pourquoi suis-je ici ? Qui suis-je ? Pourquoi est-ce que j'existe ? Je n'arrive pas à trouver la réponse à ses questions, le réel sens de ma vie, tout simplement parce que je n'arrive pas à trouver le sens de cet accident. Pourquoi est-ce tombé sur ma famille ?
Elisabeth était mon professeur de danse à l'Opéra, et depuis mes trois ans, elle m'a pris sous son aile. Lorsqu'elle a appris la terrible nouvelle et lorsqu'elle su que mis à part mon frère qui ne pouvait guère s'occuper de moi je n'avais aucune autre famille, elle n'a pas pu accepter l'idée que je sois placée en famille d'accueil et surtout que je sois déscolarisée de l'Opéra. Elle à donc entamé une procédure afin de devenir ma tutrice légale. Elisabeth n'a jamais eu d'enfants, les carrières de danseuses de son époque ne le permettant pas, je pense qu'elle a vu en moi l'espoir qu'elle n'avait jamais osé avoir.
Ainsi, du jour au lendemain je me suis retrouvée à vivre chez elle. Je me souviens la première fois où je suis entrée ici, je me rappelle avoir trouvé cet endroit froid et sinistre. Aucune chaleur ne semblait se dégager de cet appartement, c'était bien différent de chez moi.
Voilà maintenant 8 ans que je vis ici et mon ressenti n'a jamais changé, je ne me suis jamais sentie à ma place ici.
C'est en me remémorant ces tristes souvenirs que je commence à retirer mon pyjama.
J'appuie sur le bouton ON de la radio et entre vite sous la douche au rythme des hits musicaux de cet été qui à eux seuls réussissent à me rendre peu à peu le sourire. J'adore la musique. Je savoure l'eau chaude qui se déverse sur ma peau et malgré les recommandations d'Elisabeth, je prends tout mon temps. Je n'ai aucune envie d'aller à ce cours, mais par reconnaissance pour Elisabeth, je n'ai pas le choix. Je sais qu'elle le fait pour moi, elle veut ce qu'il y a de meilleur pour ma carrière et en un sens, j'ai beaucoup de chance. C'est simplement que parfois, j'aimerai juste pouvoir être une adolescente comme les autres. Etre insouciante, sortir avec mes amis, n'avoir rien d'autre à penser que m'amuser et vivre pleinement chaque minute, tout ça ne fait pas vraiment partit de mon quotidien, je me sens souvent en décalage avec les gens de mon âge, j'ai parfois l'impression que nous vivons dans deux mondes différents et ce n'est pas toujours facile à vivre.
Après avoir entendu Elisabeth m'appeler une énième fois, je me décide enfin à sortir de la douche. J'ouvre le rideau et attrape ma serviette de bain.
Au moment de poser un pied à terre, mon corps se fige. Un instant, j'ai eu l'impression d'être projetée dans un autre temps, dans un autre endroit, à un autre moment. Reprenant difficilement mes esprits, je me tourne brusquement vers la radio. Je me dirige vers elle et la prends dans mes mains afin de l'approcher de mon oreille pour être sûr de ne pas rêver.
Lui, je sais que c'est lui. Cette voix que je pourrai reconnaître parmi des milliers d'autres provient de cette petite radio posée au bord du lavabo. Il n'y a aucun doute possible.
Ma tête se met à tourner et le rythme de mon cœur à accélérer. Ma vision devient légèrement floue et sans comprendre ce qui est en train de m'arriver, je m'assois sur le rebord de la baignoire, les yeux toujours rivés sur la petite radio que j'ai reposé. Je reste ainsi sans bouger, comme hypnotisée. Sa douce voix transperce mon être, me privant alors de tout oxygène. Sans un bruit, sans un battement de cils, je ferme les yeux, écoutant chacun des mots prononcés dans cette chanson.
« Je ne sais pas où tu te caches, mais je t'en prie, écoute-moi.
J'espère que tu entendras ces mots, écris rien que pour toi.
Je ne sais pas où tu te caches, mais je t'en prie ne m'oublie pas,
Je veux que tu saches, que jamais je n'ai cessé de penser à toi.
Je ne sais pas où tu te caches, mais sans toi, je n'y arrive pas,
Je t'en prie, retrouve-moi. »
Immobile, complétement nue et le regard vitreux, je me remémore en un éclair cet été passé à New York il y a maintenant deux ans.
Chaque mot, chaque geste, chaque souvenir me transpercent de part et d'autre, comme si tout ce que j'avais volontairement refoulé dans une petite partie de ma mémoire ces deux dernières années, resurgissait avec la force d'une bombe nucléaire. Les images défilent dans ma tête sans que je ne puisse y avoir aucun contrôle, ça ne s'arrête plus, ça m'envahit. Je ne sais plus où je suis ni l'heure qu'il est, ma tête tourne et je suis incapable de me lever. Je suis comme perdue dans un monde parallèle, embuée par tous ces souvenirs qui refont surface en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
La porte de la salle de bain s'ouvre brusquement, ce qui me ramène précipitamment à la réalité.
