Chapitre un : On prend les mêmes...
Soirée prénuptiale de Gabrielle
J-2634 avant la catastrophe
Lucifer
— Y'a pas à dire, ça en jette, conclus-je, avec un sifflement admiratif.
Je prends le temps de faire un tour sur moi-même en contemplant mon reflet dans l'immense miroir sur pied. Si j'aime être à mon avantage en toutes circonstances, là, c'est surtout une nécessité. Depuis combien de temps n'ai-je pas mis les pieds là-haut ? Des siècles, au bas mot. Oh, pourtant, ma mère tente tous les ans de me faire céder. Mais mince, il est hors de question que je courbe l'échine devant mon père. Notre dernière dispute me reste en travers de la gorge et... Bref. Aujourd'hui, je dois me montrer magnanime. Après tout, cette soirée, c'est pour Gabrielle qu'ils l'ont organisée. Je peux bien faire un effort pour cette tête de linotte. Sans compter que ce crétin d'Eliott a, pour une fois, fait les choses convenablement.
Je serais presque fier de lui, tiens ! On ne peut pas en dire autant de cet abruti de Damian. En jetant un nouveau coup d'œil dans le miroir, j'aperçois le reflet de mon meilleur pote, encore avachi sur son canapé, un verre à la main.
— Qu'est-ce qu'on va faire de toi, Bon Dieu ? marmonné-je avant de me tourner vers celui qui, hier encore, faisait trembler l'Autre Royaume.
Ça, c'était avant. Portant en tout et pour tout un bas de jogging gris immonde, les pieds croisés sur la table basse, il semble perdu dans ses pensées. Je crois que je ne supporte plus son regard de poisson mort. Certes, c'est plus gérable que de le voir pleurer comme une Madeleine, mais c'est totalement déroutant. J'ai vu ce type retourner le cerveau de dizaines d'auteures et d'actrices toutes plus canons les unes que les autres, remettre au goût du jour les pratiques les plus tabous, taquiner des religieuses pour les faire craquer d'un simple sourire en coin. Je l'ai même vu se taper la favorite d'Odin quasiment sous son nez ! Autant dire que ce jour-là, je n'en menais pas large. Quand on connaît le côté irascible du type, on n'espère qu'une seule chose, c'est qu'il ne remarque rien ! Bref, Damian a toujours été le démon parfait. Si j'avais pu deviner que la simple présence de ma frangine allait tout faire basculer, je l'aurais renvoyée aussi sec chez les Coincés au lieu de la coller chez lui.
— Y'a rien à faire, Luc'. Balance-moi du haut du pont, direct dans le Styx. Ce sera une belle mort, je crois. De toute façon, je ne suis plus bon à rien, maronne-t-il en finissant son scotch.
Ne pas le tuer, ne pas le tuer...
— Depuis quand te laisses-tu doubler par un type ? Et par Eliott en plus ? Putain, il a autant de charisme qu'un poulpe ! Réagis, bordel !
Damian se redresse en me lançant un regard noir :
— Tu vas jurer comme un charretier, une fois là-haut ? Non parce que je ne suis pas certain qu'ils apprécient...
— Ça, tu ne le sauras que si tu te magnes pour t'habiller !
D'un claquement de doigts, je fais disparaître le psyché derrière moi. Trois pas et me voilà aux abords du canapé, prêt à tenter n'importe quoi pour redonner de l'entrain à mon meilleur ami :
— Tu sais, si ce sont les ingénues aux ailes blanches qui te tentent, je connais deux ou trois filles là-haut qui ont des talents cachés. Crois-moi, tu vas apprécier leur...
Cette fois, il se penche en avant pour claquer son verre sur le bois blanc de la table basse et se lève pour me toiser d'un air mauvais :
— C'est tout ce que tu as à dire, Luc' ? Tu crois que ce n'est qu'un jeu, c'est ça ? Pour toi, j'ai juste assouvi un fantasme à la con ?!? Merde, je pensais que tu me connaissais mieux que ça !
