I - Ivresse
Alice but une nouvelle gorgée du liquide sucré, les yeux embués. La flamme de la grosse bougie qui trônait sur le buffet donnait au breuvage l'aspect de l'or liquide.
La honte ! Si Martin savait ça... Ce n'est pas ainsi que je vais redorer mon blason...
Descendre une bouteille de Monbazillac seule était déjà pitoyable, mais le faire en pleurant illustrait l'ampleur de sa déchéance.
Devant la jeune femme, l'écran de télévision était aussi noir que son âme torturée. Alice venait d'achever son marathon-séries. Des heures et des heures de visionnage sans interruption, avachie dans le canapé en pyjama, sous son plaid en fausse fourrure. Un vrai zombie. Un mois plus tôt, elle aurait été incapable d'un tel "exploit". Sa vie était alors trépidante, entre son travail d'assistante commerciale, ses amis et ses amants. Elle collectionnait les deux derniers comme des trophées. La plupart n'étaient que des faire-valoir, des instruments dédiés à son divertissement. Sauf Martin et Sarah.
Qu'est-ce qui m'a pris d'embrasser la sœur de mon petit-copain ? ne cessait-elle de se demander.
Le visage ahuri de Martin, quand il les avait surpris, restait gravé dans sa mémoire. La colère avait vite succédé à l'étonnement, et tous les gens qu'Alice prenait pour ses amis l'avait lâchée suite à cet événement. Ils avaient préféré prendre le parti de son ex.
A croire qu'ils cherchaient un prétexte pour m'abandonner... De l'amitié en carton-pâte, aussi solide qu'un château de cartes...
Comme un malheur n'arrive jamais seul, trois semaines après cet incartade, son patron lui avait annoncé qu'il ne renouvelait pas son contrat, en raison de nombreuses erreurs dans les devis qu'elle envoyait aux clients. La tête ailleurs, démolie, elle n'avait en effet plus le cœur à la tâche depuis l'incident. Un comportement qui justifiait, selon son chef, son départ illico presto.
J'ai tout gâché... Et maintenant je ne sais plus qui je suis réellement...
La tête en arrière, Alice lappa les derniers gouttes du vin moelleux avec avidité.
Qui je suis ? Une pochtronne abandonnée de tous, qui ne sait plus si elle aime les hommes ou les femmes !
Des sanglots montèrent dans sa gorge, et elle eut le sentiment d'avoir des boules de bowling coincées dans son gosier, tant la sensation était douloureuse.
Strike ! s'écria le démon qui avait pris possession de son esprit et ne cessait de la tourmenter. Les larmes jaillirent en torrent, et tout son corps trembla de manière incontrôlée.
Une minute ou une heure plus tard, Alice se calma. Les yeux asséchés, vidée de toute énergie, la jeune femme se leva pour aller aux toilettes.
Alors qu'elle tanguait comme un bateau en pleine tempête, incapable de mettre un pied devant l'autre, une ombre apparut sur son chemin. Un picotement dans la nuque, ainsi qu'une sensation de froid, confirma ce qu'elle soupçonnait déjà.
Merde ! Ça recommence !
Sa dernière rencontre avec un fantôme remontait à cinq ans, quand elle était encore adolescente. Alice secoua la tête, ce qui accentua ses vertiges. La silhouette, d'un noir opaque presque palpable, approchait peu à peu de la jeune femme. De forme humanoïde, le spectre se pencha, à quelques centimètres seulement de sa tête. Il était plus grand qu'elle, et sa proximité congelait l'atmosphère. Un long frisson parcourut l'échine d'Alice, qui avait aussitôt dé-saoulé, en proie à une terreur sans nom.
L'homme des ténèbres s'approcha encore un peu. Alice voulut reculer mais son corps était paralysé. Il se pencha davantage, l'ovale sombre de son visage était un puits sans fond dans lequel le regard d'Alice plongea. Happée par cette vision, elle entendit de très loin sa petite voix intérieure lui souffler que Casper allait l'embrasser...
Pile au moment ou cette prédiction absurde était sur le point de se réaliser, le sol se déroba sous les pieds d'Alice.
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