Lia n'était pas sortie de sa chambre depuis deux jours. Encore sous le choc des propos de Jason, elle n'avait pu se résoudre à l'affronter de nouveau. Elle avait cru percer l'homme, comprendre son comportement, pour finalement être encore plus perdue. Tristan était venu la prévenir qu'il devait s'absenter pour régler une affaire commerciale. Elle se retrouvait donc seule, et pour la première fois depuis son arrivée, Lia sentait le poids de la solitude s'abattre sur elle. La Rochebarré lui manquait atrocement, les fourberies de ses frères, même les répliques cinglantes de Julius. Elle aurait tout donné pour que Victor soit là, à cet instant, pour lui raconter une des nombreuses légendes de la Communauté.
C'était sa spécialité à lui, les légendes des contrées oubliées. Le voir conter une histoire était quelque chose d'extraordinaire. Le soir, il venait discrètement dans la chambre de Lia, accompagné de Rilan. La jeune Iclite les attendait dans son lit, patiemment et un énorme sourire illuminait son visage lorsqu'elle entendait la porte grincer. Alors elle se poussait, le dos collé à sa tête de lit, en tailleur, pour leur laisser de la place. Il s'asseyait dans la même position et Rilan tenait une lampe à huile, qui n'éclairait pas beaucoup, mais juste assez pour dessiner des ombres étranges sur le visage de Victor.
Alors celui-ci se mettait à raconter les histoires qu'il avait appris la journée, il les connaissait déjà par coeur. Le plus jeune des frères avait toujours eu ce don pour la mise en scène, même Rilan, qui avait probablement étudié les mêmes légendes que lui, se retrouvait souvent tellement happé qu'il lui arrivait d'oublier qu'il tenait la lampe et de la lâcher sur le lit de Lia. C'était alors la panique puisque l'huile se déversait sur la couette, et la brulait. Heureusement, elle n'avait jamais pris feu, Rilan reprenait ses esprits rapidement il soulevait toujours la lampe à temps. Mais les dégâts sur la couette étaient bien présents, alors il fallait l'amener discrètement le lendemain à Thaïs pour qu'elle la change sans que leur père, ni Julius soit au courant.
Une fois, l'huile avait coulé sur le tibia de Lia. Cette dernière, n'avait pas crié car elle avait bien trop peur de la colère de son père. Mais Rilan et Victor l'avaient amené à Thaïs, car la jeune Iclite souffrait et sa peau se tintait d'une couleur noirâtre. Thaïs avait été dans tous ses états, presque jusqu'à utiliser son pouvoir de Dolosiste pour atténuer la douleur de Lia. Jamais les deux garçons ne s'était fait autant gronder, ils avaient été punis pendant plusieurs semaines et des domestiques de nuit avaient été réquisitionnés pour les surveiller.
Lia caressait la cicatrice de sa brûlure tout en gardant les yeux fermés et laissa échapper un petit rire en repensant à cette scène. Le rire prit un gout amer après quelques secondes, Victor, Rilan... Que faisaient-ils ? Pensaient-ils aussi à elle ? A cette histoire ? Et Thaïs ? Une larme coula lentement le long de la joue de la jeune femme encore allongée dans son lit. Lia prit une grande inspiration et se releva d'un seul mouvement. Elle refusait de s'apitoyer sur son sort, elle devait prendre l'air. Elle fit une rapide toilette et mangea un des biscuits que Léolia lui avait ramené pendant ces deux jours où elle était restée dans sa chambre.
Elle descendit discrètement les escaliers pour rejoindre la cuisine. Il devait être dix heures de la matinée. Elle marchait lentement, en scrutant les environs, lorsqu'elle entendit du bruit devant l'entrée. Apparemment quelqu'un donnait du fil à retordre aux gardes. Elle ne put s'empêcher d'y jeter un œil, pour voir quel opportun osait défier les gardes du bi-yeux. Jason serait furieux. Alors qu'elle s'approchait, elle découvrit cinq gardes qui s'affairaient autour d'un seul homme, pas beaucoup plus vieux qu'elle. Il était plutôt bien habillé, certainement un riche propriétaire d'un village voisin qui venait rendre visite ou conclure un marché avec le maitre des lieux. Mais alors pourquoi les gardes l'empêchait-ils d'entrer ?
