Paillettes et tentations

(Gabrielle)

En chœur, Damian et le chanteur hoquettent de surprise. Et oui les gars, la petite blondinette insignifiante que je suis a le même sang que le grand Lucifer, roi des Enfers ! De sa voix nasillarde, le type à la combinaison bleue interpelle mon frère.

— Écoutez, ce n'est pas que je ne m'intéresse pas à vos histoires de famille mais si je suis là c'est parce qu'une erreur....

Sans lui laisser le temps de continuer, mon frère lève une main d'un air excédé en claquant de la langue. Et aussitôt, le chanteur disparaît, dévoré par une brume noire qui étouffe le cri qu'il s'apprête à pousser. Damian lève les yeux au ciel en poussant un soupir.

— Merci ! Je n'aurais pas pu le supporter une minute de plus !

Lucifer ne semble même pas l'écouter tant il est décidé à me fusiller des yeux. 

— Ne me dis pas que c'est toi qui as lâché ce virus ?

— Je ne l'ai pas « lâché », tenté-je d'expliquer pour la énième fois. J'ai trébuché et...

— Ouais enfin t'as semé une belle pagaille. On est complètement débordés ici avec tes conneries !

— Lucifer !

— Quoi !! Je jure si je veux. Surtout que je me retrouve obligé de m'occuper de toi pour les deux siècles à venir, et que ça me fait déjà chier. Je t'adore, mais tu n'as rien à faire ici! Qu'est-ce qui t'as pris de demander à descendre ?!?

Bonne question... Lorsque j'ai malencontreusement renversé cette boîte et répandu ce virus sur Terre, je me suis pris une remontrance salée. Mais c'était un accident ! Comment Père avait-il pu croire cette idiote de Pandore ? Le ton était monté et j'avais fini par m'emballer... prétendant être capable de résister même aux tentations de l'Enfer. Aussitôt dit, aussitôt fait. On m'a envoyée ici sans prévenir. Et à priori, sans demander l'avis du Maître des lieux.

— Je me suis un peu... emballée.

— Non... tu crois ? Tu sais combien il est susceptible. Maintenant, il s'attend à ce que je te traite comme n'importe quelle stagiaire lambda. Crois-tu que tu seras à la hauteur ?

Sans que je comprenne ce qui me prend, je toise Damian du regard. Argggg ce sourire en coin ! Si seulement je pouvais le lui faire ravaler! Je me redresse de toute ma taille, les épaules en arrière et le menton relevé. Mince, la fierté n'est-elle pas un péché ?

— Mais bien sûr que je serai à la hauteur !

Sans surprise, Lucifer secoue la tête, peu convaincu par ma pseudo-assurance. Damian en profite pour en remettre une couche :

— Eh Princesse, ici il n'y a pas de paillettes ou de licornes ! Mais si tu veux que je t'apprenne à utiliser un plug anal...

Quoi ?! Je manque de m'étouffer avec ma propre salive lorsqu'il prononce ces mots. Lucifer se tourne alors vers lui, l'œil noir. Mais tout à coup, son visage s'illumine.

— Mais après tout Damian, quelle bonne idée!

Comme un seul homme, le démon et moi nous écrions:

— QUOI ?!?

— Réfléchis ! Tu es mon meilleur démon, Damian. Qui serait mieux placé que toi pour protéger mon ingénue de petite sœur ? Tu l'imagines bosser dans le service des serial killers ? Ou avec les damnés ?

Je frissonne à l'évocation des deux seuls secteurs des Enfers que je connaisse. Mais passer les deux prochains siècles avec ce... cet... Apollon ? Mannequin ? Je me maudis intérieurement. Comment puis-je trouver des qualités à ce type détestable par nature ?

— Eh ? Tu m'écoutes ?

Je cligne une ou deux fois des yeux, en essayant de me concentrer à nouveau sur la situation. Je suis dorénavant seule avec Damian, qui ouvre un portail d'un geste désabusé de la main.

— Allez Princesse, on y va.

***

Deux siècles. Je dois passer deux siècles ici.

