Heureusement pour Agathe, elle a su mettre de côté son trouble le temps de l'examen. Cela lui a permis de ne pas rester immobile devant une copie blanche. Étant donné qu'elle faisait partie des derniers élèves à sortir, Nathan et Coralie l'attendaient de pied ferme.

-- Ah enfin, déclara Coralie. Alors ça a été ?

-- Oui je m'en suis bien sorti, répondit la jeune femme.

Il était un peu plus de midi, ainsi, les trois jeunes gens se dirigèrent vers le self. Après s'être servi, ils occupèrent une table ronde pour quatre personnes près de la fenêtre. Chacun déposa son plateau avec son alimentation bien à lui : Nathan était un vrai viandard, Coralie était végétarienne et Agathe était le juste milieu. Alors que, pendant leur repas, ils dévoilaient leur projet du week-end, une professeure les rejoignit.

-- Ah je vous trouve enfin, lança-t-elle en s'asseyant sur la chaise vide.

-- Que voulez-vous Madame ? questionna Nathan qui savait qu'elle était là pour lui.

-- Je viens vous parler du devoir que vous m'avez rendu la semaine dernière. Je l'ai lu et je ne vais pas vous cacher que c'est assez minable. Arguments bancaux, mauvaise méthode, hors-sujet et j'en passe. Je crois que les cours particuliers que je vous ai gracieusement donnés n'ont pas encore porté leurs fruits.

-- Excusez-moi Madame, interrompit Coralie, mais nous avions comparé nos devoirs peu de temps avant de le rendre et ils étaient plutôt similaires. Pourtant, une amie d'une autre classe m'a assuré vous avoir vu noter un 16 sur ma copie pendant son cours.

-- Un 16 ? Votre amie a dû inventer le 1. C'est un 6 que je vous ai donné. Sur ce, quand seriez-vous libre Nathan ? N'oubliez pas qu'un de vos parents doit être présent tout de même.

-- Je n'ai pas oublié... Eh bien je vous propose demain à 15h.

-- Parfait ! À demain !

La professeure partit toute contente, ce qui ne fut pas le cas de Coralie.

-- 6 ?! Vous vous rendez compte ! 6 !! Je vais me faire détruire !

-- Ta note d'origine devait être 16 et elle va sûrement la modifier immédiatement, soupçonna Agathe.

-- Et elle ferait ça parce que j'ai pris la défense de Nathan ?

-- Sûrement. Et toi, tu en penses quoi ? demanda-t-elle à Nathan.

-- Ce n'est que la routine.

-- Tu en es sûr ?

-- Bien sûr. J'ai réussi mon devoir comme toi Coralie. Pourtant elle souhaite toujours avoir un contact avec mon père et donc elle invente ces mauvais résultats. Je vous rappelle que c'est comme ça depuis le début de l'année, cela ne va pas changer.

-- C'est quand même incroyable qu'elle en veuille toujours à ton père de l'avoir larguée. Cette histoire doit dater maintenant.

-- Elle est plus vieille que moi, ria Nathan. Surtout que leur relation n'a pas duré plus de trois mois.

-- Il faut vraiment que tu en informes le proviseur, lança Agathe.

-- J'ai déjà essayé de la balancer mais ça n'a rien donné. Étrangement, elle est très proche de tout le monde.

-- Moi je pense qu'elle mène tout le personnel par le bout du nez, avoua Coralie. Elle doit avoir des dossiers de plein de gens et s'en sert pour son profit.

-- Une vrai pouffiasse, souffla Agathe.

-- En fait, la situation a un bon point positif : mon père a juste à lui faire la bise et j'ai 18 au prochain contrôle. Et comme ça fait un bout de temps qu'ils ne se sont pas vus, mes notes baissent.

-- Mais ça ne se fait pas pour ton père !

-- Je sais, je sais. Je suis un peu dans une impasse.

