6. Escale ~ Aymeric
C'est bien ma veine, ça ! Il fallait que le boulet qui a retardé notre avion soit placé juste à côté de moi ! Et comme si ça ne suffisait pas, la retardataire en question et la Miss Calamité du TGV sont une seule et même personne. Non, mais franchement, quelle était la probabilité pour qu'on se retrouve dans le même avion ? Et assis à côté, en prime ? Pire que tout, sur deux vols successifs ! Et bien évidemment, Miss Calamité ne fait jamais les choses à moitié. M'écraser le pied, me défoncer le ventre et me perforer la cuisse avec ses ongles sans aucun complexe ne suffisait pas, voilà qu'elle essaie de me castrer ! À croire qu'elle a décidé de me mettre en pièces ! Si j'étais parano, je penserais que cette nana a une dent contre moi !
À sa décharge, je dois admettre qu'elle ne semble pas l'avoir fait exprès. Elle a même l'air tellement embarrassée qu'elle me fait presque pitié. Ceci dit, ce n'est pas une raison pour me laisser attendrir. Je ne sais pas si elle m'a reconnu et je m'en branle, mais ce n'est pas parce qu'on s'est déjà croisé que je vais accepter de lui tenir le crachoir. Elle s'est excusée, c'est bon, fin de l'incident, mais qu'elle me foute la paix maintenant ! Elle m'a suffisamment pourri ma journée. Le vol ne doit durer que 5 h 30, ça devrait vite passer. Le repas, un film, un petit pénéquet [1] et je serai débarrassé de cette plaie une fois arrivé à Doha. Résolu à ignorer Miss Calamité, je mets le casque sur mes oreilles et cherche un film pour m'occuper l'esprit en attendant qu'on nous serve le repas du soir.
***
— Psssst, réveillez-vous.
Un léger choc sur mes abdominaux me fait ouvrir les yeux. Juste à temps pour voir ma voisine remonter ma tablette après avoir laissé tomber mon casque sur mon ventre. Agacé, je grogne spontanément :
— Non, mais de quoi j'me mêle !
— Nous allons atterrir et l'hôtesse a dit de remonter les tablettes et de redresser les sièges, chuchote Miss Calamité.
— Je suis capable de le faire moi-même ! Je n'ai pas besoin d'une baby-sitter.
— Vous dormiez et...
— Vous ne pouvez pas vous en empêcher, hein ? Toujours à vous mêler de tout, même quand ça ne vous concerne pas.
Vexée, elle se renfrogne et grommelle :
— Décidément, vous êtes toujours aussi aimable. Dormir n'a pas arrangé votre humeur à ce que je vois !
— Dormir est un bien grand mot. Difficile de se reposer sereinement quand vous êtes à côté ! je rétorque avec une parfaite mauvaise foi.
La blondinette se retranche aussitôt dans un silence boudeur et se détourne de moi pour reporter son attention vers le hublot. La tension qui émane d'elle est perceptible. Je n'ai pas besoin de me pencher pour regarder son visage. Il me suffit de voir la crispation de ses muscles sous son pantalon moulant. Sans compter ses doigts agrippés à l'accoudoir. Une chance pour moi qu'elle ne l'ait pas encore confondu avec ma cuisse ! Lorsque nous ressentons un léger choc et les intenses vibrations indiquant que l'avion vient de toucher le tarmac, je réalise que sa tension n'est peut-être pas due à notre échange aigre-doux. J'avais oublié que c'était son premier vol. J'en ai la certitude elle la voyant se crisper davantage lors du freinage puissant de l'appareil puis se détendre brusquement quand le vrombissement des réacteurs s'atténue tandis qu'il roule lentement vers le taxiway.