Les mains dans les poches et un air satisfait sur le visage, je me contente de rester là, à attendre que la crise passe pendant qu'il hurle en gesticulant. Dire que je perds mon temps à aller au théâtre alors que j'ai juste à asticoter Damian au sujet de ma sœur pour avoir droit à un peu de drama. Pour couronner le tout, j'ai le plaisir de le voir quitter la pièce à vivre pour rejoindre sa chambre, certainement vexé. Sa façon de claquer la porte comme un ado en colère n'est pas pour me déplaire. Avec un peu de chance, on ne sera pas en retard ! Bien entendu, nous devrons passer les contrôles de routine. Cette fois, pas de princesse Gabrielle pour nous servir de sauf-conduit : on ne rentre pas comme ça chez les Coincés, surtout quand on s'appelle Lucifer. Une vaste blague, si vous voulez mon avis. Parce que la plupart d'entre eux, sous couverts de leur image parfaite, sont beaucoup plus retors que la majorité de mes sujets. Oh, mais il est hors de question de casser l'image d'Epinal qu'ils ont mis des siècles à forger. Bien entendu, ils ont besoin de nous faire passer pour les méchants. Il est indispensable pour eux de jouer la carte de la citadelle inaccessible.
Vous imaginez le scandale si la rumeur se répandait qu'on peut entrer dans leur Royaume comme dans un moulin ? La moitié des damnés d'ici bas essaierait de se carapater en passant par la grande porte. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça ferait tâche ! Non, pour entrer là-haut, il faut le mériter, parait-il. Conneries... C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai besoin que notre plan se déroule sans accrocs. Si Damian arrive enfin à admettre qu'il ne peut pas vivre sans sa Gaby, peut-être qu'il pourra la récupérer à temps. Peut-être qu'ensemble, ils trouveront les mots pour convaincre notre paternel du bien-fondé de leur histoire. Et pour finir, peut-être qu'ils arriveront à changer les mentalités. Rien qu'à cette idée, je me mets à rire, seul au milieu du salon, en admirant mes chaussures italiennes flambant neuves.
— Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?
La voix de Damian me fait lever les yeux. Enfin ! Le voilà habillé ! Costume, chemise, nous avons misé sur le noir intégral. Seule touche de couleur : une bande, violette pour moi et bleue pour lui, qui barre le milieu de nos cravates.
— Rien. Je songeais juste à la tronche que va faire Eliott. Ça va être jouissif !
Hors de question de lui dévoiler notre plan, encore moins d'admettre que j'aimerais voir les choses changer. De quoi j'aurais l'air, si le Maître des Enfers avouait qu'il cautionne le fait de se lier avec l'ennemi ? J'ai déjà bien assez de soucis avec Arès, ces temps-ci. Inutile d'apporter de l'eau à son moulin. Je préfère laisser croire que je reste neutre, indifférent aux choix de mon meilleur démon. Il sera bien temps d'argumenter s'il arrive à récupérer sa belle, ce qui, selon Eliott, ne devrait pas poser de problème. J'ai beau détester le type, je dois avouer qu'il est sans conteste un ami précieux pour ma petite sœur. Au lieu de l'enchaîner dans un mariage dont elle ne veut clairement pas, il a pris sur lui de m'appeler afin de trouver une solution. Autant dire que j'ai été soulagé. Non seulement je vais pouvoir revoir ma sœur sourire, mais je vais également retrouver le Damian que je connais.
Finalement, passer les contrôles idiots pour entrer au Royaume Céleste me paraît être une simple balade de santé comparé à ce que j'endure aux côtés de mon meilleur ami et sa mauvaise humeur. Où est passé l'enthousiasme qu'il affichait fièrement à son retour des Limbes ? C'est en tirant la tronche, encore et toujours qu'il me suit jusqu'à la Grande Salle, décorée pour l'occasion. Aucune surprise : Héra et ma mère ont mis le paquet question mièvrerie. S'il y a bien un aspect de ce Royaume que je ne regrette pas, c'est leur manie d'en faire des tonnes pour un résultat... disons passablement acceptable.
Pourtant, cette salle a un potentiel énorme : une longue série de colonnes en marbre blanc, hautes de plusieurs mètres, soutenant une verrière magistrale elliptique couverte d'or fin qui laisse entrevoir ce ciel bleu qu'ils affectionnent tant. Chaque chapiteau est travaillé avec soin, orné de feuilles, volutes et petits oiseaux taillés à même la pierre. Pour mon plus grand regret, aujourd'hui, les fûts de colonnes sont enrubannés de tresses de lierre, piquetées de roses qui serpentent jusqu'aux arcades soutenant le plafond. Des roses ! Les fleurs les plus ennuyeuses de la Création. N'auraient-elles pas pu faire un choix plus audacieux, exotiques avec des hibiscus ou des plumerias ? Des tentures en organza blanc ont été déployées et savamment nouées pour donner une impression... une impression de quoi, d'ailleurs ? Le savent-ils eux-mêmes ? Non, probablement pas. Je vois d'ici la répartie des sous-fifres affectés à la décoration. "On colle ce qu'on a sous la main, on réfléchira ensuite !" Oh bien sûr, on retrouve ces maudites roses aux couleurs sages un peu partout et des papillons qui virevoltent gaiement.