Sur cette réplique, les trois compagnons finirent rapidement leur déjeûner et partirent en cours.
L'après-midi passa particulièrement vite. Comme la journée précédente, Agathe et Nathan firent le chemin jusqu'à chez eux ensemble. Un seul détail vint s'immiscer. Pas très loin de l'université, Agathe se fit interpeller par un homme depuis le bar de la rue opposée. Elle reconnut celui qui faisait tout pour attirer son attention.

-- Tu ne vas tout de même pas aller le voir ? s'inquiéta Nathan.

-- C'est uniquement pour pouvoir mettre un nom sur son visage.

-- Je t'accompagne, déclara le jeune homme en s'avança mais sa marche fut coupée par le bras d'Agathe.

-- Je ne vais pas t'embêter à cela. Tu ferais mieux de rentrer chez toi.

-- Mais...

-- Que veux-tu qu'il m'arrive ? Rien je t'assure.

À contre-cœur, Nathan partit dans la direction opposée. Agathe, quant à elle, traversa la route.

-- Nous allons enfin parler seul à seul, déclara le jeune homme lorsque l'étudiante le rejoignit.

-- Que me veux-tu ?

-- Je veux juste discuter, faire connaissance. Je parie que tu ne sais même pas qui je suis.

Elle acquieça en guise de réponse.

-- Je m'appelle Eliott. J'ai un an de plus que toi, précisa-t-il. Je peux te proposer un verre ?

-- Eh bien...

Elle repensait à ce qu'elle avait dit à Nathan. Malgré cela, elle accepta la proposition. Son ami n'en saura jamais rien et cela lui évitera de faire tout un drame. Elle commanda donc un soda tandis qu'Eliott prit une bière.

-- C'était ton ami tout à l'heure j'imagine, déduisit le jeune homme en prenant une gorgée de sa boisson.

-- Oui pourquoi ?

-- Oh rien d'important. C'est juste qu'il me paraît un peu pot de colle non ? Moi à sa place je te laisserai vivre.

-- Il est protecteur c'est tout, défendit Agathe.

-- C'est le moins qu'on puisse dire ! S'il pouvait te suivre partout je suis sûr qu'il le ferait, se moqua-t-il.

-- Eh je suis venue pour qu'on parle de moi ou de lui ?

En prononçant ces mots, elle remarqua qu'ils pouvaient être pris dans un sens qui ne l'arrangerait pas forcément.

-- Tu veux qu'on parle de toi ? Eh bien vas-y je t'écoute. Qu'as-tu à me dire ?

-- Ce n'est pas vraiment ce que je voulais dire...

-- Pas besoin d'être gênée. Bon, si tu préfères c'est moi qui commence. J'ai deux petites sœurs. Elles sont adorables comme tout. En dehors de l'école quand j'ai du temps je fais du basket et de la musculation.

-- Intéressant... dit-elle en levant les yeux.

-- Tu ne me crois pas ?

-- Hein ?

Eliott ouvrit alors sa chemise laissant apparaître ses pectoraux.

-- Mais tu es fou ! s'écria Agathe. Ok moi, je m'en vais.

Elle se leva et commença à partir avant de revenir en vitesse.

-- Je n'ai pas fini mon soda, ça serait dommage de gâcher.

Elle finit la canette d'un coup et s'en alla définitivement.

-- Un vrai taré celui-là ! se dit Agathe.

++++++++++

-- Comment s'est passée ta journée Agathe ? demanda son père.

-- Ça a été, répondit-elle sans préciser son passage au bar.

-- Tu ne vas pas travailler ce soir, c'est le week-end après tout.

-- Non ne t'inquiète pas.

-- Super. Au fait, les parents de Nathan nous ont invités pour le dîner.

-- Celui-ci ?

-- Non demain. Ton ami est passé il y a quelques minutes. Il viendra pour nous accompagner. C'est au bar pas loin d'ici. Tu sais celui en face de l'université. Apparemment il fait aussi restaurant le soir.

-- Je vois où il est. Je vois même trop bien...