« Mesdames et messieurs, nous venons d'atterrir à Doha à l'aéroport international Hamad. Il est 6 h 3 heure locale, le ciel est dégagé et la température extérieure est de 33 degrés Celsius. Veuillez rester attachés jusqu'à l'extinction de la consigne lumineuse. Lors du débarquement nous vous demandons d'ouvrir les coffres à bagages avec précaution afin d'éviter la chute éventuelle d'objets. Nous espérons que vous avez effectué un agréable voyage en notre compagnie, et souhaitons vous revoir bientôt à bord de Qatar Airlines. »
L'avion s'immobilise contre la passerelle pendant que l'hôtesse répète son annonce en anglais. Dès que le voyant lumineux s'éteint, je déboucle ma ceinture et me lève pour récupérer mon sac à dos. Finalement le voyage n'a pas été aussi pénible que je le redoutais. Contrairement à mes craintes, ma voisine n'a plus fait des siennes et m'a foutu la paix. Elle a bien tenté d'engager la conversation après le décollage, mais elle a compris le message quand je l'ai royalement ignorée. Lorsque l'hôtesse déverrouille la porte de l'avion, je suis pris d'impatience. J'ai hâte de quitter cette boîte à sardines. Je suis un homme d'action et l'inactivité me pèse. Alors, rester sans bouger pendant presque sept heures...
Je suis parmi les premiers à sortir. À peine débarqué, je cherche un endroit calme pour passer les deux heures d'escale. Je ne suis pas assis depuis dix minutes qu'une annonce me fait dresser l'oreille. Incertain des bribes que j'ai entendues, je me lève pour me rapprocher d'un haut-parleur et j'écoute avec attention l'hôtesse répéter son message : « Ladies and gentlemen, your attention, please. This is an announcement for passengers traveling to Denpasar on Qatar Airlines, flight QR 0960. We regret to inform you that your flight has been cancelled due to a technical problem. Please contact the airline staff at the transfer counter for more information. Thank you. »[2]
Merde ! Le vol pour Denpasar est annulé !
Comme tous les voyageurs concernés, je pars à la recherche du fameux comptoir. Dans le hall suivant, j'aperçois Miss Calamité qui semble complètement perdue. Le nez en l'air, elle tourne la tête dans tous les sens pour déchiffrer les panneaux. Pendant un court instant, j'hésite à lui demander si elle a besoin d'aide, mais je me ravise. Après tout, elle est adulte, alors qu'elle se démerde ! Je n'ai pas l'âme d'un bon samaritain aujourd'hui et encore moins de temps à perdre avec cet imprévu.
Après avoir fait la queue pendant une quinzaine de minutes, j'accède au comptoir des transferts. L'agent d'escale m'informe que je suis déplacé sur le vol de 17 h 10. Neuf heures de retard sur l'horaire initial et presque onze d'attente ! Bien évidemment, la compagnie est désolée de ce désagrément et propose des aménagements pour nous aider à patienter. J'ignore si ce contretemps est une mauvaise chose ou au contraire une bonne surprise. Après tout, nous allons pouvoir faire un peu de tourisme dans un car climatisé et nous dégourdir les jambes au lieu de rester plantés sur un siège inconfortable. Parce que même s'il faut reconnaître que l'Hamad International Airport est superbe et luxueux, un siège dur reste un siège dur, et qu'il y ait du marbre au sol ou sur les murs, ne change rien au confort de mon dos et de mon cul. Sans compter que nous allons aussi avoir droit à un bon petit déjeuner, tout ça aux frais de la princesse ! Enfin, plus exactement aux frais de Qatar Airlines. Y a pas à dire, cette compagnie est top ! Ils traitent vraiment bien leurs clients.
Décidé à profiter de l'aubaine, je m'empresse de remplir les documents pour obtenir le visa temporaire obligatoire pour quitter l'aéroport. Je me rends ensuite dans un des salons de Qatar Airlines pour avaler le petit déjeuner offert. Je suis tenté par la possibilité de prendre une douche dans l'espace sanitaire dédié, mais n'ayant pas pris la précaution de mettre une tenue de rechange dans mon bagage cabine, j'abandonne l'idée. À la place, je surfe sur mon smartphone tout en le rechargeant en attendant l'heure de la visite guidée.