Tuez-moi ! Je n'ose même pas imaginer à quel point elles ont dû inonder les tables de babioles rouges et blanches. Il ne manquerait plus que des ballons, tiens ! Un carnage ! Même si j'aime ma mère, je dois avouer que nous n'avons définitivement pas les mêmes idées en matière de décorations. Et c'est tant mieux ! Je lui laisse ses confettis et ses séraphins déguisés en pingouins. Par chance, ils ont épargné le superbe parquet Versailles et ses diagonales entrelacées. Je crois que je n'aurais pas pu survivre à un tapissage de pétales en bonne et due forme. Ça m'aurait retourné l'estomac. Rien ne va, songé-je en levant les yeux au ciel.
Par contre, je dois dire que la vue de toutes ces jolies Anges en robes de soirée me ravit. Même si je connais la moitié d'entre elles depuis des siècles, rien ne m'interdit de me rincer l'œil. Et puis, si tout se déroule comme prévu, je devrais pouvoir retrouver Aglaé. Elle et moi n'avons rien de sérieux, mais elle a le don de me faire oublier tous mes tracas. Un sacré don, même...
Assez rapidement, je me mêle aux invités, plantant Damian sur place avec l'espoir qu'il soit fidèle à lui-même, nous permettant de mener notre projet à bien. Eliott et moi avons fait un choix risqué. Mais si notre pari s'avère payant, je crois que nous pourrons en être fiers. Au moment où j'échange ma flûte vide contre une pleine de Dom Pérignon sur le plateau d'un séraphin qui passe à proximité, la foule s'ouvre pour laisser apparaître la femme de ma vie : ma mère, qui se précipite à ma rencontre. À chacun de ses pas, l'étoffe fluide de sa robe lilas danse autour de ses genoux. Ses cheveux sont parfaitement lissés et relevés sur le côté droit par un peigne orné de perles, mettant en valeur son port de tête altier. Cerise sur le gâteau, un immense sourire lui barre le visage. L'ai-je déjà vue plus radieuse que ce soir ?
— Oh, mon bébé ! couine-t-elle.
Ok, pour la crédibilité, on repassera. Mais je la laisse m'enlacer, et me mords l'intérieur de la joue en réalisant qu'elle pleure. Oui, moi, Lucifer, Maître incontesté du Royaume infernal, je suis sur le point de verser une larme en serrant ma mère contre moi. J'assume chacun de mes choix, depuis ma rébellion adolescente jusqu'au jour où j'ai claqué la porte pour briguer la place d'Hadès, pourtant je serais prêt à tout remettre en cause pour ma mère. Victime collatérale de mon conflit très Oedipien, elle n'a de cesse de réclamer ma présence aux évènements familiaux, la pauvre.
Je la laisse me câliner tout son soûl, tandis que mes doigts caressent son dos dans un geste qui se veut réconfortant. Ce n'est qu'à contre-cœur que je m'écarte, mais j'ai une mission. Je dois trouver Gabrielle et m'assurer qu'elle rejoigne Damian dans les jardins. Après un dernier baiser sur le front de ma mère en lui promettant de revenir vite, je repars à la recherche de Gabrielle, que je trouve près du buffet. Il n'y a pas à dire, ma sœur cadette est sublime. Ses jolies boucles blondes relevées en un chignon très élaboré et sa robe couleur champagne mettent en valeur sa beauté naturelle : elle a opté pour une robe en mousseline vaporeuse au col bateau, dont le bustier est parsemé de fleurs brodées avec minutie. Une vraie merveille, dirait Aglaé. Pourtant, mon cœur cesse de battre à l'instant où mes yeux se posent sur la fille avec qui elle discute. Même dans mille ans, même gâteux, je reconnaîtrai ce profil ; ce nez retroussé, cette façon de pencher la tête quand on lui parle...
Je sais que si je croise ses prunelles extraordinaires, je suis perdu. Parce que Perséphone a les yeux les plus incroyables de la Création : deux améthystes, dont la teinte varie selon son humeur. Et Bon Dieu, ce que j'ai pu me perdre dans cet océan violet ! Je me fige, incapable de faire un pas de plus. Si je m'avance, si elle a le malheur de poser les yeux sur moi, je suis perdu. Hors de question de retomber dans mes anciens travers. J'ai tout plaqué à cause de cette fille, je me suis brouillé avec mon père par sa faute, aussi je refuse de me laisser à nouveau embobiner. Et Dieu sait si elle maîtrise l'art de me retourner le cerveau...
