XLVI - Le sauvetage - Deuxième mouvement

La manœuvre se révéla périlleuse, surtout au milieu des éléments déchaînés, mais Aïzie réussit à tomber plus ou moins en place, se raccrochant aux harnachements pour préserver un équilibre précaire. Il guida Rafale vers la tour de l'angèlerie en s'efforçant de rester dans un angle invisible depuis la forteresse. Seuls les Anges pouvaient éventuellement l'apercevoir ; auquel cas il espérait qu'aucun d'entre eux n'était devenu amer au point de le dénoncer s'ils le remarquaient.

À l'arrière de la bâtisse, il y avait à peine assez de place pour accueillir la khaïte, mais les créatures volantes avaient pris l'habitude, dans leur existence sauvage, de vivre sur d'étroites corniches. Fouetté par le vent et la pluie, le garçon discernait à peine ce qui l'entourait. Il démonta avec prudence et s'avança le long du passage réduit, observant les lieux avec attention. Levant les yeux, il vit que les pontons étaient désertés : les anges, pas plus que les humains, n'aimaient se faire tremper...

Tous sauf un.

Sur l'une des plus hautes saillies, il repéra la silhouette solitaire d'une Angelle à la chevelure et aux ailes bleutées. Elle demeurait assise dans une position qui témoignait d'une grande douleur, les bras autour de ses jambes repliées, le front appuyé sur ses genoux. Ses mèches azur étaient collées à son corps par l'eau et même ses plumes avaient pris une couleur terne et triste. Entendant un bruissement à côté de lui, il se tourna pour apercevoir Celestia, qui contemplait elle aussi l'Angelle désespérée.

« Fais ce que tu as à faire, murmura-t-elle au jeune garçon avec un sourire, je vais m'occuper d'elle. »

Il opina tandis qu'elle reprenait son envol. La cour de l'angèlerie était toujours aussi déserte ; il s'efforça de se faire le plus discret possible, cherchant ce qui pouvait ressembler à un atelier. Il reconnut la maison de l'angelier à la flamme qui brûlait derrière la fenêtre et en demeura soigneusement éloigné.

Finalement, il aperçut un petit bâtiment dont la porte était restée béante ; même si Aïzie ne pouvait discerner l'intérieur plongé dans les ombres, l'endroit semblait vide. Le garçon s'en approcha prudemment et passa une tête dans l'unique pièce, qui sentait le métal et la poussière ; constatant qu'aucun bruit suspect n'en provenait, il s'enhardit à y pénétrer.

Quand ses yeux se furent habitués à l'obscurité, il distingua des outils suspendus à une planche munie de crochets : les gens de l'île ne travaillaient pas le fer ; ils troquaient les objets tout faits avec les habitants des villages d'altitude. Ces ustensiles ne lui étaient pas familiers ; plus encore, ils lui semblaient effrayants, comme d'étranges bêtes avec des becs, des crocs, des gueules plus terrifiantes les unes que les autres. Finalement, il choisit une forte cisaille qui pesait lourd au bout de son bras. Sans doute permettrait-elle de couper le cadenas qui empêchait Catena de s'enfuir de la cage.

Avec autant de discrétion que possible en dépit de son fardeau, Aïzie quitta le cabanon et retourna vers sa khaïte qui l'attendait patiemment. Mais avant qu'il puisse faire le tour du bâtiment, une voix rude et enrouée retentit soudain dans son dos :

« Qu'est-ce que tu pensais faire, sale petit voleur ? Tu sors d'où, d'abord ? »

Aïzie se retourna brusquement, la pince toujours en main, avisant la silhouette épaisse de l'angelier ; l'homme était débraillé, la trogne fleurie, rendu plus mauvais encore par l'alcool coulant dans ses veines. Il tenait une longue lame au tranchant acéré, dont il semblait prêt à se servir, à voir la lueur meurtrière dans son regard.

« Tu pensais venir en aide à ces dégénérés à plume, ou aux loques qu'ils protègent ? Tu vas apprendre qu'ici, nul ne défie l'autorité du seigneur de Cime ! »

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