VI - L'Île dans le ciel - Deuxième mouvement
Il ouvrit les paupières subitement, arraché à un sommeil hanté de rêves fragmentés.
« Catena ! »
Il ne disposait que trois jours pour vérifier les défenses ennemies et revenir à Cimes. Il devait partir, immédiatement, où Catena serait lancée dans le vide vertigineux depuis les hauteurs de la forteresse. La panique faisait battre son cœur à toute allure dans sa poitrine. Il se redressa, ravalant un cri quand le geste tira sur ses côtes. Une douleur sourde palpitait encore dans son aile, mais il ne pouvait tarder plus longtemps. Sa main gauche se porta par-dessus son épaule, cherchant fébrilement les bandages pour libérer le membre immobilisé. Il rencontra la surface rêche d'une attelle de bois léger, qu'il s'acharna à dégager en en serrant les dents.
Des doigts vigoureux se refermèrent sur son poignet :
« Je ne ferais pas cela si j'étais toi. »
Il tourna la tête et découvrit un garçon de quatorze ou quinze ans, mince et osseux, qui le fixait avec des yeux d'un bleu aussi intense que les siens, contrastant avec une peau hâlée par le soleil d'altitude. Il était revêtu du même habit de cuir qu'Afras, sauf qu'au lieu d'un bandeau, il portait une coiffe qui dissimilait sa chevelure.
Sa main retenait le poignet d'Angelus d'une poigne de fer, même s'il prenait soin de ne pas le blesser. L'Ange cessa de lutter et laissa le visiteur reposer doucement son bras sur la couche.
« C'est moi qui t'ai trouvé... Les tourbillons qui protègent notre île ont dû te happer et te précipiter sur l'île. Tu étais dans un triste état. »
Angelus le considéra gravement :
« Tu es Aïzie, n'est-ce pas ? »
Le garçon hocha fièrement la tête :
« En effet, je suis Aïzie, chevaucheur de khaïte et semeur de tempête ! »
Il s'assit sur ses talons et le regarda avec curiosité :
« Je ne comprends pas pourquoi tu cherches déjà à nous quitter. Tu n'as pas été bien reçu ici ? »
L'Ange soupira un peu tristement :
« Bein sûr que si... Vous m'avez accueilli et soigné... Je vous suis reconnaissant. Mais je dois rentrer... Avant que mon absence n'entraîne la mort de Catena.
— Catena ? »
D'une voix douce et triste, Angelus parla au garçon de Cimes, de sa soumission au seigneur et de la façon dont Catena était utilisée pour assurer son obéissance.
« Peu importe au seigneur de Cimes si je suis blessé, acheva-t-il d'une voix un peu tremblante. Il ne désire qu'une seule chose, que la mission soit réalisée et que je revienne en temps et en heure. »
— Ce qui est impossible. Ton aile est beaucoup trop abîmée. Tu ne pourras pas voler avant cinq ou six jours, même avec les soins d'Aïmara. »
Le jeune Ange baissa la tête, en proie au plus cruel des découragements. Aïzie lui adressa un regard rassurant :
« N'aie crainte, nous avons la solution. Puisque tu ne peux pas utiliser tes ailes, nous allons t'en prêter. »
Les yeux d'Angelus s'élargirent d'étonnement :
« Me prêter des ailes ? Mais, comment ? »
Le semeur de tempêtes sourit mystérieusement :
« Repose-toi encore un peu : demain matin, si tu es assez fort pour te lever, je te présenterai mes ailes. »
Sur ces mots cryptiques, le garçon aux yeux bleus quitta la chambre, avec un dernier salut à l'attention de l'Ange.
* * *
Au matin, un rayon de soleil se glissa par les ouvertures en haut des murs pour tomber sur le visage d'Angelus et taquiner ses paupières closes. Le jeune Ange se redressa légèrement : la douleur de ses blessures se faisait moins vive ; il pouvait se mouvoir avec précaution. Il s'assit sur le rebord du lit et essaya de se lever. Ses jambes étaient encore faibles et le poids de son aile immobilisée le déstabilisait un peu, mais il parvint à faire quelques pas dans la pièce, laissant ses doigts effleurer l'étrange pierre poreuse et son regard se noyer dans les scènes irréelles des tapisseries.
Sur une étagère, il repéra une figurine singulière : son corps ressemblait à celui d'une chauve-souris, mais qui aurait possédé deux paires d'ailes membraneuses au lieu d'une, un long cou flexible de cygne et un museau qui évoquait un peu celui des cornus, sans les gigantesques excroissances enroulées autour de leur tête.
« C'est un khaïte », expliqua une voix mélodieuse derrière lui.
Il se retourna, pour découvrir une femme, aussi mince et osseuse qu'Afras et Aïzie, et portant les mêmes vêtements de peau. Ses cheveux blonds étaient retenus en fines tresses collées sur son crâne, attachées sur sa nuque par un lien de cuir. Elle semblait un peu plus jeune qu'Afras et possédait des prunelles couleur d'agate verte.
« Tu sembles aller beaucoup mieux, lança-t-elle d'un ton enjoué. Je suis heureuse de voir que tu te sens assez fort pour te lever. Assieds-toi, que j'examine ton aile. Il semble que l'attelle se soit un peu déplacée ; je vais arranger cela. »
Un peu confus de ses actes de la veille, Angelus obtempéra docilement, tandis qu'Aïmara – il n'avait plus de doutes sur l'identité de sa visiteuse – défaisait les bandes de tissus et manipulait avec une extrême douceur l'aile blessée.
« Tout va bien, déclara-t-elle avec satisfaction. Tes côtes sont déjà presque guéries, il n'est pas nécessaire de les bander de nouveau. Par précaution, je préfère que tu portes cette attelle encore aujourd'hui, puis nous la remplacerons par un simple bandage. »
Tandis qu'elle terminait de panser les blessures de l'Ange, Aïzie apparut à la porte de la pièce :
« Aïmara, dit le garçon d'un ton enjoué, est-ce que Lucielus peut venir avec moi ? Je lui ai promis de l'emmener quelque part ce matin. »
La femme blonde considéra son patient d'un œil critique, avant de déclarer :
« Je pense que cela pourrait lui faire du bien de se déplacer un peu. Mais s'il se fatigue trop, n'hésite pas à le ramener ici !
— C'est promis ! »
Prenant son nouvel ami par son épaule indemne, Aïzie l'entraîna vers l'extérieur, sous la lumière du ciel.
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