Par chance, elle dépose un baiser rapide sur la joue de ma sœur et s'éloigne, sans jamais tourner son regard dans ma direction. Je fends donc la foule et fais sursauter ma jolie Gabrielle en lui soufflant à l'oreille :
— Salut, frangine.
Elle fait volte-face et se jette dans mes bras, elle aussi sur le point de pleurer. Merde, mais ne doit-on pas se réjouir un soir comme celui-ci ?
— Mince, Luc', tu es venu ! Merci, s'exclame-t-elle.
Elle enfouit son visage dans ma chemise et enroule ses bras autour de ma taille. Aussitôt, les souvenirs affluent. Si j'aime mes sœurs de tout mon cœur, il est évident que Gabrielle et moi avons ce petit lien indescriptible, cette complicité inexplicable et inaliénable. Est-ce parce qu'elle est la dernière ? Ou bien parce qu'elle tient autant tête à notre père que moi ? Je ferai n'importe quoi pour Pandore et Gabrielle. Cependant, la blondinette restera toujours le bébé de la famille à mes yeux. Un jour, elle sera Sénatrice, à la tête d'une Contrée qu'elle aura construite à la sueur de son front et son nom sera sur toutes les lèvres féminines des Royaumes... Pourtant, je la traiterai quand même comme une petite chose fragile. Mon trésor.
— Je ne pouvais pas rater une fête donnée pour ma petite sœur préférée... Même si...
Gabrielle me fusille du regard, tout en fronçant du nez et je me retiens alors de finir ma phrase. Elle s'imagine sans doute que j'étais sur le point de critiquer son ex-futur-époux. Tant mieux. Je crois que je ne suis pas prêt à lui expliquer combien la simple vue de Persé m'a retourné le cerveau. Elle ignore la profondeur des sentiments et la complexité de l'histoire qui nous a déchiré, mon père et moi. Gaby et Pandore n'étaient que des enfants lorsque je suis parti. Oh, je sais bien que mon père n'a pas dû être tendre à mon encontre. Je sais aussi qu'il est juste et surtout, qu'il déteste le mensonge. Il a dû enterrer le sujet, sans autre forme de procès. Ce qui n'est, finalement, pas plus mal. Personne ne parlait de Perséphone et moi. Enfin, personne... Ça, c'était sans compter sur ces satanés humains qui ont le don de toujours tout retenir et tout romancer. Ah ça, on en a vu fleurir, des parchemins, des livres, puis des films relatant la soi-disant histoire de Miss Vipère et du Roi des Enfers ! Les pauvres ! S'ils savaient à quel point ils se trompent.
Affichant un sourire éclatant destiné à cacher le trouble semé par la plantureuse divinité, je remplis mon rôle et pousse Gabrielle à courir rejoindre Eliott. Avec un peu de chance, le timing sera parfait et elle arrivera à l'instant propice pour empêcher Damian de refaire le portrait de mon complice du jour. Certes, nous aurions sans doute pu nous passer de cette mascarade et jouer franc jeu avec ma sœur et mon démon. Sauf que ces deux-là sont plus têtus que Bacchus et ce n'est pas peu dire ! Aucun d'eux ne semble prêt à admettre qu'il a besoin de l'autre. Nous devons donc les mettre devant le fait accompli et croiser les doigts. Du moins, c'est ainsi qu'Eliott a présenté les choses. M'est avis qu'il suffisait de les mettre dans la même pièce et le tour était joué ! Gaby et Damian sont incapables de rester éloignés plus de cinq minutes. Cela me désespère, mais c'est ainsi. Bien entendu, je suis ravi de voir ma sœur épouser un homme qu'elle aime plutôt que de s'enliser dans une union arrangée depuis sa naissance, ou presque.
Eliott et Gabrielle méritent mieux que cette destinée toute tracée. Si au passage, je fais enrager Héra, que demander de plus ?
Avant de les rejoindre, je prends le temps de déguster une énième flûte de champagne, tout en laissant mon regard courir sur les invités et les familles des fiancés. Comme prévu, tout le gratin est là. Nos oncles, les autres Sénateurs et leurs proches, mais aussi un grand nombre des bienheureux acceptés dans ce que chacun considère comme une version moderne du Paradis. Si Gabrielle n'a pas pu inviter tous les habitants du Royaume Céleste ce soir, je ne me leurre pas quant au nombre de personnes qui assistera à la cérémonie demain. Le mariage de Gabrielle et Eliott devait être l'évènement du siècle. Au lieu de cela, ce sera le scandale du millénaire !