Je regarde autour de moi pour la centième fois, tant mon esprit a du mal à réaliser. Me voilà dans un appartement lumineux, résolument moderne. La réplique d'un penthouse cossu dont les humains rêvent de faire l'acquisition. Pour la grande majorité d'entre eux, cela restera néanmoins un doux rêve. Je reste figée dans une cuisine ouverte, bardée de technologie. Tout est tellement propre que je n'ose rien toucher. Face à moi, Damian s'affaire du côté salon. Je ne sais pas ce qui me sidère le plus : sa nonchalance au milieu de tout ce luxe, ou la beauté des lieux. Je ne me pose même pas la question, trop soufflée par la découverte de mon nouveau lieu de résidence. Pourtant, je fais quelques pas vers Damian, histoire d'être certaine de ce que je vois dans son salon. Deux grands canapés blancs se font face devant une baie vitrée immense. La vue est à couper le souffle : une plage de sable fin, des cocotiers, une mer bleue turquoise... Ne devait-on pas être aux Enfers? Un lieu de perdition, de désespoir sentant le soufre et la misère ?

Alors que je m'approche encore un peu plus de la baie vitrée, je sens le souffle chaud de mon hôte à mon oreille lorsqu'il me murmure :

— La vue vous sied-elle, Votre Altesse ?

Je me tourne vivement, tentant de prendre un air courroucé. Mais je me retrouve soudain trop proche de lui. Mon cœur rate un battement quand je réalise que seulement quelques centimètres nous séparent. Je recule d'un pas et croise les bras, pour essayer de retrouver une contenance:

— Non mais ça ne va pas? Je n'ai rien d'une princesse !

Il se met à rire, une fois de plus. Mais ce qu'il peut m'énerver à rire à tout bout de champ !

— Je ne sais pas comment on t'appelle chez toi. Mais ici, ma douce, ton frère est le Roi. Du coup...

D'un geste de la main, il me désigne comme si je n'étais qu'un vulgaire objet.

— ... ça fait de toi un genre de princesse.

— Absolument pas. Je m'appelle Gabrielle. Point.

Je refuse d'être une princesse ou quoi que ce soit s'en rapprochant. Je me suis battue pendant des siècles pour obtenir ma place. J'ai commencé tout en bas de l'échelle, comme les autres. Et s'il n'y avait pas eu cette idiote de Pandore... Bref.  J'essaie de faire abstraction de sa remarque, en me focalisant à nouveau sur la vue.

— Dis... C'est une vraie plage ?

Cette fois, il ne rit pas. Il vient se planter à mes côtés, les mains dans les poches et le regard perdu sur l'horizon.

— Nan... C'est une illusion. J'en avais marre du noir, de la lave et des tourmentés.

Il pose à nouveau les yeux sur moi, avec un sourire en coin.

— Et comme ton frère m'a à la bonne... J'ai des privilèges. Enfin, tant que je fais mon job.

— Et... C'est quoi, ton job ? tenté-je, timidement.

Je réprime un frisson en me souvenant de ses allusions dans l'Antichambre, un peu plus tôt. Je peux m'estimer heureuse de ne pas me retrouver dans un département trop compliqué, comme celui des damnés. Mais je déglutis difficilement quand, avec un regard appuyé sur mes lèvres, il me répond :

— Moi, je suis un Tentateur, ma douce. Et le meilleur.

*****

(Damian)

Bordel... Qu'ai-je donc pu faire à Lucifer pour qu'il me refile la garde de sa frangine ? Tout ce que je voulais, moi,  en venant à sa demande, c'était lui parler de mes soucis avec Odin qui a, semble-t-il, peu apprécié mon incartade avec sa favorite. J'imaginais que Lucifer m'avait convoqué pour me passer un savon. Je ne sais d'ailleurs pas si je n'aurais pas préféré une engueulade, finalement. Or, me voilà avec une petite blonde aux cheveux longs et bouclés venue tout droit de chez les Coincés. Et la miss semble avoir un caractère de cochon ! Pendant qu'elle fait le tour de ma pièce à vivre avec un air ébahi, je me demande à quoi elle pensait en demandant à venir ici. Elle va se faire manger toute crue par le premier damné qu'elle va croiser ! Elle essaie tant bien que mal d'avoir l'air sûre d'elle. Mais des filles comme elle, j'en vois tous les jours, à la pelle. Elles jurent aux grands Dieux qu'elles savent tout des types comme moi, et finalement ce sont les premières à céder à la moindre de mes demandes. Au moins, Gabrielle a un avantage certain. C'est le premier Ange à mettre les pieds chez moi. Je suis donc tout aussi mal à l'aise qu'elle ne doit l'être, mais je refuse de la laisser s'en apercevoir. Elle doit apprendre tout de suite qu'ici, on est loin de son Royaume Céleste à paillettes. Ici, c'est moi qui commande. Ma jolie, je vais me faire une joie de te faire découvrir les Enfers...

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