XXXIII - La Révolte - Deuxième mouvement
À ces paroles, Angelus comprit ce qui allait lui arriver. Il resta pétrifié sur place, incapable de bouger un doigt ou une plume. Euresme avait été un maître cruel, mais la torture qu'il lui infligeait était celle de l'âme, non du corps. Arol voulait l'enchaîner comme un animal... S'il tentait de s'échapper, il ne trouverait aucune issue dans cette pièce qui le coupait des cieux : il était encore plus aisé de bloquer une porte à un ange qu'à un homme.
Le garde sortit, laissant Angelus sous le regard sans aménité d'Arol :
« Alors comme cela, une petite chose comme toi a donné du fil à retordre au tout puissant Euresme ? Je peine à le croire... Mais je ne compte pas me laisser faire pour autant. »
Le regard toujours baissé, tremblant de colère et d'humiliation, l'Ange s'obligea à garder son calme et déclara de son ton le plus soumis :
« Messire... Je vous assure que je n'ai aucune intention de vous désobéir. Je vous donne ma parole. »
Messire Arol frappa les accoudoirs rembourrés de son fauteuil en partant d'un grand rire :
« Ta parole ? Mais que vaut la parole d'un de ces emplumés qui n'ont que mépris pour nous, les humains ? »
Angelus serra les poings de frustration : il ne pouvait faire autrement que se soumettre, en espérant qu'Aïzie et Ivara ramèneraient bientôt du renfort, après avoir éloigné Catena de tout danger. Sur les indications de sa protégée, ses amis sauraient le retrouver. C'était la seule pensée à laquelle il pouvait encore se raccrocher.
Il attendit, résigné, l'arrivée du forgeron, un homme lourd et puissant, à la barbe hirsute, qui empestait la tourbe et la fumée. Angelus sentit son cœur s'affoler quand il vit ce qu'il tenait entre ses mains : d'épais fers de chevilles, liés entre eux par une chaîne à gros maillons. Il n'aurait aucun moyen de voler ni très haut ni très loin, ainsi chargé.
Des larmes de honte et d'humiliation lui brûlèrent les yeux tandis que le forgeron verrouillait les bracelets de métal autour de ses jambes. Il le regarda remettre la clef à messire Arol, qui hocha la tête :
« Bien. Maintenant, mène-le à notre angelier. »
Avec une terrible résignation, le jeune Ange suivit le forgeron à l'extérieur du corps du bâtiment, sentant le regard d'Arol lui brûler le dos. Jamais il n'aurait pensé un jour regretter le traitement infligé par Euresme. Le fer lui meurtrissait la peau ; sous peu, elle se déchirerait et le sang commencerait à couler.
Il ne prêtait aucune attention à ce qui se passait autour de lui, se concentrant sur chacun de ses pas pour éviter de trébucher sous le poids des chaînes. On lui fit traverser le pont vers la tour isolée ; l'angelier, un homme mince au visage inexpressif et aux yeux éteints, les y attendait. Il adressa un hochement de tête au forgeron, avant de prendre Angelus par le bras et de l'emmener en direction du bâtiment.
Il le mena à une cellule au premier niveau, qui devait en principe abriter les chaînes plutôt que les Anges, et l'y enferma sans un mot. Même s'il semblait remplir sa tâche sans états d'âme, il ne se montrait pas inutilement cruel. Angelus n'arrivait pas à s'en réjouir : il le regarda s'éloigner sans parvenir à secouer l'apathie soudaine qui s'était emparée de lui.
Les dernières étincelles d'espoir qui brûlaient en lui vacillaient, prêtes à s'éteindre, mais il repensa à Catena dans sa cage de fer. Comment osait-il se plaindre du traitement qu'on lui infligeait, quand la fillette avait subi de telles épreuves ?
Dans un coin de la cellule se trouvait une mauvaise paillasse avec une couverture mangée aux mites, que personne n'avait jamais dû laver. Il préféra se recroqueviller à même le sol froid et dur, sous le couvert de ses ailes étendues, attendant de voir ce que l'on allait faire de lui.
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