-- D'ailleurs, j'ai repassé ta robe bleue au cas où tu voudras la mettre.

-- Merci beaucoup.

Elle monta dans sa chambre et s'allongea sur son lit. Depuis tout à l'heure, elle n'arrêtait de penser à Eliott.

-- Elles ne partent pas ces images en plus ! se plaigna-t-elle en prenant sa tête dans ses mains.

Quelques minutes plus tard, son père l'appela pour manger. Elle le rejoignit aussitôt. Ensuite, c'était soirée tranquille. Chacun restait de son côté en train de lire son livre. Lorsqu'il commençait sérieusement à se faire tard, le père d'Agathe alla dans sa chambre pour lui dire d'aller se coucher. Quand il entra dans la pièce, elle était sur le point de s'endormir.

-- Fais de beaux rêves.

☆☆☆☆☆☆☆☆☆☆

Agathe rouvrit les yeux mais quelque chose la dérangeait. Elle ne voyait toujours rien.

-- Tu es enfin revenu ! Tu ne t'es jamais dit que j'avais besoin de ton aide depuis la dernière fois ?

-- Je reconnais cette voix... Attend, tu n'es pas mon subconscient ?

-- Bravo championne ! ironisa-t-il.

-- Ce n'était donc pas un rêve ?!

-- Bien sûr que si. Tu n'es pas très futée finalement... Quel mot ne comprends-tu pas dans "rêve continu" ?

-- Ah ! Donc je fais le même rêve que la dernière fois ?

-- Pas exactement. Là tu vis la suite du rêve.

-- Excuse-moi mais ce n'est pas facile à assimiler.

-- Bah vas-y prend ton temps. Ce n'est pas comme si je n'avais pas que ça à faire, répondit son subconscient.

-- Par contre, comment fait-on pour sortir ?

-- Je n'en ai aucune idée...

-- Je croyais que tu contrôlais mes rêves.

-- Et c'est le cas... en général. Je pense que ta réaction dans le tribunal a provoqué une suite alternative. Une suite sur laquelle je n'ai aucun contrôle ! Quand je te disais de jouer ton rôle c'était pas pour t'embêter, c'était ce qui était prévu dans le rêve.

-- Tu voulais donc que je me confronte à ma meilleure amie ? Mais tu es un vrai salaud en fait !

-- Eh calme-toi !

Tandis que la dispute éclatait, une trappe s'ouvrit sous les deux personnes. Elles tombèrent dans un toboggan jaune fluo à pois roses qui descendait sur une dizaine de mètres. La descente faisait mal à leurs yeux et l'atterrissage à leurs fesses.

-- Où sommes-nous maintenant ? demanda Agathe.

-- Mais je n'en sais rien moi ! s'exaspéra son subconscient.

-- Au fait, tu as un nom ?

-- Non, aucun. Après tout, personne ne me parle.

-- Ce serait sûrement plus pratique pour communiquer si tu en avais un.

-- Et que me proposes-tu ?

-- Je ne sais pas. Mais tu peux choisir, on parle de ton prénom après tout.

Son subconscient réfléchissait pendant quelques temps avant de faire une proposition.

-- Que dis-tu de Silas ?

-- Stylé !

-- Cool ! Alors à partir de maintenant, je m'appelle Silas !

-- Moi aussi j'aime bien ce prénom, ajouta une voix.

-- Qui parle ? fit le jeune garçon.

-- Je crois savoir qui vient de parler, déclara Agathe qui n'en était pourtant pas très rassurée.

Des bruits de pas se firent entendre et devinrent de plus en plus en fort. Malgré le fait que leur environnement soit très bien éclairé, Agathe et Silas ne voyaient arriver personne.

-- Il arrive quand ?

-- Bientôt... Je pense, ajouta son subconscient.

Soudain, quelqu'un apparut dans un écran de fumée.

-- Quelle entrée ! commenta Silas.

La brume dissipée, ils purent enfin voir leur locuteur. C'était un jeune homme avec des oreilles d'ourson et un bandeau noir dans ses cheveux de la même couleur.