À l'origine, l'escale ne devait durer que deux heures sans quitter l'aéroport, mais la situation ayant changé, nous voilà à passer le contrôle de l'immigration. Ils ne rigolent pas à ce sujet au Qatar et l'atmosphère est assez réfrigérante. Pas un sourire, pas une parole de bienvenue, rien. Le policier qui me contrôle me dévisage longuement puis me fait signe de me placer devant une caméra. J'ai beau savoir que je n'ai rien à me reprocher, je commence à monter en pression pendant qu'il scrute son ordinateur, toujours sans un mot. Il ne manquerait plus qu'il m'interdise de sortir de l'aéroport s'il découvre mon appartenance à l'armée française !
Après plusieurs minutes de tension, l'officier me tend mon passeport estampillé avec le tampon qatari. Me donner l'accès sur son sol ne le rend pas plus aimable. C'est fou, ça ! Pour un pays qui se targue de vouloir devenir une destination touristique de luxe, on n'a vraiment pas le sentiment d'être reçus à bras ouverts. Il faudrait revoir le comité d'accueil !
Libéré, je me poste un peu plus loin en attendant que l'hôtesse nous transmette les consignes pour le city tour. Alors que mon regard s'attarde machinalement sur les passagers qui franchissent le contrôle, mon attention est attirée par un spectacle appétissant et incongru. De jolies jambes qui émergent d'un short blanc assez court et légèrement moulant. Et pour compléter le tableau sexy, une longue crinière dorée s'étale sur une petite marinière à manche courte. Waouh, elle n'a pas froid aux yeux celle-là ! C'est plutôt osé de sortir dans cette tenue au Qatar. Tandis que je me régale du spectacle, je fais des suppositions sur la nationalité de la jolie poupée toujours de dos. Si elle avait été bronzée, j'aurais penché pour une Australienne, mais elle a la peau trop blanche. Elle ne doit pas beaucoup rester au soleil. Blonde comme ça, elle vient sûrement d'un pays nordique. Probablement une Suédoise ou originaire d'un autre pays nordique. Le côté pile étant plutôt agréable, je me demande à quoi ressemble le côté face ? Non pas que je sois à la recherche d'un coup rapide avec une inconnue, mais je suis curieux de voir quel genre de nana a assez d'aplomb – ou d'inconscience – pour se balader comme ça ici. La réponse vient lorsque la demoiselle hisse son sac à dos sur l'épaule. Un sac que je reconnais pour l'avoir vu de très près lorsque je me suis pris le coin d'une valise dans l'estomac.
Enfer et damnation ! Miss Calamité ! Mais qu'est-ce qu'elle fout dans ces fringues ? C'est bien d'une gonzesse de passer son temps à se pomponner et de se prendre pour un mannequin en essayant trente-six mille tenues au cours d'une même journée ! Presque malgré moi, je me surprends à l'observer. Je n'avais pas noté qu'elle avait d'aussi longs cheveux. Ni qu'elle avait une carnation aussi claire. Et pour cause... Vu comme elle accumule les bourdes et la vitesse à laquelle elle s'emporte, elle doit avoir le rouge aux joues plus de la moitié du temps ! À vrai dire, je n'ai pas prêté attention à son physique, elle m'a trop énervé. Je ne suis même pas capable de dire de quelle couleur sont ses yeux. La réponse m'apparaît très clairement lorsqu'elle me passe à côté en m'ignorant royalement : une teinte indéfinie, mélange de bleu, vert et gris.
[1]Pénéquet : mot d'origine provençale qui désigne une sieste courte.
[2]Mesdames et messieurs, votre attention, s'il vous plaît. Ceci est une annonce pour les passagers voyageant à destination de Denpasar sur Qatar Airlines, vol QR 0960. Nous avons le regret de vous informer que votre vol a été annulé en raison d'un problème technique. Veuillez contacter le personnel de la compagnie aérienne au comptoir des transferts pour plus d'informations. Merci.
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Ah tiens ! Il semblerait qu'Aymeric n'ait pas ses yeux dans sa poche et qu'il ait finalement repéré certains atouts de Miss Catastrophe ! Ceci dit leurs rapports ne semblent pas s'être améliorés...
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