Chapitre 1
La porte se referme derrière moi et j'entends le bruit du verrou qu'on tire et de la serrure qu'on verrouille. C'est la quatrième porte que je franchis depuis que j'ai commencé à avancer dans ce long corridor faiblement éclairé aux murs gris dont la peinture écaillée est souillée de graffitis devenus illisibles. Le colosse qui m'accompagne n'a pas prononcé un seul mot. Il me pousse d'un geste plutôt brutal dans le dos à chaque fois que j'ai une hésitation à avancer et ralentis le rythme. Toutes les portes sont identiques. Elles sont massives et comportent un hublot grillagé par des barreaux en acier rongé par la rouille. Le sol, de ce que je peux en apprécier à cause de l'insuffisance de lumière, est un ciment recouvert de taches nombreuses dont j'ignore l'origine.
A mon arrivée à l'entrée, on a fouillé mon sac à main et on en a retiré mon portable, mon flacon de parfum et mon coupe-ongles. Je n'aurai pas le droit de communiquer avec l'extérieur et tous les objets avec lesquels on pourrait se blesser ou blesser les autres sont confisqués. Je fais allusion aux autres mais pour le moment, nous n'avons encore croisé personne. J'ai essayé de compter les portes closes de chaque côté du couloir, un TOC, mais j'y ai renoncé, beaucoup trop angoissée par la situation présente.
Je ne sais à quoi m'attendre. On m'a fait remplir et signer des formulaires indiquant que j'acceptais la prise en charge par le docteur Little et ensuite on m'a emmenée dans une pièce où on m'a demandé d'ôter tous mes vêtements et sous-vêtements et d'enfiler une blouse d'hôpital. Il n'a jamais été question pour moi d'hospitalisation. Il y a eu méprise. C'est pour un suivi en consultation que j'ai donné mon accord. Personne n'a voulu répondre à mes questions et on m'a interdit de joindre ma mère. Je n'ai plus qu'elle comme famille. Elle va s'inquiéter. Je n'ai eu le droit qu'à un appel téléphonique sous surveillance que j'ai utilisé pour contacter la police en leur disant que j'étais retenue contre mon gré dans cette clinique. Ils vont venir, je l'espère. La personne qui m'a laissé téléphoner m'a dit d'un ton moqueur que la police recevait régulièrement des appels de ce genre, qu'ils allaient certainement se déplacer pour constater que mon hospitalisation était légale et justifiée. Autant ne pas attendre grand chose des forces de l'ordre dans ce cas-là, je suis bel et bien prisonnière et internée contre mon gré.
J'ai consulté le docteur Little parce que je souffrais de crises d'angoisse. Je me sens épiée dans la rue et même jusqu'à l'endroit où je travaille. C'est toujours le même individu. Je le croise partout où je vais. Le docteur Little m'a demandé si j'avais des idées suicidaires, sa question m'a prise au dépourvu et j'ai tardé à répondre par la négative. Il a probablement interprété mon hésitation comme un oui. J'essaie de rationaliser pour expliquer mon internement. Le colosse sort son énorme trousseau de clés et ouvre une porte. Elle donne sur une salle commune où sont installées dans des lits une dizaine de personnes. Certains sont attachés aux barreaux du lit par des sangles. Tous les regards convergent vers moi. Ils n'ont rien d'humain. On dirait des bêtes sauvages.
Une femme à demi-dénudée, les cheveux en bataille, se lève et s'approche de moi en hurlant. Elle me crache à la figure et tente de m'attraper par le cou mais le colosse la ceinture et la plaque sur son lit. Un infirmier surgit quelques minutes plus tard, alerté, et lui injecte un médicament destiné à la sédater. Elle sombre immédiatement dans un état léthargique, les yeux révulsés et l'écume à la bouche. Un homme me scrute avec insistance. Derrière ses lunettes à verres épais, ses yeux ressemblent à de minuscules billes noires. Il m'effraie. A l'autre bout de la pièce, une vieille femme se balance en gémissant et en serrant contre elle une poupée qui ressemble plus à un bout de chiffon crasseux. Un jeune homme aux cheveux très longs avec un piercing à l'oreille s'avance les yeux mi-clos en récitant des prières incompréhensibles. Une jeune femme couverte de tatouages m'apostrophe et me demande ce que je fous là. Elle me dit avec rage que je ne suis pas la bienvenue et m'interdit de toucher à ses affaires en me traitant de sale garce sous peine de représailles. Une jeune fille qui a l'air tout juste plus âgée qu'une adolescente se tortille les cheveux avec les mains et en arrache régulièrement quelques-uns qu'elle mange. Elle émet des gémissements plaintifs. Elle semble souffrir. Elle regarde fixement le plafond et paraît indifférente à tout ce qui se passe autour d'elle.
Je demande au colosse si je vais bientôt voir le docteur Little. Il se détourne et quitte la salle sans dire un mot en la verrouillant derrière lui. Me voilà seule au milieu de personnes qui ont l'air plus démentes les unes que les autres. Dans un coin éloigné de la pièce, je ne l'avais pas remarqué, un homme d'une trentaine d'années est en train d'écrire dans un carnet. Il est absorbé dans ses pensées. J'ai l'impression qu'il ne m'a pas vue entrer. Il tourne le dos à l'assemblée. De temps en temps, il lève un index en l'air, le porte à sa bouche puis se remet à écrire. Il m'intrigue. Sur sa table de nuit, il y a quelques livres. Je m'approche doucement pour ne pas l'effrayer. J'engage la conversation. Je me présente par mon prénom. Il sursaute et paraît sur l'instant apeuré un peu comme un petit animal fragile. Il se présente à son tour mais il refuse de serrer la main que je lui tends. Il doit craindre les contacts physiques car il se recule un peu plus vers le mur pour mettre de la distance entre nous. Paul, s'appelle-t-il ? Je l'interroge à propos de ses lectures. Son regard s'anime. Il s'intéresse à la poésie. Il se met à me déclamer avec passion l'albatros de Baudelaire.
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