-- Euh... Silas... Pourquoi il est habillé comme ça ?! s'inquièta la jeune femme en se cachant les yeux.

En effet, il portait une veste à moitié enlevée avec rien en-dessous. Quant au bas, son pantalon était complètement baissé ce qui laissa voir son caleçon.

-- Qu'est-ce qu'il y a ? questionna son subconscient qui ne comprenait pas ce qui pouvait choquer.

-- C'est Nathan ! J'ai reconnu sa voix et c'est bien son visage !

-- Ah ça ? Ah oui c'est vrai que ce n'est pas commun... J'ai vraiment perdu tout contrôle de ce rêve, murmura Silas. Je n'ai jamais eu l'idée de lui donner une telle tenue.

-- Pourquoi est-il ainsi ?

-- Je ne sais pas... Parfois les rêves révèlent nos envies, nos désirs alors peut-être que...

-- Mais je n'ai jamais voulu ça moi !

-- Ok, ok ! Ne t'acharne pas sur moi.

-- Il y a un problème ? interrogea Nathan avant d'afficher un sourire.

-- Je veux partir d'ici, chuchota Agathe à son subconscient. Fais-moi sortir de là.

-- Mais je ne peux pas. Je ne contrôle plus rien.

-- Tu ne comprends pas, je sens que ce rêve va foutre ma vie en l'air.

-- Ne t'avance pas autant, conseilla le jeune garçon.

-- Je ne vais plus pouvoir le voir en face maintenant... Et je ne veux pas le perdre...

Silas lâcha un soupir avant de déclarer :

-- Bon, je t'aide pour cette fois, mais je ne ferais pas cela éternellement.

Il colla sa main au bras d'Agathe et celle-ci disparut.

☆☆☆☆☆☆☆☆☆☆

-- Aaah ! Aaah...

Agathe s'asseya au bord de son lit afin de reprendre son souffle.

-- Quel cauchemar... Et dire que je dois dîner avec... Nathan... Aah ! Comment vais-je pouvoir lui parler maintenant ?

Elle s'était réveillée vers 2h du matin et n'avait réussi à se rendormir. Elle ne cessait de penser aux deux garçons.

-- Ils se sont passés le mot ou quoi... ?

++++++++++

Le soir même, lorsque la sonnette retentit, Agathe, vêtue de sa robe bleue, alla ouvrir la porte. Elle se retrouva alors face à un Nathan immobile et inexpressif. Elle adopta la même attitude. Ce ne fut qu'à l'arrivée du père que les deux jeunes gens se saluèrent.

-- Merci de nous accompagner, lança le père.

-- Oui... merci..., répéta la jeune étudiante.

Pendant le court trajet, la discussion s'échangeait entre les deux hommes. Agathe n'osait dire un mot. Arrivés au bar-restaurant, ils rejoingnèrent la table des parents de Nathan.

-- Comment va ce bon vieux Adrien ? demanda Sylvain.

-- Je ne suis pas si vieux que cela, ria le principal concerné. Je suis même plus jeune que toi. Et où est votre dernier ?

-- On lui a proposé de passer la nuit chez un ami à lui.

Alors que la conversation battait son plein, un serveur vint à leur table.

-- Bonsoir messieurs, dames. Avez-vous choisi vos boissons ?

-- Oh non, excusez-nous, fit Sylvain. On discutait, on discutait et on n'y a pas pensé une seule seconde. Encore désolé.

-- Cela ne fait rien. Je repasserai plus tard, déclara le serveur en fixant un des clients.

-- Décidément, tu ne t'arrêteras pas de trop t'excuser, fit remarquer le père d'Agathe.

-- Je suis comme cela... Bon, les grands enfants, que voulez-vous ?

Les deux étudiants ne répondirent pas. Ils étaient comme figés. Et pour cause ! Le serveur qui était venu quelques secondes plus tôt n'était autre qu'Eliott !

Publié le 27/04/2020