- Mais bon sang Aria, qu'est ce que tu fais ? Tu veux vraiment arriver en retard et faire mauvaise impression à Mr Kaviscof ?
- J'étais dans mes pensées, désolée. Je me dépêche, dis-je en me dirigeant rapidement vers ma chambre pour m'habiller.
Elisabeth reste plantée devant la porte, ce qui a le don de m'agacé.
- C'est bon Elisabeth, tu peux m'attendre en bas, je ne vais pas m'envoler.
- Ne me parle pas sur ce ton et dépêche toi parce que je vais vraiment m'énerver. Prend ton justaucorps violet, il te va bien au teint. Prend aussi tes nouvelles pointes, tu dois être impeccable, dit-elle en m'observant attentivement préparer mon sac.
Je m'exécute rapidement sans dire un mot, je n'ai pas envie de perdre encore plus de temps et d'énergie à me battre avec elle. S'il y a bien une chose que j'ai compris ces huit dernières années, c'est qu'Elisabeth ne changera jamais. Dans ce cas, à quoi bon perdre mon temps ?
Une fois mon sac terminé, nous descendons l'escalier l'une derrière l'autre. Une fois dans l'entrée, j'enfile un petit gilet pour affronter la fraicheur de ces premières matinées d'été. Nous gagnons le parking où nous prenons place dans la voiture. Comme toujours, le trajet s'effectue dans un silence de mort.
Lorsque nous arrivons à l'école, je me précipite au vestiaire pour me changer rapidement. Ce dernier est désert, rien de plus normal puisque nous sommes en vacances. Enfin, quand je dis nous, je veux dire tous les autres élèves mis à part moi bien entendu.
J'entre dans le studio de danse où pour le moment seule Elisabeth s'y trouve. J'ai à peine eu le temps de poser mon sac et ma bouteille d'eau sous une barre qu'elle me dit déjà ce que je dois faire.
- Fais quelques pliés, quelques dégagés puis passe directement aux fondus puis aux grands battements, tu n'as pas le temps d'en faire plus.
- C'est bon Elisabeth, je sais quoi faire, dis-je lassée.
- Si tu savais quoi faire, tu te serais dépêchée à la maison pour pouvoir faire une barre complète afin d'être vraiment prête, répond-elle sèchement.
Elle sait toujours quoi dire pour me clouer le bec, c'est fou, pensais-je en commençant mes pliés.
Je fais mes exercices dans l'ordre qu'elle m'a indiqué, je n'ai pas envie de l'affronter plus que ça. J'admets que je finis généralement par faire ce qu'elle me demande. Je préfère fuir les conflits, j'ai toujours été un peu comme ça.
Mr Kaviscof entre dans le studio au moment où je termine mon dernier exercice. Je le salue d'une révérence réglementaire et me place au centre pour attendre ses recommandations. Ce cours va être long, pensais-je.
Deux heures plus tard, je regagne enfin le vestiaire, épuisée. Karviscof était exactement comme je l'imaginais. Froid, chiant et de mauvaise humeur, comme tous les maîtres de danse Russes. Bon, d'accord, ils ne sont pas tous comme ça, mais presque.
Après m'être changée, je retrouve Elisabeth dans le hall et nous prenons la direction du parking. Je sais que comme toujours, je vais avoir le droit à mon petit débriefing.
Ça ne loupe pas, à peine avons nous mis un pied dans la voiture qu'Elisabeth début son interminable monologue.
- Bon, c'était pas mal du tout, mais tu peux mieux faire. Tu dois faire attention à ton en-dehors, dans la rapidité tu as tendance à le perdre un peu. Fais aussi attention à tes pirouettes, tu donnes parfois trop d'élan. Tes levés de jambes étaient magnifiques, tu as vraiment fait de beaux progrès là-dessus.
Ah, un compliment, c'est assez rare pour le souligner, pensais-je.
- Tu as eu un bon comportement mais tu devrais penser à sourire un peu plus, une danseuse qui tire la tronche, ce n'est jamais très agréable, tu comprends ? Dit-elle en tournant la tête vers pour obtenir une réponse.
- Oui, dis-je simplement.
Heureusement que j'aime danser, sans ça je pense que mon quotidien serait encore plus insupportable qu'il ne l'est déjà. Mais peu importe ce qu'elle fera, elle ne m'enlèvera jamais ça, c'est ne certitude. Je tiens cette passion de maman, c'est tout ce que j'ai pu partager avec elle durant le peu de temps où je l'ai connue, je chérirai ça chaque jour de ma vie.
Elisabeth continue son monologue et je ne l'écoute déjà plus.
Regardant le paysage défilé a travers le fenêtre, je repense à la chanson de tout à l'heure.
Chaque mot prononcé resurgit dans ma mémoire laissant au passage une trainer de frissons sur mon corps.
Je me demande une nouvelle fois, comment est-ce possible ? Je sais pourtant que je ne me fais pas d'idées.
C'était lui, c'était sa voix, ses mots et ils étaient pour moi, je le sais.
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