VIII - L'Île dans le ciel - quatrième mouvement

L'intérieur de la tour offrait peu de ressemblance avec l'angèlerie – ce qu'Angelus découvrit non sans soulagement. Il était totalement évidé ; au rez-de-chaussée, accrochés à des tenons scellés dans la pierre nuageuse, étaient suspendus les selles et les harnais des khaïtes. À chacun des trois niveaux, des galeries de bois avaient été fixées au mur, supportant des stalles garnies d'herbes sèches. Des escaliers aussi raides que des échelles menaient à chaque étage. Angelus était soulagé de l'absence de couloirs étroits, où il aurait pu courir le risque de se cogner les ailes.

Aïzie choisit une selle conçue pour pouvoir porter deux personnes, qu'il balança sur son épaule sans effort apparent. L'Ange était impressionné par la vigueur du garçon, en dépit de sa minceur. Le semeur de tempête monta l'escalier avec agilité, sans être déstabilisé par son fardeau. Angelus le suivit avec un peu d'appréhension : son aile immobilisée et le poids, même léger, de l'attelle le déséquilibraient. Il se résolut à se retenir autant que possible à la rampe de corde qui longeait les marches escarpées.

La stalle de Nuée se trouvait au second niveau ; en les sentant approcher, elle avait penché la tête par-dessus le bord de la galerie. La khaïte était d'une couleur plus claire que ses congénères, une sorte de gris moiré de bleu. Plus fine que la plupart d'entre eux, elle portait sur ses visiteurs le regard serein de grands yeux aussi noirs et brillants que les veines d'obsidienne qui affleuraient parfois au flanc de montagnes volcaniques. Excitée de voir son maître approcher, elle poussa un long et doux mugissement qui ressemblait au son d'une corne de bois.

Aïzie sauta sur la plate-forme, posa le mors et la selle et enroula ses deux bras autour du cou flexible de l'animal.

« Oui, ma belle, murmura-t-il avec affection, moi aussi, j'ai envie d'aller me dégourdir les ailes... »

Il rit doucement à cette idée.

« Ou plutôt, d'aller dégourdir les tiennes ! Mais en attendant, je voudrais te présenter un nouvel ami ! »

Il fit signe à Angelus d'approcher :

« Voici mon ami Lucielus. Il est un enfant du ciel, lui aussi, pas tout à fait comme toi, mais je suis sûr que vous pouvez vous entendre. »

Les grands yeux d'obsidienne contemplèrent l'Ange avec curiosité. Nuée s'avança, marchant sur les talons de ses ailes comme une énorme chauve-souris. Elle tendit le cou vers lui et ses naseaux palpitèrent, reniflant son odeur inhabituelle. Puis elle fourra le bout de son nez dans sa main ; il recula, surpris.

« Elle veut juste que tu la caresses ! » expliqua Aïzie en riant.

Avec un peu d'hésitation, Angelus toucha du bout des doigts le front de l'animal : contrairement à toute attente, sa peau était lisse, douce et chaude. Il s'enhardit et flatta le côté de son long cou sinueux. Les grands yeux sombres se fermèrent à demi.

« Voici mon ami Lucielus, Nuée. Lui aussi peut voler, mais il s'est cassé une aile. Tu es d'accord pour lui prêter les tiennes ? »

Les yeux se rouvrirent, allèrent d'Aïzie à l'ange. Puis la khaïte écartant ses deux paires d'ailes l'une de l'autre pour permettre au garçon de lui poser la selle et de l'attacher. Il lui passa le mors et, saisissant les rennes, la conduisit vers le ponton.

Une fois sur l'avancée de bois, il monta sur le dos de l'animal et attrapa la main d'Angelus pour le hisser derrière lui. Nuée étendit ses ailes et s'élança dans les airs. L'Ange avait l'habitude de parcourir l'immensité d'azur, mais c'était très différent de le découvrir porté par une autre créature. Son vol était d'une stabilité étonnante et elle maîtrisait les courants en véritable enfant du ciel. Il pouvait sentir le mouvement des muscles puissants qui commandaient les deux paires d'ailes.

Ils commencèrent par survoler l'île, avec ses maisons plates et ses jardinets en fleurs, puis descendirent le long des parois qui ressemblaient à de grandes falaises de pierre poreuse ; Angelus vit que l'intérieur avait été creusé ; des pontons émergeaient d'ouvertures pratiquées dans la muraille, pour permettre aux khaïtes d'y accéder. Il réalisa qu'il lui restait bien des choses à découvrir sur cette île mystérieuse et ces semeurs de tempête.

Nuée franchit un trou d'air ; le soubresaut réveilla la douleur de son aile, qu'il avait oubliée dans l'enthousiasme de cette nouvelle façon de voler. Il se sentit saisi par l'épuisement  : sans doute en avait-il trop fait pour son état de convalescent. Craignant soudain de glisser de la selle, il resserra instinctivement ses bras autour de la taille d'Aïzie, qui se retourna vers lui et demanda d'une voix effilochée par le vent  :

« Est-ce que tout va bien ?

— Je.. je pense que je préférerais rentrer...

— C'était peut-être trop pour un début ! Pas de soucis ! »

Il tira sur les rênes, orientant la khaïte dans une large boucle qui les ramenait vers la tour. Avec douceur, Nuée se posa sur son ponton et attendit patiemment que les deux garçons descendent pour s'ébrouer un grand coup. Aïzie la flatta affectueusement, avant de lui ôter son harnachement.

Angelus s'assit au bord du vide, les jambes ballantes, regardant la ville qui s'étendait en contrebas. Cette simple virée l'avait éreintée ; il se demandait combien de temps il lui faudrait pour récupérer ses forces.

Quand Aïzie eut fini de s'occuper de Nuée, il se pencha vers son nouvel ami :

« Est-ce que tu as faim ? Nous n'avons pas pris de déjeuner ce matin ! J'avoue que je ne sais pas ce que mangent les anges, mais Aïmara est une excellente cuisinière... »

Angelus réalisa qu'il se sentait affamé ; il se releva maladroitement et sourit au semeur de tempête :

« Je te suivrai volontiers ! Je ne mange pas de viande, mais il y aura bien quelque chose pour moi ?

— À vrai dire, nous non plus ! Nous avons bien des œufs par les tournevols, mais nous ne pourrions rien élever de plus gros ici. »

Il posa une main sur l'épaule valide de l'Ange et l'entraîna vers la sortie de la tour.




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