— Je dois la voir ! hurlait l'homme. Laissez-moi entrer !
Elle connaissait cette voix. Son regard croisa les yeux bleus de l'homme.
— Rilan ? hurla-t-elle.
— Lia ! Dis-leur de me laisser passer !
— Laissez-le, c'est mon frère !
Les gardes se regardèrent, les étudièrent et jugèrent qu'ils se ressemblaient assez pour croire à cette déclaration. Les deux têtes bouclées se sautèrent dans les bras et s'étreignirent.
— Mais qu'est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle une fois leur étreinte terminée.
— Je suis venu voir si tout allait bien ! Tu m'as l'air en pleine forme soeurette, je suis content !
Elle lui sourit et lui sauta à nouveau dans les bras ! Elle retint les quelques larmes qui menaçaient de couler, trop heureuse d'avoir une présence familière dans ce château. Elle s'agrippa à son bras, et ne comptait pas le lâcher de sitôt.
— Tu dois mourir de faim ! Viens je vais demander à Léolia de te préparer quelque chose !
Il hocha la tête sans comprendre qui était Léolia mais il ne rechigna pas à l'idée de pouvoir manger quelque chose de chaud et autre que du pain et de la soupe.
***
— Thaïs n'est pas avec toi ?
Lia lâcha l'assiette qu'elle avait dans les mains et qui ne manqua pas de se fracasser sur le sol en mille morceaux. Elle était dos à lui et ouvrit de grands yeux. Thaïs ... Evidemment ... Elle se retourna lentement pour lui faire face et vit l'incompréhension sur le visage de son frère. Elle s'assit et entreprit de lui expliquer ce qui s'était passé à Ruissellac. Elle avait du à plusieurs reprises reprendre sa respiration pour débloquer cette boule qui grossissait dans sa gorge. Les larmes coulaient à flot, mais étonnamment, cela lui fit du bien d'en parler.
Il se pencha vers elle et lui attrapa la main pour la placer entre les siennes.
— Je suis désolé Lia, elle était comme une mère pour nous tous !
La jeune Iclite hocha la tête et sourit faiblement à son frère. Alors elle se mit à lui raconter la suite de son périple, sa rencontre avec Anna, le dessin, son arrivée ici et elle s'attarda à décrire la fameux Jason, en oubliant volontairement de parler de leur dernière altercation. Elle omit aussi de lui parler de ce qu'il lui avait proposé, ne voulant pas qu'il se sente obligé de lui dire d'accepter cette proposition. Rilan se leva et fit les cent pas dans la salle. Lia le regarda aller d'un bout à l'autre de la pièce sans trop comprendre pourquoi il agissait comme cela.
— Qu'y a–t-il ?
— Ecoute Lia, je n'ai pas été très franc, je ne suis pas venu seulement pour voir si tu allais bien...
Elle pencha sa tête en avant comme pour lui intimer de continuer son explication. Elle se leva à son tour pour se rapprocher de lui.
— Je ... Promets-moi de ne pas devenir folle, supplia-t-il.
— Pourquoi devrais-je devenir folle ?
Elle devenait menaçante, n'appréciant guère que son frère lui fasse endurer ce suspens. Elle savait très bien que lorsqu'il prenait cet air grave c'était forcément pour quelque chose d'important. La dernière fois qu'il lui avait lancé ce regard, c'était lorsque leur Père avait décidé de punir Victor, à cause d'elle. Elle avait enfreint une des règles, elle s'était éloignée un peu du château et leur père l'avait su, mais Victor s'était porté volontaire pour prendre sa punition, sachant qu'elle ne serait pas assez forte pour endurer le confinement.
— Rilan ! hurla-t-elle, tu vas me dire ce qu'il se passe !
Il recula d'un pas, hésita puis lança finalement :
— Victor a disparu.
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