Chapitre 12 - Partie 1


La jeune femme se réveillait doucement, les idées encore brumeuses. La première chose qu'elle vit fut le plafond de sa chambre, elle était donc rentrée à Humelac. Tout en papillonnant des yeux elle tenta de se masser les tempes, mais une douleur vive lui prit les mains. Elle se rappela alors ses cicatrices, mais lorsqu'elle porta ses mains à ses yeux elle découvrit qu'elles étaient bandées.

Lia sentit un mouvement à ses côtés et lorsqu'elle tourna la tête elle découvrit Rilan, une moue inquiète lui barrant le visage. Il avança sa main pour lui caresser le visage et replacer ses cheveux derrière ses oreilles tout en la fixant. Le soulagement apparaissait clair dans les siens, mais quelque chose semblait ne pas aller. De ses yeux encore endormis, Lia pouvait tout de même remarquer sa gorge se comprimer. Elle porta sa main bandée au visage de son frère et se mit à imiter ses caresses réconfortantes. Rilan ferma les yeux et quelques instants après des larmes dévalèrent ses joues.

Le cœur de la jeune femme manqua un battement. Rilan n'avait jamais été du genre à cacher ses sentiments, mais il était extrêmement rare qu'il pleure, c'était elle qui laissait toujours ses émotions prendre possession de son corps, pas lui. 

— Rilan ? Murmura-t-elle de sa voix encore affaiblie.

Le jeune homme ne répondit pas tout de suite, il retira d'abord sa main de ses cheveux et essuya ses larmes avant de se lever du lit. Il marcha lentement jusqu'à la fenêtre puis après quelques instants se retourna vers elle, le regard assombrit et les yeux lançant des éclairs.

— Comment as-tu pu me faire ça ? Cracha-t-il.

La jeune femme hoqueta d'étonnement, son frère si doux il y a quelques minutes la regardait avec ses yeux emplis de haine et de dégoût, un regard qu'il n'avait jamais posé sur elle.

— C... Comment ça ? Demanda-t-elle, se redressant un peu, puisant le peu de force qu'elle retrouvait dans la peur qui la gagnait de seconde en seconde.

— Comment ça ? Comment as-tu pu y aller, comment as-tu pu le faire ? Et sans m'en avertir ! Rugit-il.

Les larmes montèrent aux yeux de l'Iclite. Son frère s'était avancé vers elle, l'air menaçant. Elle pouvait lire sur son visage toute la colère qu'elle lui inspirait.

— Est-ce que tu te rends compte de ce que tu as fait Lia ? 

Il hurlait à présent.

— Hein dis-moi, est-ce que tu te rends compte à quel point tu as été idiote !

— J'ai du mal à te suivre Rilan...

Sa phrase sembla l'énerver encore plus qu'il ne l'était déjà. Il était pratiquement au-dessus d'elle maintenant et pour la première fois de sa vie Lia eut presque peur de son frère. Elle n'avait pas peur qu'il la violente ou lui fasse du mal physiquement, non ça, il ne le ferait jamais, mais elle avait peur parce que pour la première fois elle l'avait réellement déçu.

— Tu pars réveiller ton Don sans m'en informer, sans que je puisse te donner mon avis ou au moins t'accompagner. J'apprends ensuite que tu vas l'éveiller en utilisant de la magie noire, tu sais ce que ça implique Lia mordiable ! Nous avons eu les mêmes classes toi et moi, tu sais que tu vas en payer les conséquences, tôt ou tard ! Tu es recherchée ma parole ! Les Maréchaux sont déjà sûrement en route et peut-être même qu'ils passent les remparts de la ville en ce moment !

— Je n'avais pas le choix Rilan ! S'énerva la jeune femme. Il le fallait, j'allais mourir si je ne le faisais pas !

—Il y avait une autre façon de faire ! Hurla-t-il, postillonnant de haine.

Lia baissa les yeux, non pas par soumission, mais parce qu'elle sentait la rage monter en elle. À présent bien réveillée par le taux d'adrénaline qui circulait dans ses veines, elle trouva la force de se mettre en position assise et de s'éloigner le plus possible de Rilan. Après quelques inspirations, elle releva la tête et planta ses yeux dans ceux de son aîné.

— Parce que tu crois que cette « façon de faire » aurait été plus plaisante ?

— Elle n'aurait pas mis ta vie en danger !

— Et qu'est-ce que tu en sais hein ?

