XVII - Le retour - quatrième mouvement
Le jeune Ange sentit son cœur se serrer douloureusement :
« Vous... séparer de moi ? »
Euresme hocha gravement la tête :
« C'est le mieux à faire pour nous deux. De toutes les façons, tu es un ange qui protège des enfants et, bientôt, Catena n'en sera plus une. Mais je sais aussi... »
Son sourire s'élargit d'une fraction, et il poursuivit :
« Je sais aussi que ce n'est pas que ton lien de protecteur à protégé qui te lie à elle. Aussi étrange que cela puisse paraître, compte tenu du fait que c'est à cause d'elle que tu te trouves lié à Cimes, vous êtes... amis. »
Il hocha lentement la tête face à l'expression surprise et confuse d'Angelus. Il se pencha en avant, appuyant son menton au creux de sa paume :
« C'est pourquoi j'ai pensé à une autre solution te concernant. Tu connais sans doute le petit fort de Col d'Argent. Son seigneur s'est placé sous ma protection. »
Angelus ne s'était jamais mêlé des affaires humaines. Peut-être avait-il été envoyé, deux ou trois fois, porter des messages au maître de ce fortin. Même avec la meilleure volonté du monde, il ne parvenait à visualiser qu'une bourgade suspendue dans le passage entre deux massifs montagneux, moins escarpés que Cimes. Il ne voyait pas en quoi il pouvait être concerné.
« Il se trouve que son seigneur, Arol, poursuivit Euresme, peine à remplir son angèlerie. Aussi me suis-je décidé à lui faire un présent. »
Le jeune ange sentit son ventre se serrer :
« Moi, monseigneur ? Mais... et Catena ?
— Catena ? Oh, mais ton amie restera ici. »
Angelus, sentant la panique s'emparer de lui, serra les poings.
« Mais comment... Pourquoi... »
Les mots se bousculaient sur ses lèvres, dans son esprit...
« Comme je l'ai dit, tu m'es presque inutile ! Alors, il me semble intéressant de choisir une autre approche. Mais puisque tu as fait de ton mieux, je me dois d'être clément. Mon vassal se contentera, en ce qui le concerne, d'un service juste... passable. Si, au terme d'une année entière, tu as donné satisfaction à Arol, et que nous avons trouvé qui est ta nouvelle Chaîne, tu pourras revenir ici et nous garderons la jeune Catena avec nous en tant que servante de la citadelle de Cimes. Et peut-être pourrons-nous bénéficier des services de son nouvel Ange, qui n'aura aucun mal à mieux me servir que tu ne l'as fait. »
La solution semblait étrangement raisonnable, mais quelque chose dans le regard d'Euresme, ce regard gris et froid comme la pierre de la forteresse, lui faisait craindre le pire.
« Et si... et si le seigneur Arol n'est pas content de moi ? demanda-t-il d'une voix tremblante.
— Alors, je me serais chargé d'une bouche inutile... et je ne serai pas enclin à me montrer clément », répondit le seigneur avec un sourire acerbe.
Il se leva de son trône, toisant le jeune Ange d'un œil impitoyable :
« À présent, prépare-toi à partir. Catena ne sortira de sa cage que lorsque tu seras en chemin. »
Angelus se sentit trembler, peinant à refréner la déferlante d'émotions qui le submergeait.
« Il se fait tard. Je... je ne pourrai pas partir de nuit... » balbutia-t-il.
Il devait rester le plus longtemps possible auprès de Catena. De surcroît, il se savait incapable pour le moment de pouvoir voler sur de longues distances. Son aile était encore trop fragile : une nuit supplémentaire ne serait pas de trop pour achever sa guérison.
« Bien entendu... susurra Euresme. D'ailleurs, voir ta chaîne enfermée jusqu'au lendemain dans cette cage au-dessus du vide te fera réfléchir à ton attitude. Nous avons été trop cléments avec toi... et nous le sommes toujours. »
Il baissa la tête, sentant son cœur cogner de toutes ses forces contre ses côtes douloureuses : quand cette torture cesserait-elle ? Quel mal avait pu ronger certains hommes pour ainsi détourner et salir ce lien si beau entre les Anges et leurs protégés ? Il poussa un long soupir, qu'il s'efforça de garder inaudible aux oreilles du seigneur.
« Eh bien ? Je n'ai pas entendu ta réponse, Angelus... »
Il releva lentement ses yeux où le ciel d'azur se ternissait de nuées de pluie :
« J'obéirai, monseigneur. Je ferai de mon mieux pour contenter le seigneur Arol. »
Il s'arrachait chacun de ces mots comme un lambeau de chair, mettant à nu son âme et son cœur. Mais il n'avait pas le choix. Il espéra qu'Aïzie et ses amis trouveraient l'aide qu'ils étaient partis rechercher, et qu'avec eux reviendrait le nouvel Ange protecteur de Catena.
« Je sais ce que valent tes promesses, Angelus, rétorqua Euresme d'un ton méprisant. J'espère que tu as bien compris que c'était ta dernière chance.
— Oui, monseigneur. Je partirai demain, dès l'aube », murmura-t-il d'une voix éteinte.
Le seigneur hocha la tête, satisfait de son obéissance ; cependant, quelque chose dans son regard laissait penser qu'il aurait préféré que le jeune Ange se rebelle, pour avoir le loisir d'appliquer la justice impitoyable qu'il se plaisait tant à assouvir.
« Bien. Il est inutile que tu reparaisses devant moi : je m'assurerai auprès de l'angelier que tu es bien parti. »
Angelus savait qu'il n'avait rien à gagner en discutant les ordres. Il tourna les talons et se dirigea vers la sortie de la salle : ses ailes pesaient dans son dos, comme un fardeau immense pour ses frêles épaules.
Les Anges étaient faits pour voler librement dans le ciel.
Pas pour être retenus à terre par la cruauté des hommes...
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