Chapitre 2
J'ignore combien de temps on va me retenir ici mais je sens que je vais bien m'entendre avec ce patient. Je remarque que ses poignets sont striés de marques violacées, de vilaines cicatrices. J'imagine à quel point il a dû souffrir pour en arriver là. Est-ce que cette institution dont les procédés sont plutôt agressifs va lui venir en aide ? Je ne suis pas spécialiste dans ce domaine mais au milieu de tous ces êtres dont la souffrance et la pathologie sont très différentes, réduits presque à l'état de bêtes sauvages avec des traitements qui sont soit inadaptés soit inefficaces, j'en doute. Et ce n'est pas en les parquant dans une salle commune sans soignant pour communiquer avec eux qu'on va arranger leur santé mentale.
Je me rends compte que je suis en train de me révolter pour les autres et que j'en oublie mon propre sort. Il faut que je trouve un moyen de contacter ma mère pour qu'elle joigne un avocat et me fasse sortir d'ici au plus vite. Paul, discrètement, sort un portable de sa trousse de toilette et me le montre. Je me demande comment il a réussi à échapper à la fouille. Il me glisse aussi un morceau de papier sur lequel il a inscrit <<dans le jardin>>. Je comprends que nous avons le droit à une promenade quotidienne hors de ces murs. Il veut me signifier quelque chose mais pas ici. Visiblement il craint un danger. Il s'empresse de cacher son carnet lorsqu'il entend le bruit de la porte qu'on ouvre.
On nous emmène, ceux qui sont encore valides, dans une autre grande salle qui sert de réfectoire. Paul se place à ma table à mes côtés pour pouvoir me parler sans trop attirer l'attention. Il est journaliste privé, m'avoue-t-il. Il mène une enquête sur les gens qui sont internés contre leur gré. Il m'en apprendra plus lors de la sortie dans le parc où nous aurons davantage de liberté. Ici, nous sommes sous surveillance très stricte. Apparemment, les soignants n'apprécient pas les alliances et craignent que les patients ne se fréquentent. Une émeute est si vite fomentée dans un tel contexte et les infirmiers ne semblent pas nombreux.
J'ai rendez-vous dans l'après-midi avec le docteur Little, m'a-t-on dit au moment du repas mais l'heure venue, c'est un médecin que je ne connais pas que je rencontre. Il m'explique que le docteur Little a constaté que je constituais un danger pour moi-même et que l'hospitalisation s'avérait indispensable. Il ne me laisse pas m'exprimer. A ses côtés se trouve le médecin conseil de mon assurance santé mutuelle qui déclare que la compagnie prendra en charge tous les frais de séjour pendant trois semaines. Cela semble ravir le psychiatre qui me congédie avec un <<bon rétablissement en ces lieux>>.
Je sors perplexe et hagarde. Que vient faire le médecin conseil de mon assurance santé dans cette histoire ? Il semblerait que je sois condamnée à trois semaines d'internement, après on me vire car la mutuelle ne paie plus.
C'est l'heure de la promenade. Paul me rejoint et me glisse discrètement dans la main son téléphone portable. Il a pris son carnet avec lui. Il ne s'en sépare jamais. Je le remercie du bout des lèvres et je m'éloigne à l'abri des regards du surveillant, du maton, devrais-je dire car c'est vraiment un bagne ici, pour appeler ma mère. Je lui résume très brièvement la situation. Elle me promet de venir le plus vite possible, le jour-même.
L'après-midi prend fin et je n'ai pas vu ma mère. Le soir à table, Paul m'apprend qu'une personne s'est présentée à l'accueil en me réclamant mais qu'on lui a refusé le droit de visite, prétextant que je n'étais pas en état de voir du monde. De retour dans le dortoir, j'échange quelques mots avec Paul. C'est le moment de la distribution des médicaments. Nous défilons les uns après les autres à la queue leu leu devant l'infirmière chef. Après avoir pris les comprimés, nous devons ouvrir la bouche pour qu'ils vérifient que nous avons bien avalé le traitement. J'ai réussi à cacher mon comprimé dans un coin de ma bouche et je le recrache discrètement passée l'inspection. Quand je vois l'effet que les médicaments ont sur les autres, je ne tiens pas à vivre la même déchéance, à être abrutie et zombie.
Le dernier soignant devant lequel je passe me rappelle l'individu qui m'épiait. En fait, j'en suis quasi-certaine, c'est bien lui. Il m'adresse un petit sourire et me souhaite une bonne nuit. Mon persécuteur est ici. Je dois absolument trouver le moyen de m'enfuir. C'est lui qui surveille le dortoir cette nuit en plus! Je suis terrifiée à l'idée de m'endormir. Je n'ose pas me confier à Paul. J'ai peur qu'il ne me croie pas ou me pense paranoïaque.
Comme je le redoutais, je ne parviens effectivement pas à trouver le sommeil. Je tente d'apercevoir Paul. Je me demande s'il dort. Je sens que je me suis attachée à ce jeune homme que je connais à peine. Il paraît à la fois si fort et si fragile. Si j'ai bien compris, c'est comme on dit dans le milieu de la police un <<infiltré>>. Il n'est pas du tout ici pour des soins. J'admire son courage. Oser vivre volontairement cet enfer pour sauver la cause des autres. J'espère qu'ils ne vont pas l'abîmer. Pourvu surtout que personne ne mette la main sur son précieux carnet secret. Il serait en danger. Qui sait ce dont ils sont capables dans cette clinique si on leur met des bâtons dans les roues.
La nuit me semble interminable. Mon persécuteur effectue régulièrement une ronde auprès de chaque lit pour vérifier qu'il n'y a pas de problème. J'ai déjà regardé des films angoissants où on retrouvait au petit matin un patient décédé pendant son sommeil. Avec les traitements qu'ils prescrivent, une telle éventualité n'est pas à exclure. Bizarrement, j'ai constaté qu'on ne nous informait pas de la nature et du nom des médicaments qu'on nous obligeait à ingurgiter. Est-ce la règle dans tous les établissements psychiatriques ? Je ne sais pas pendant combien de temps je vais réussir à les duper en recrachant mes comprimés. Heureusement que je n'ai pas de gouttes à prendre. Je serais bien dans l'incapacité de faire semblant de les avaler. J'ai vu des patients piquer une crise et refuser leur traitement. Ils ont été violemment ceinturés et ont reçu une injection. Je sais que quelque part au sous-sol est une chambre d'isolement pour les agités et les récalcitrants qui posent trop de problèmes. Ici on traite les patients comme du bétail. D'ailleurs personne n'est appelé par son nom mais à la place par son numéro de lit. C'est un univers totalement déshumanisé. Quelle tragédie ! J'avais entendu parler d'abus et de déviances dans le milieu psychiatrique mais à ce point, je n'imaginais pas. Et dire que cette clinique a une bonne réputation. De nombreux médecins y adressent leurs patients en consultation. En retirent-ils des pots de vin ?
Le hall d'entrée et les salles de consultation sont accueillantes. L'ensemble a été fraîchement restauré mais une fois franchi le sas, c'est complètement délabré. On ne s'attend pas à ce qui se cache derrière le maquillage...
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