Elle haussa le ton et la colère déforma ses traits.

— Hein qu'est-ce que tu en sais ? Tu connais Jason par cœur maintenant ? C'est un de tes grands amis ? Qui te dit qu'il n'aurait pas abusé de moi, qu'il n'a pas des goûts en matière de sexe qui ferait pâlir le plus libéré des libertins ? Hein, dis-moi cher frère, aurais-tu préféré que je me donne à un homme que je ne connais pas contre mon gré, que je le laisse me souiller de son foutre et que je ...

— TAIS-TOI !

Des larmes dévalaient à nouveau ses joues. Le frère et la soeur, les visages animés par la même détresse -celle d'en vouloir à l'autre de ne pas le comprendre- se toisaient du regard. Rilan fut celui qui baissa les yeux le premier. Il se leva finalement et marcha vers la porte, avant de se retourner une dernière fois.

— Je peux peut-être comprendre pourquoi tu l'as fait, mais je ne te pardonnerai jamais de l'avoir marchandé contre le collier de maman. Il était tout ce qui me restait d'elle, et tu l'as vendu comme une vulgaire marchandise. 

Puis il passa le pas de la porte. Elle aurait voulu le rappeler, mais elle savait que cela ne servait à rien. Elle pouvait comprendre sa tristesse, mais elle savait qu'elle n'avait pas eu le choix, et qu'il comprendrait à force. Sentant la migraine la gagner elle se leva lentement pour aller se servir un verre d'eau, puis elle s'assit à son bureau. Elle entreprit de défaire les bandages de ses mains pour inspecter ses cicatrices, elles étaient presque soignées. Depuis combien de temps était-elle rentrée, combien de temps avait-elle dormi ? Les petites roses avaient maintenant pris une couleur plus blanches, les saignements s'étaient complètement arrêtés même si quelques endroits restaient encore un peu rosis par la scarification. Elle pourrait bientôt utiliser son Don et retrouver Victor. 

Elle joignit ses mains et malgré la douleur elle commença à prier. Ce n'était pas une habitude chez elle, mais elle avait besoin de croire que quelqu'un l'écouterait et l'aiderait peut-être. Alors elle pria les Astréistes, ces anciens monarques qui avaient irradié la Communauté de leur bonté et de leur sagesse. Lia connaissait par cœur leur histoire et leur Don qui avait disparu avec eux, on racontait qu'il était le pouvoir le plus magnifique qu'il n'est jamais existé. Les Astréistes partageaient un lien avec la nature, pouvant faire pousser les arbres, semer des graines, donner la fertilité aux terres. La Communauté n'avait jamais été aussi prospère que sous leur règne, jamais un ventre ne finissait la journée vide tant les récoltes étaient bonnes. Mais cette Famille avait été renversée par les Maréchaux, il y avait cinq siècles de cela et depuis la famine et les maladies gagnaient aussi bien les humains que la nature. 

Alors il était commun de prier ces anciens monarques, d'une part pour que jamais ils ne tombent dans l'oubli et d'autre part parce que s'il fallait croire en quelque chose, c'était bien en eux, ils avaient été le miracle de la Communauté pendant près d'un millénaire, peut-être pourraient-ils l'être encore de par le ciel.

« Henoc, roi des rois, monarque des monarques, toi qui descends d'Astrée, je me confie à toi aujourd'hui, car je suis perdue et j'ai besoin que tu me guides. Je ne sais plus où j'en suis, j'ai l'impression de faire les meilleurs choix pour sauver ceux que j'aime, mais il apparaît que je blesse plus que je ne répare. Je t'en pris, fait que mon frère Victor soit en vie et aille bien, fait qu'il ne lui soit rien arrivé. Et je t'en supplie, fait en sorte que Rilan puisse trouver en lui la force de me pardonner, je sais que j'ai trahi sa confiance, mais je n'avais pas le choix, je l'ai fait pour Victor. Et puis si ce n'est pas trop demandé, pourrais-tu laisser la vie à Thaïs, elle ne mérite rien de tout cela, elle n'a fait que m'accompagner alors prends moi à sa place. Prends-moi à leur place à tous.

Je m'en remets à toi Henoc, je te promets d'honorer tes terres et l'héritage de ton Don, je serais ton inexorable servante si tu sauves les trois personnes qui me sont le plus chères en ce monde. »

La jeune femme resta encore quelques instants les mains croisées et les yeux fermés. Elle priait rarement, mais cela lui avait toujours fait beaucoup de bien, elle se sentait comme vidée de tous ses tourments, au moins l'espace de quelques instants. 