Je ris sous cape en imaginant les mines déconfites de tout ce joli monde, demain. Mais alors que je tente de dissimuler mon hilarité en avalant une dernière gorgée d'alcool, un souffle chaud vient caresser mon oreille et émoustiller mes sens :
— Ça faisait longtemps, Lucifer.
Au moment où je me retourne, une main vient agripper ma ceinture et mon regard se perd dans un océan violet.
— Perséphone... soufflé-je.
— Je t'ai manqué ?
Que répondre à cela ? Puis-je décemment lui dire que j'ai vécu mes heures les plus sombres après notre rupture ? Bordel, non ! Sa trahison a fait de moi celui que je suis aujourd'hui : le Roi des Enfers, Lucifer, celui devant qui chacun ploie le genou. Hors de question de m'abaisser devant elle. Feignant l'indifférence, je me redresse afin de paraître encore plus grand et lui décoche un sourire en coin.
— Perséphone ! Je ne m'attendais pas à te voir ici.
La belle recule d'un pas, sans doute peu désireuse d'attirer l'attention sur nous. Là, au milieu de la foule des convives, sa manière de crocheter ma ceinture est sans doute passée inaperçue. Persé le sait et en joue. En d'autres temps, notre couple a alimenté les rumeurs les plus folles et m'a coûté bien plus que je ne veux l'admettre. Dans cette histoire, nous étions deux joueurs, chacun testant les limites de l'autre. Sauf qu'à la fin, il n'y avait qu'un seul gagnant et ce n'était pas moi.
Aujourd'hui, il n'est plus question d'accepter les jugements de ces gens. Ne suis-je pas le Roi des Enfers ? J'avance donc, réduisant à nouveau la distance entre Persé et moi. Après tout, la meilleure des défenses, c'est l'attaque ! Amusé, je la vois déglutir avec difficulté quand mes yeux se posent sur ses lèvres. Elle qui a toujours été forte pour dissimuler ses émotions vient de se trahir dans un souffle. Si son visage reste impassible, sa respiration s'accélère et son corps se tend, imperceptiblement. Joueur, je plante mes dents dans ma lèvre inférieure, tout en laissant mon regard courir le long de sa silhouette parfaite. Ses jambes interminables, ses hanches étroites et son ventre plat, chaque détail de sa personne que je devine sous sa robe allume cette flamme de désir, nichée au creux de mon estomac.
Nous n'échangeons pas un mot, ne nous touchons même pas, pourtant l'atmosphère autour de nous s'épaissit et se charge en électricité. C'est la toute la complexité de notre relation. Ou de notre absence de relation, justement. Bien que séparés depuis des lustres, il nous est impossible de rester de marbre face à l'autre. Si je le lui proposais, elle me suivrait sans doute dans un recoin sombre pour me laisser jouer de mes charmes. Qu'est-ce que je disais, à propos de Damian et Gabrielle, déjà ?
— Pourtant, susurre-t-elle de sa voix chaude, je ne vois pas comment j'aurais pu rater cet événement si important pour nos familles respectives.
Nous y voilà. La famille.
Cette fois, c'est moi qui recule. Par le passé, Perséphone a semé la zizanie dans ma vie. Et s'il y a un jour où je refuse de la laisser reprendre le contrôle sur moi, c'est bien aujourd'hui. Je suis là pour Damian et Gabrielle.
— En parlant de famille... As-tu vu Damian ? Il me semble l'avoir aperçu un peu plus tôt.
La garce. Avec un sourire, Perséphone porte sa coupe de champagne à ses lèvres, lentement, afin de jauger ma réaction en l'entendant prononcer le prénom de mon meilleur ami.
— Ne te soucie pas de lui. Et rappelle à Kellian qu'il n'a pas le droit de l'approcher. Dans le cas contraire, je me ferais un plaisir de le renvoyer fissa dans sa geôle.
Pour ne pas perdre mon sang-froid, j'enfonce mes mains dans mes poches et, sans un mot, quitte la salle. Si mes calculs sont bons, je devrais atteindre les jardins juste à temps pour assister aux retrouvailles entre ma soeurette et son abruti de démon amoureux. Ou pour le voir refaire le portrait d'Eliott. Dans tous les cas, rien ne peut être aussi contrariant que d'être obligé de me coltiner mon ex.
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