On visite ?
(Damian)
Les ordres de Lucifer sont simples. Je ne devrais pas la laisser mettre le nez dehors. Mais merde, si elle doit passer des années ici, je dois au moins lui expliquer deux ou trois choses. Je ne suis pas totalement abruti non plus, j'ai pris soin de ne pas la trimballer en mode "road trip touristique". J'ai déjà pris la peine de lui faire une belle leçon, une de celles dont ils raffolent certainement là-haut. Elle ne doit jamais sortir seule, ne doit rien prendre à la légère et surtout, elle ne doit jamais, je dis bien jamais faire confiance à un autre que moi.
Après deux ou trois consignes, je l'ai donc embarquée avec moi. Un jeans, un sweat à capuche et voilà la miss qui trottine à côté de moi, sans perdre une miette de ce qui l'entoure. Je traverse ces rues sinueuses depuis tellement longtemps que je ne les vois plus. Je l'entraîne vers les grandes artères de notre cité pour lui montrer le meilleur. Pas besoin de la traîner dans les quartiers les plus minables, ceux où les âmes perdues et les damnés errent, en quête d'une faille leur permettant de rejoindre le monde des vivants. Parfois l'un d'entre eux réussit son coup et c'est vite un problème. On doit les retrouver et... bref.
En tout cas, j'essaie de faire le tour des zones principales de notre Royaume. Mine de rien, je réalise que je voudrais bien être à sa place, pour découvrir avec elle ce qu'elle pense de mon chez-moi.
*****
(Gabrielle)
Je dois dire que j'étais prête à tout imaginer... Mais pas ça. Bon, pour le côté sombre et "on ne voit jamais la lumière du jour", ça, je m'y attendais. Or, les grands buildings modernes et les rues animées, ça c'est une surprise. A l'instar d'une grande ville humaine, les grands boulevards et les petites ruelles sombres sont bondées. Démons, succubes et damnés en tout genre déambulent, bien souvent tête baissée. J'essaie de ne pas avoir l'air d'une touriste en goguette, pourtant je dois avouer que tout m'impressionne. On est loin des paysages dévastés auxquels je m'attendais. Alors certes, les alentours de la ville sont en tout point conforme à l'idée que je m'étais forgée et les privilégiés vivant au sommet des gratte-ciels le voient de leurs fenêtres. Et même s'il ne le dit pas, je sais pertinemment que, passé les grandes artères, les rues plus sinueuses doivent mener à des bas-fonds peu reluisants. Après tout, ce sont Les Enfers, pas New York !
Je ne sais encore pas grand-chose de mon guide, mais une chose est certaine : il ne laisse personne indifférent. Les gens se poussent sur son passage, telle la Mer Rouge devant Moïse. Seules quelques femmes osent l'interpeller ou lui adresser un signe. Mais Damian ne semble pas s'en soucier. Il continue sa route, m'expliquant de temps à autre ce que nous voyons.
— Ce que tu vois là n'est qu'une infime partie des Enfers. Mais j'imagine que tu n'as ni l'envie ni l'intérêt de visiter tout notre Royaume. Par là, c'est le quartier des démons inférieurs. Rien d'intéressant. Plus loin, sur la droite, il y a les Damnés. Tu ne...
— Oui, je sais. Je ne m'en approche pas.
Il me prend pour une demeurée ou quoi ? Lorsque je relève la tête pour lui dire ma façon de penser, mon attention se fixe sur l'énorme château surplombant la ville depuis une colline escarpée.
— Et ça, là-haut ?
— Ca, c'est le domaine de ton frère, Prin...
— Ne m'appelle pas comme ça.
Il semble s'amuser de me voir le fusiller du regard. Il s'arrête un instant et me fixe d'une manière étrange.
— Ok, mon Ange. Allez, je crois que t'as vu le principal.
Bifurquant sur la droite, il claque des doigts en direction d'une voiture. La berline noir mat s'arrête à notre hauteur et Damian m'ouvre la portière avant de s'engrouffrer à son tour à l'arrière du véhicule.
Lorsqu'il s'installe à mes côtés et que son genou touche le mien, je ressens un frisson parcourir mon échine. Je crois que c'est notre premier vrai contact physique et je suis abasourdie par cette réaction instinctive de mon corps. Je ne peux que fixer nos deux jambes qui se frôlent, en me demandant ce qui peut bien me faire autant vibrer. Ce sont ses doigts parcourant ma cuisse qui me sortent de ma quasi léthargie.
— Eh... ça va ?
Le ton de sa voix, soudainement tendre me prend au dépourvu. Est-ce qu'il s'inquiète vraiment pour moi?
— Oui, je...
— Tant mieux.
Il enlève aussitôt sa main.
— Parce que je n'ai pas envie que tu me tapes une crise de panique, hein.
Et revoici le Démon dans toute sa splendeur. Bien sûr qu'il ne s'inquiète pas. Il obéit uniquement aux ordres de son Roi : il ne doit rien m'arriver durant mon séjour, sans quoi Damian risque de passer un mauvais quart d'heure.
Le trajet ne dure que quelques minutes et c'est dans un silence pesant que chacun de nous regarde par sa fenêtre. Lorsque enfin le véhicule s'arrête, il se hâte de descendre pour m'attendre, debout à côté de la portière ouverte. La montée en ascenseur me semble tout aussi lugubre. Ce n'est qu'au moment où la porte de l'appartement se ferme derrière nous que je tente de l'interroger.
— Pourquoi as-tu accepté ?
Il se tourne vers moi, un sourcil relevé.
— J'imagine aisément que Lucifer avait la place pour me loger chez lui. Pourquoi est-ce que tu n'as pas protesté ?
Avec un haussement d'épaule, il semble réfléchir à sa réponse tout en enlevant sa veste qu'il balance nonchalamment sur le canapé. Il reste planté là, les mains dans les poches et met une éternité avant de me lâcher :
— J'en sais absolument rien.
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