— Vous priez les Astréistes ?

Lia se leva de sa chaise et se retourna vivement. Jason se trouvait dans l'encadreur de sa porte, l'allure toujours aussi stricte, mais ses cheveux étaient peignés moins méticuleusement qu'à l'habitude et ses traits étaient fatigués et son regard semblait moins froid que d'habitude.

— Depuis combien de temps êtes-vous là ? Demanda la jeune femme sentant la honte l'envahir. Elle détestait l'idée qu'on puisse l'entendre prier. 

— Assez longtemps, madame. Ne soyez pas gêné, je prie moi-même assez souvent. Si cela peut vous ôter vos tourments, sachez que les Astréistes ont souvent entendu mes prières, je ne manquerai pas de leur demander d'exaucer vos vœux.

— Euh ... Merci, lâcha Lia, peu sûre de la réponse adéquate. 

Comme il semblait attendre, elle l'invita à s'asseoir dans un des fauteuils de la chambre.

— Je n'ai pas de whisky à vous offrir monsieur.

Jason éclata d'un petit rire qu'elle ne lui connaissait pas encore.

— Et c'est une bonne nouvelle, je crois que j'en abuse un peu trop souvent en ce moment.

Elle lui répondit par un petit sourire faible et vint s'asseoir dans le fauteuil qui lui faisait face, après s'être passé une couverture sur les épaules; elle était tout de même en linge de nuit.
Jason semblait réfléchir et Lia attendit qu'il ouvre le dialogue. S'il était monté, c'était pour une bonne raison.

— Je suis heureux de voir votre rétablissement, comment vont vos mains ?

La jeune femme les lui présenta et il parut satisfait de la cicatrisation de ses plaies. Seulement, le regard du jeune homme s'assombrit, au grand étonnement de la jeune femme.

— J'ai envoyé un mot à Bérénice, elle va arriver d'ici peu, préparez-vous à subir ses foudres. Elle ne décolère pas depuis que vous êtes rentré et que Tristan l'a informé que vous aviez marchandé votre collier...

Lia toucha de sa main droite l'emplacement où se trouvait le médaillon sur sa poitrine. Une profonde tristesse l'envahit, car même si elle savait au fond d'elle qu'elle avait fait le bon choix, elle avait eut avec ce médaillon comme un peu de sa mère avec elle. Maintenant elle était partie définitivement et la jeune femme se retrouvait complètement seule.

— Et Tristan ?

— Il va bien. Il a été réquisitionné par le Borloc quand vous êtes rentrés pour l'aider à aller acheter ses nouveaux tissus. 

— Depuis combien de temps... Commença-t-elle.

— ...Etes-vous rentré ? Deux jours madame.

Lia écarquilla les yeux, elle avait dormi depuis deux jours ! Son frère avait du se ronger les sangs, d'où ces gestes affectueux à son réveil, il avait du avoir tellement peur de la perdre. Un sentiment de culpabilité assaillit la jeune femme, mais Jason la sortit de ses pensées en lui prenant la main. Surprise par ce geste, elle fixa leurs deux mains et sa respiration se fit moins bruyante, comme si elle guettait un danger.

— N'ayez pas peur de moi Lia, je ne vous ferais aucun mal, jamais. C'est votre frère qui m'a prévenu que vous étiez réveillée, je voulais m'assurer que vous alliez bien et vous prévenir pour Bérénice. Tâchez d'amasser le plus de force possible avant son arrivée, elle est vraiment furieuse, et je ne peux lui en vouloir.

Lia hocha la tête pour acquiescer et alors qu'il se levait et qu'il lâcha sa main, elle attrapa doucement son bras.

— Voudriez-vous rester à mes côtés s'il vous plaît ? J'aurais bien besoin de votre soutien, je crois...

Les deux jeunes gens se fixèrent quelques instants : Jason surpris que la jeune femme lui fasse une telle demande, et Lia étonnée elle-même d'avoir formulé cette requête. 

Finalement, il acquiesça avec un petit sourire gêné et se rassit puis ils attendirent silencieusement. Peu de temps après la porte s'ouvrit dans un énorme fracas et Lia prit une grande inspiration avant de faire face à la colère de Bérénice.

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